Facebook: de la critique à l’action

J’ai éprouvé un malaise en lisant le texte de Paul Journet dans La Presse de ce matin. Le procès de Facebook que l’éditorialiste souhaite faire me semble manquer de nuances parce qu’il occulte la dynamique qui lient les médias à Facebook.

Je comprends évidemment très bien la frustration de Paul Journet devant cette «machine à profit devenue si obèse et tentaculaire qu’on ignore comment la dompter» (mieux, je la partage!). Mais il est inutile de se moquer des vidéos de chats qu’on y trouve, c’est tout à fait anecdotique. C’est aussi contre-productif de prétendre que Facebook «s’est alliée aux mensonges et à la haine pour faire élire Donald Trump», c’est une affirmation trompeuse.

Facebook est une machine pour laquelle l’argent n’a pas d’odeur. Elle transforme tout simplement nos statuts, les partages qu’on en fait, nos commentaires et tous nos clics en argent sonnant et trébuchant — en vendant notre attention (de la publicité) et nos données personnelles (à toutes sortes d’entreprises).

Chaque fois qu’on clique sur «j’aime» on aide Facebook à nous connaître un peu mieux et on fait cadeau à la machine d’une foule d’informations qu’elle pourra revendre à notre insu (et pas toujours dans notre intérêt).

C’est pour ça que Facebook nous présente seulement des contenus qui sont susceptibles de nous intéresser — mieux de nous faire cliquer, encore et toujours. C’est pour ça que les fake news sont de l’or en barre pour Facebook: on clique pour voir si c’est vrai, on clique pour dire qu’on aime, ou pas, on commente pour dire que ça n’a pas d’allure… et pendant tout ce temps, Facebook s’enrichit.

Alors que si l’algorithme nous dirigeait vers des textes nuancés, qui demandent de longues minutes à lire et qui ne soulèvent pas autant de passion… eh ben, ce serait beaucoup moins payant… en clics, en commentaires… et donc en argent! Il n’y a pas de grand complot, c’est simple comme ça. Facebook fait son argent en nous faisant réagir, pas en nous rendant intelligents.

Paul Journet a certes raison de s’offusquer en constatant  que «le capitalisme techno [de Facebook] pille les médias traditionnels (…) les saigne puis les noie, en redonnant des miettes à la société.» Sauf que je trouve que les médias traditionnels ne sont pas des victimes innocentes de ce pillage, ils en sont aussi responsables quand ils choisissent d’appuyer une partie de leur modèle d’affaires sur celui de Facebook.

N’y a-t-il pas des boutons «partager sur Facebook» à côté de tous les articles de La Presse? Bien sûr, parce que sans Facebook pour ramener des lecteurs, La Presse n’aurait pas autant de revenus publicitaires. Est-ce que le parcours des lecteurs de La Presse+ (et même du site de La Presse) n’est pas analysé en détail, afin de guider la production éditoriale, comme le fait Facebook avec son algorithme? Est-ce que le choix de la gratuité pour La Presse+ n’est pas motivé par le même type de raisonnement que celui qui inspire Mark Zuckerberg avec son modèle Free Basics?

Je ne dis pas que tout cela est mal, je dis seulement qu’il faut en être conscient et que Paul Journet aurait dû en tenir compte.

Pour toutes ces raisons, je trouve que la conclusion de l’éditorial est malheureusement incomplète:

«Certes, le réseau social a de nombreux aspects positifs. Mais plus il se transforme en monopole, plus ces avantages s’effritent. Il n’est pas obligatoire de cliquer sur « j’aime ».»

Je pense qu’il est nécessaire de préciser que les médias doivent aussi interroger leur dépendance à Facebook. Il aurait peut-être même été utile d’ajouter, à l’intention des éditeurs de La Presse, qu’il n’est pas obligatoire, non plus, d’ajouter des boutons «partager sur Facebook» partout dans un média, surtout si on souhaite contribuer à dompter la machine Facebook.

Critiquer Facebook n’est pas suffisant, il faut surtout agir, lentement mais sûrement, en participant, par exemple, au développement d’espaces alternatifs pour accueillir des conversations de qualités, auxquels les gens auront envie de consacrer du temps plutôt que de passer de plus en plus de temps sur Facebook. Ou en explorant des modèles alternatifs à la publicité telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Ce n’est pas simple, je sais, mais pour paraphraser Paul Journet, à mesure que Facebook se transforme en monopole, plus ça devient important — voire essentiel pour l’avenir de la démocratie.

7 réflexions sur “Facebook: de la critique à l’action

  1. Les médias traditionnels ont, selon mon humble avis, très mal réagi face à la transformation récente de leur industrie. Pris de panique par la chute de leur audience (donc de leurs revenus publicitaires) ils ont choisi de copier le modèle «médias sociaux» et ils en payent, et payeront, un grand prix à long terme, celui de leur crédibilité (qui était justement leur plus grande valeur). «Titres à clics», fausses nouvelles, présentation de commentaires Facebook ou Twitter de purs inconnus comme étant une nouvelle ? Le mimétisme n’est pas toujours la meilleure stratégie d’adaptation…

  2. @B. Paul Gélinas: je suis bien d’accord (et je pense qu’ils en sont de plus en plus conscients) mais, concrètement, qu’est-ce qu’on leur propose/souhaite pour 2017? Ou, plus humblement, on leur suggère de regarder dans quelle direction pour rectifier le tir?

  3. Clément, le propos de Paul Journet est unidimensionnel et peu convaincant. Selon lui, entre autres, le « problème » vient de l’algorythme de FB qui oriente vers l’utilisateur ce que ce dernier préfère, faussant ainsi sa « réalité ».
    Voilà qui est faire bien peu de cas de l’intelligence de l’utilisateur. Mais s’il s’avère effectivement que ledit utilisateur n’est pas assez intelligent (ou attentif ?) pour s’apercevoir de ça, je serais porté à croire qu’il n’est pas beaucoup plus « éveillé » dans la vraie vie. Et qu’il ne l’était pas plus « avant » FB. Bref, ce n’est pas l’outil le problème, mais le système d’éducation qui ne montre pas comment se servir de l’outil.

    Par ailleurs, si je me fie au raisonnement de PJ, je devrais aussi me méfier de mon libraire, car il n’attire mon attention que sur des livres susceptibles de m’intéresser. Un autre « déformeur de réalité » ?

    En 2017, Clément, je continuerai à lire de temps à autres des livres extrêmement mauvais afin de ne pas perdre de vue ce qu’est la littérature dans son ensemble, je cliquerai sur des trucs que je n’aime pas du tout sur mon deuxième compte FB (vive les pseudos) pour, là aussi, avoir une vision plus conforme de la réalité virtuelle qui m’entoure. Et je continuerai à lire toutes sortes de feuilles de chou comme La Presse pour savoir ce qui intéresse (ou non) nos supposées élites intellectuelles ;-)

  4. @Jean: l’analogie avec le libraire est forte! Évidemment, si les libraires occupaient plus de place dans notre vie — jusqu’à être omniprésents — on pourrait plus justement s’en inquiéter. On se le souhaite?

    Et merci d’avoir pris le temps de commenter (on se revoit bientôt!).

  5. Le point important, c’est la diversité des sources. Se fier à une seule, c’est succomber à la magie (dans le sens de « prestidigitation »).

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