
Deux mois que je n’ai pas écrit ici — le temps file! J’ai parfois l’impression que le déroulement du temps s’est transformé cette année: certaines choses vont beaucoup plus lentement, d’autres beaucoup plus vite. Le repères s’effacent… pour le meilleur et pour le pire.
Je me répète souvent qu’il faut prendre ça un jour à la fois, parce qu’il le faut… pour passer à travers — mais je tente de trouver des façons d’apprécier aussi le fait que le moment qui s’impose à nous est aussi une extraordinaire opportunité.
Beaucoup de choses qui nous semblaient immuables sont subitement remises en question. Les dogmes apparaissent sous leur vrai jour. Des idées qui semblaient farfelues il y a quelques mois suscitent l’intérêt et deviennent prometteuses. C’est stimulant.
Il faut donc se rappeler tous les jours que derrière les défis et les épreuves de la vie quotidienne en 2020 il y a heureusement aussi une grande ouverture des possibles pour (re)définir l’avenir que nous souhaitons.
J’ai entendu des gens s’apitoyer sur le sort des jeunes: « pas facile d’arriver dans le monde en 2020 ». Je pense le contraire!
Celles et ceux qui ont autour de vingt ans aujourd’hui ont la chance de vivre le moment de la vie où les idéaux, les projets et les ambitions sont les plus grands, en plein dans un temps où la société sera plus maléable qu’elle ne l’a été depuis des décennies. Il faut qu’ils en soit conscients — et qu’ils en profitent! Ils vont vraisemblablement avoir la chance de transformer la société en fonction de leurs aspirations! De notre côté il faudra les écouter, nous laisser inspirer et les accompagner.
Au cours des derniers mois j’ai lu From What is to What if, de Rob Hopkins — une invitation à se projeter dans un futur souhaité et à le décrire pour le rendre plus tangible, plus travaillable, plus engageant.
J’ai lu Humankind, de Rutger Bregman, qui nous fait voir que l’humain n’est pas si vilain qu’on le dit généralement — ou que les médias nous le font souvent croire. Au contraire, l’être humain est très généralement bienveillant et que c’est sur cela qu’on doit miser pour imaginer la suite du monde.
J’ai aussi lu plusieurs textes de Roman Krznaric, comme celui-ci, qui nous amène à voir le futur autrement et à s’interroger sur le genre d’ancêtres que nous serons pour les prochains humains. Ou celui-là, qui nous invite à nous éloigner de toutes les formes de cynisme.
Je me suis aussi émerveillé de plusieurs courts textes dans différents médias — comme celui qui décrivait, dans Le Devoir, le travail de l’Institut Philosophie Citoyenneté Jeunesse: Nourrir l’espoir, ça s’apprend.
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Depuis plusieurs semaines, j’ai choisi de lire surtout de textes qui tentent de recréer des conditions favorables pour l’optimisme. Pas un optimisme béat, un optimisme qui reconnaît les défis qui se présentent à nous, mais qui sait que le pire n’est pas certain — comme le rappellent Catherine et Raphaël Larrère. Une conscience qui tente par tous les moyens d’explorer cet espace incertain avec confiance, et avec le sourire.
Je garde précieusement aussi les textes qui aident à redéfinir la manière dont on aborde nos plus grands défis — qui sont bien plus interreliés qu’on pourraient spontanément le croire. Les changements climatiques, qui sont en fait le reflet à l’échelle planétaire des injustices et des inégalités sociales, comme le rappelle Eric Holthaus. Saisir cette complexité ne devrait pas nous accabler — au contraire, elle nous permet de voir des moyens insoupçonnés d’agir sur des problèmes qu’on a trop longtemps vus s’additionnant les uns aux autres.
Pour relever les défis qu’on devra relever dans les prochaines années il va falloir de l’audace, de la cohésion, de l’engagement et de la mobilisation. C’est un mouvement collectif qui doit se mettre en marche. Et pour cela, il faut de l’optimisme.
Les humains se serrent les coudes et travaillent ensemble lorsqu’ils croient dans un monde meilleur. C’est à nous de tracer aujourd’hui les contours de ce monde et de montrer qu’il est possible.
