5h15 — Je monte dans le taxi. Direction la gare, pour un autre aller-retour à Montréal.
C’est de la musique classique qui m’accueille dans la Prius impeccablement propre. Le chauffeur n’a pas l’air d’avoir le goût de jaser.
Une boule rouge scintillante apparaît soudainement à l’horizon. Je m’exclame:
— Il est spectaculaire le soleil ce matin!
— Ho! c’est vrai!, répond le chauffeur.
Il range aussitôt la voiture sur le côté de la route, ferme la radio, saisit son iPhone et prend quelques photos. C’est surprenant, mais je trouve ça sympathique.
En reprenant la route, le chauffeur me dit « c’est beau la vie…», mais il marque une pause et, au moment où j’allais acquiescer, il précise en soupirant:
— c’est presque beau…
5h23 — Le silence est lourd dans le taxi.
C’est presque beau.
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Ce texte est le cinquième d’une série de textes pour lesquels je m’inspire des notes que je prends quotidiennement depuis maintenant plusieurs années.
Lire, écrire, popoter, bien manger, jouer en famille. Regarder House of Cards.
Visiter le Moulin à laine d’Ulverton avec une guide exceptionnelle: un vrai paradis photographique.
Manger de la pizza dans la cour avec des amis. Faire des churros.
Acheter de la peinture en aérosol au Canadian Tire. Expérimenter le street art avec le fils.
Faire le projet d’écrire une série de courts abécédaires au cours de l’été.
Faire le projet de mettre dans une bouteille le Labo des histoires, un soupçon de Québec numérique et un peu de 826 Valencia et de bien remuer pour voir ce qui pourrait en ressortir.
Faire une partie de cartes en famille après un délicieux souper de fettucinne alfredo agrémenté de pétoncles.
Écrire un texte sur mes premières observations après une semaine sans Facebook.
Dessiner des portraits sur mon iPhone.
Lire deux numéros du New Yorker sur des airs de jazz.
Travailler un peu. Passer la tondeuse. Faire un peu de ménage. Se demander qu’est-ce que ça signifie d’être canadien aujourd’hui.
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Ce texte est le quatrième d’une série de textes pour lesquels je m’inspire des notes que je prends quotidiennement depuis maintenant plusieurs années.
4h30 — Jasette avec un voyageur dans le lobby de l’hôtel. Il travaille dans une mine d’or au Nunavut. À -50 Celcius. Il m’apprend que dans une bonne mine il y a un gramme d’or par tonne de roche. Y’a qu’à savoir le trouver.
5h20 — Le chauffeur de taxi est haïtien — et très volubile. Il m’explique qu’il a choisi ce métier il y a quarante ans pour s’assurer que chaque jour de sa vie serait une comédie. Les gens sont fascinants vous savez...
7h15 — Globe and Mail: une notice nécrologique présente un très bel hommage accompagné de trois photos: dans la vingtaine, la quarantaine et la soixantaine. Belle idée!
7h40 — Tiens, François Legault et sa famille qui partent eux aussi en voyage. Va savoir s’il sera premier ministre un jour…
9h30 — Vibration: coup d’œil sur mon iPhone: deux notifications. Ma sœur me souhaite bon voyage et un dénommé Bontemps me sollicite sur LinkedIn. Ça ne s’invente pas.
— Tequila y jugo de tomate?
— Oui! Gracias!
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Ce texte est le troisième d’une série de textes pour lesquels je m’inspire des notes que je prends quotidiennement depuis maintenant plusieurs années.
Fin de matinée. Je prends un café au petit comptoir devant le magnifique four au bois où les clients viennent commander leur pizza.
Ce matin, la pizzaïolo est une belle jeune femme — probablement 18 ans, tout au plus. Très aimable et très souriante.
La scène est amusante, un vieux couple vient de s’avancer, lentement, difficilement même. Ils sont beaux et complices.
La vieille dame lit le menu à son mari en s’arrêtant parfois pour poser une question à la jeune femme.
Le contraste est frappant: les deux femmes penchées l’une vers l’autre. Au moins soixante ans les séparent, mais elles ont le même regard pétillant.
— Calabrese c’est quoi?
La jeune femme explique doucement… un peu trop doucement.
— Pardon?
La vieille femme s’approche, se penche et tend l’oreille. La jeune femme parle un peu plus fort et simplifie son explication:
— C’est très piquant!
Elle est manifestement convaincue que ce n’est pas un bon choix pour son interlocutrice — mais elle est aussitôt surprise par sa réponse:
— Alors c’est parfait! C’est ce que nous allons prendre! — ravie en regardant son mari, qui confirme d’un grand sourire satisfait.
Il n’y a rien comme une pizza piquante pour rendre heureux!
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Ce texte est le deuxième d’une série de textes pour lesquels je prévois m’inspirer des notes que je prends quotidiennement depuis maintenant plusieurs années.
Trop tôt pour un verre de bulles. Dommage, c’eût été beau clin d’œil au rendez-vous surprise avec Ana — il y a combien d’années déjà?
Je me suis installé au petit bar à expresso.
Je suis bien. J’adore les gares. À toutes les heures.
Devant moi, dans l’immense espace, la sculture d’un homme qui regarde au loin l’air inquiet. Je m’y reconnais. Et pas que moi — parce que quelque chose d’inquiétant est en train de se passer, l’impression d’un glissement, comme si l’avenir était en train de nous échapper. Mais pourquoi? Et que faire?
La rencontre avec F.S. il y a quelques jours m’a fait du bien. Il m’a dit une chose qui me reste à l’esprit: «Quand j’ai quitté cet emploi mes efforts étaient dispersés — j’avais trop de projets. La vie m’a forcé à choisir. Ça n’a pas été facile, mais je sais maintenant que j’ai fait le bon choix parce que tout s’est mis à être beaucoup plus facile. Je me suis mis à rencontrer des personnes inspirantes, les événement se sont enchaînés plus naturellement et chaque jour est devenu stimulant. Je m’épanouis.»
Notre échange m’a fait réaliser que j’ai eu la chance d’être très souvent dans un contexte où les choses se passent ainsi — et que c’était peut-être un peu moins le cas aujourd’hui. Je pense que c’est un rappel qu’il va falloir que je me reconnecte: que je retrouve mon fil conducteur — mon prochain fil conducteur.
Il y a de plus en plus de voyageurs sur le quai de la gare. J’ai beaucoup d’affection pour celles et ceux qui ont des allures de globetrotters, l’air heureux n’importe où, qui parlent et qui rient avec un peu tout le monde. Je m’interroge sur les autres, l’air renfrogné, manifestement pressés, la valise à la main comme un fardeau. Ont-ils vraiment la vie qu’ils souhaitent? Et moi?
Me revient à l’esprit un texte que j’ai lu dans Le Monde il y a quelques jours. Son auteur s’interrogeait sur la place que prend le travail dans la définition de notre identité. Heureusement, je l’ai découpé et glissé entre deux pages du dernier roman de Kim Thuy.
Il me rappelle maintenant où j’en suis dans ma lecture de Vi.
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Ce texte est le premier d’une série de textes pour lesquels je prévois m’inspirer des notes que je prends quotidiennement depuis maintenant plusieurs années.