En 2007, Hélène Alarie a rédigé un rapport pour expliquer pourquoi le Bloc Québécois avait été balayé de la Capitale-nationale et de Chaudière-Appalaches. En quelques mots: la montréalisation de son discours.
Le Devoir l’avait qualifié de rapport lucide. Gilles Duceppe s’était empressé de dire que le rapport était périmé et que les correctifs nécessaires avaient été apportés. Dix ans plus tard, on peut encore en douter.
La montréalisation de la politique n’est pas propre au Bloc Québécois, bien sûr. Je trouve qu’elle est même assez généralisée dans la famille indépendantiste. Mais un cas récent me fatigue particulièrement. Je le prends pour exemple.
C’est un secret de polichinelle que la direction du Bloc a tenté dans les dernières semaines d’influencer le déroulement des congrès de circonscription du Parti Québécois en faisant adopter des propositions en faveur de l’élargissement de la loi 101 aux cégeps. La même chose devrait bientôt se répéter dans les congrès régionaux.
Par-delà le fait qu’il est discutable qu’un parti politique intervienne aussi directement dans le processus de définition du programme d’un autre parti, j’y vois une nouvelle manifestation de la montréalisation du discours du Bloc. Une montréalisation que je crois important de déplorer à mon tour.
Je ne nie pas l’existence d’enjeux autour de la fréquentation des cégeps anglophones à Montréal. Et je suis bien sûr prêt à en discuter… si on reconnaît d’abord que c’est un problème essentiellement montréalais.
Que les circonscriptions qui sont directement touchées par cet enjeu en fassent une priorité, soit. Que cela remonte ensuite dans les congrès régionaux de l’île de Montréal, évidemment, et éventuellement jusqu’au congrès national. Mais qu’on se serve des régions pour lui donner des allures d’enjeu national prioritaire? Là, je décroche.
Le processus des congrès consiste à prioriser, c’est-à-dire à choisir les enjeux et les défis qui sont les plus importants pour une circonscription ou pour une région. Les enjeux qu’il apparaît indispensable de porter à l’attention du parti — ceux sur lesquels il est particulièrement important d’intervenir. Ceux qui devront requérir l’attention du gouvernement une fois que le Parti Québécois aura repris le pouvoir, seul ou en coalition avec d’autres partis.
Dans ce contexte, manipuler les congrès de circonscription à partir de Montréal pour essayer de leur faire prioriser le dossier de la loi 101 dans les cégeps, c’est détourner le processus au profit des priorités de Montréal.
Le résultat de la manoeuvre (souhaité, manifestement) sera d’accorder une place indue à ce sujet dans les débats (d’autant que les médias sont aussi terriblement montréalisés!) avec pour conséquence que les régions auront encore plus de mal à se faire entendre parce que leurs priorités auront cédé leur place au profit d’un enjeu qui est pourtant quasiment inexistant à l’extérieur de Montréal.
Or, l’indépendance ne se gagnera pas à Montréal. Elle se fera uniquement quand les régions — et, parmi celles-ci, la Capitale-nationale — vont y trouver leur compte et se retrouver dans le discours de ses leaders. Et ce n’est certainement pas en faisant de la surenchère sur le dossier de la loi 101 au cégep que ça va arriver.
C’est pour cette raison que je vais m’opposer, personnellement, aux propositions tous azimuts qui porteront sur cette question. Essentiellement parce qu’elles sont en train de devenir le symbole de la montréalisation d’un certain discours et d’une certaine forme d’action qui est beaucoup trop présente dans le mouvement indépendantiste… et qui, surtout, ne nous mènera nulle part.
Étendre la loi 101 au cégep spécifiquement dans la région de Montréal? Peut-être. On peut en discuter. Au moins, formulé de cette façon, ça mettrait les choses en perspective.
Quoi qu’il en soit, une chose est certaine: QS, ON, le Bloc et le PQ auraient intérêt à relire le rapport d’Hélène Alarie pendant qu’il est encore temps.
Parce que 2018, ça arrive vite.
Bonjour. Je suis un électeur québécois qui pourrait facilement donner son vote au PQ en 2018 (et qui l’a déjà fait, de façon intermittente, dans le passé). Mais pour moi l’acharnement de sous-groupes du parti concernant l’application de la loi 101 au cégep est un repoussoir majeur. Merci Clément de porter ce message. J’ose penser que je suis assez représentatif de la partie de la population qui ne milite pas, qui ne s’affiche pas beaucoup sur la place publique ou sur les réseaux sociaux, mais qui vote, et qui est probablement précieuse pour gagner ses élections. Je fais un effort délibéré pour consigner ça ici par écrit pour que ton message soit appuyé par des témoignages concrets, et qu’il porte fruit.
Je suis un Québécois d’origine franco-ontarienne, habitant à Montréal depuis cinq ans. J’ai habité dans la région de l’Outaouais, des deux côtés de la frontière, presque toute ma vie. Je suis donc très sensible à la question de la prédominance du français dans notre quotidien et des pressions constantes de l’anglais, dans les milieux de travail, ainsi que dans nos institutions d’éducation… par exemple, ce projet de l’extension de la faculté de médecine de McGill en Outaouais.
Ce que je constate depuis mon déménagement à Montréal il y a cinq ans, c’est à quel point Montréal subit toujours la pression de l’anglais… que l’Ouest de Montréal est en train de devenir ontarien ( chassez le naturel, il revient au galop )… que cette évolution se fait à grande vitesse… qu’elle se propage dans des villes de banlieue comme Brossard… que les Montréal est en train de se faire isoler des « régions » du Québec… que « nous » sommes en train de perdre Montréal… que je dois souvent me comporter dans certains secteurs de Montréal comme lorsque je vivais à Ottawa, en situation de minoritaire.
Ce que je déplore le plus, c’est cette scission entre Montréal et le reste du Québec. Que cette scission découle autant de la méconnaissance des uns que des autres, des Québécois des régions que de ceux de Montréal. J’ai souvent l’impression que les Québécois de l’extérieur de la région de Montréal ne soupçonnent pas quelle importance revêt le maintien d’une présence québécoise forte à Montréal pour l’avenir du reste du pays… que les Québécois de l’extérieur de Montréal s’y sentent étrangers devraient nous inquiéter.
Nous ne deviendrons jamais un pays tant que nous n’aurons pas réglé cette vieille tension atavique entre une capitale qui demeure provinciale, qui ne semble pas savoir comment se comporter comme une capitale nationale, et la métropole, qui est en train de devenir étrangère. Nous avons tout intérêt à nous comprendre les uns les autres, et il faut toujours au moins deux parties pour établir une communication.
L’incompréhension est mutuelle.
Bien que la question de l’extension de la Loi 101 aux cégeps touche moins les autres « régions », elle est néanmoins stratégiquement très importante pour l’ensemble du Québec. Si on n’est pas capable de le comprendre, personnellement, je commence à me demander s’il y a toujours un pays à conserver. Cela ne veut pas dire qu’il faille ignorer d’autres enjeux, plus « régionaux », qui ne touchent pas Montréal directement, mais qui demeurent néanmoins tout aussi importants sur un plan national, y compris pour la région de Montréal.
La « solidarité » nationale ne s’exprime pas à travers une compétition entre les régions.
Autant le Québec doit défendre Montréal, autant il ne doit pas être mis à la sauce Montréal, les différences avec les régions étant trop considérables.