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Écoute planifiée dans les prochains jours: un entretien de France Culture sur le thème Peut-on retrouver de la légereté?, avec le philosophe Vincent Delecroix, Blandine Rinkel, écrivaine et artiste et Hubert Reeves, qui n’a plus besoin de présentation. Une suggestion de Sébastien Provencher — merci!
Clément, tu m’excuseras, à l’inverse de toi, je ne sens pas très réjouissant.
Je comprends que les deux mois de silence pouvaient être de se requinquer après un printemps déboussolant. Ce le fût pour moi. Mais, je ne vois pas dans des lunettes roses. De plus, quand je pressens que le résultat de la course au vaccin ne pourrait être qu’une autre source de tension tant à l’intérieur d’une frontière qu’entre les pays riches, je me mets à douter de « Les humains se serrent les coudes et travaillent ensemble lorsqu’ils croient dans un monde meilleur. » Les divisions me semblent trop profondes. Elles ne sont pas qu’épidermique, mais dans la chair même.
Cet acte de foi en l’humain perd de son lustre pour peu que j’y pense.
Prenons le temps de réécouter « L’Amérique pleure des Cowboys fringants », et je me demande « il est où le bonheur » ?
J’prend le Florida Turnpike
Pis demain soir j’ta Montmagny
Non trucker s’pa vraiment l’Klondike
Mais tu vois du pays Yeah
Surtout que ça te fait réaliser
Que derrière les beaux paysages
Y’a tellement d’inégalités
Et de souffrance sur les visages
La question que j’me pose tout le temps
Mais comment font tous ces gens
Pour croire encore en la vie
Dans cette hypocrisie
C’est si triste que des fois
Quand je rentre à la maison
Et que j’park mon vieux camion
J’vois toute l’Amérique qui pleure
Dans mon rétroviseur
Moi je traîne dans ma remorque
Tous les excès de mon époque
La surabondance surgelée, shootée suremballée,
Yeah
Pendant que les voeux pieux passent dans le beurre
Que notre insouciance est repue
C’est dans le fond des conteneurs
Que pourront pourrir les surplus
La question que j’me pose tout le temps
Mais que feront nos enfants
Quand il ne restera rien
Que des ruines et leur faim
C’est si triste que des fois
Quand je rentre à la maison
Et que j’park mon vieux camion
Je vois toute l’Amérique qui pleure
La réflexion de François Brousseau me fait froid dans le dos. Et pourtant, il n’est que le dernier qui pense ainsi depuis un moment.
https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/585912/le-naufrage-d-une-democratie
Même après deux mois retranché en campagne, j’ai de la misère à croire à plus d’un mètre d’épaisseur de ce qu’est l’humain dans l’humanité. Pas davantage que la relativité de l’épaisseur d’atmosphère par rapport à la distance qui nous sépare de la lune.
Bonjour Vincent, c’est amusant que tu fasses référence à cette chanson des Cowboys frinquants — je l’ai justement écouter hier et me suis fait les mêmes réflexions. C’est une chanson plus puissante que jamais, aucun doute là-dessus.
Les réflexions de François Brousseau font terriblement froid dans le dos — aucun doute là-dessus non plus. Et ce qui se passe au sud de la frontière est effectivement des plus inquiétant.
Mais une fois qu’on a dit ça, on fait quoi? Quel regard on adopte pour être capable de rassembler, de mobiliser, de se retrousser les manches ensemble? Pour trouver les moyens d’être ingénieux et réussir à tirer le meilleur profit de la situation? Je pense que c’est ça qu’il faut chercher.
Et pour le trouver, il faut croire qu’il y a moyen d’y arriver. Il faut être optimiste.
Et je le répète: pas d’un optimisme béat: tu vois bien que je ne nie aucune des difficultés (et tu pourrais rappeler les bouleversements climatiques qui s’aggravent).
Je ne pense pas que la situation aujourd’hui est beaucoup plus grave qu’il y a huit mois, quand on vaquait normalement à nos occupations. On voit juste plus clair dans ce qui nous pend au bout du nez — et ça, c’est déjà un pas en avant.
Tu ne penses pas?