L’importance d’un blogue pour un écrivain

J’ai évoqué il y a quelques jours le plaisir que j’avais à voir des oeuvres prendre forme grâce au regard que la blogosphère me permet d’avoir sur le travail de certains écrivains. J’ai notamment évoqué le blogue de Stanley Péan à cette occasion. J’y reviens.

J’y reviens parce que celui-ci nous offrait hier un texte absolument remarquable où, faisant référence à une conversation avec une lectrice, il décrit la nature de son blogue, nous offre un aperçu des thèmes abordés dans son prochain roman et même quelques informations sur sa genèse. Le texte, dont le titre est inspiré de celui, provisoire, de son prochain roman, s’intitule À quoi rêve un Bizango? Extraits:

Au sujet de la nature de son blogue:

« [un] site conçu à la fois comme une extension de mon travail de création, une fenêtre virtuelle sur mon atelier, et un lieu de réflexion sur les enjeux personnels, culturels et sociaux qui ont des répercussions sur mon écriture »

Au sujet des thèmes de son prochain roman:

« Les romanciers sont en général assez mal placés pour dire ce dont parlent leurs œuvres, puisque souvent l’essentiel leur échappe. Je dirai cependant que j’aborde ici des préoccupations récurrentes: la violence urbaine, particulièrement celle faite aux femmes; la prostitution et le marchandage de l’affection et du sexe dans les rapports entre les sexes; un certain malaise identitaire qui n’est pas exclusif aux immigrants; le poids parfois accablant de la mémoire; le besoin d’exister dans le regard de l’Autre et, paradoxalement, le désir d’échapper à la geôle que construit ce regard. Un gros programme, quoi. »

Au sujet de ce que peut apporter à un auteur la conversation avec ses lecteurs, notamment à travers le blogue:

« … Ce serait peut-être à moi de vous remercier, puisque l’exercice auquel vous m’avez en quelque sorte obligé m’a permis de faire le point et de préciser ma pensée pour la suite. »

Un texte auquel il me faudra vraisemblablement revenir.

Écrire à l’oral

J’ai bien vu poper dans mon univers informationnel, hier, une foule de réactions à un texte de Christian Rioux, publié dans Le Devoir. Mais ce n’est que ce matin que j’ai pu lire le texte en question: La société des blogs. Un texte qui remet en cause la qualité de ce qui s’écrit pour le Web — c’est ce qui a choqué une partie de la blogosphère. Pas moi.

Non pas que je pense que Christian Rioux a raison, mais je lui accorde tout à fait le droit de secouer les puces de ceux qui écrivent pour le Web s’il le juge nécessaire.

Bien sûr, je trouve qu’il fait preuve d’une généralisation abusive et je trouve qu’il parle un peu trop à travers son chapeau, mais je sais qu’en un millier de mots il faut parfois faire quelques raccourcis. Je pense aussi qu’il a choisi la provocation et je ne lui reproche pas puisque j’ai toujours apprécié l’écriture pamphlétaire. Et puis, de toute façon, je me fous un peu de ce que Christian Rioux pense de la blogosphère. Tant mieux pour lui s’il trouve ailleurs tout ce dont il a besoin pour alimenter sa vie sociale et intellectuelle (dont ses textes témoignent bien de la richesse). Pour ma part, j’ai besoin de ma blogosphère pour y arriver.

La lecture de ce texte m’a surtout fait penser à deux autres textes qui m’ont meublé l’esprit au cours de la semaine — le premier m’est arrivé par le Web, de Montréal, l’autre par mon iPod, des banlieues de Paris.

D’abord un texte de Sébastien Provencher, intitulé A New Year’s Resolution: More Blogging, Less Tweeting, dans lequel il aborde le rôle des différentes formes d’écriture Web dans sa vie intellectuelle — personnelle et professionnelle (Sylvain Carle a publié un complément intéressant à ce texte). Ce texte m’est revenu à l’esprit parce que j’il me semble évoquer, d’un autre point de vue, certaines des idées développées par Christian Rioux, notamment le fait que chaque espace d’écriture a ses forces et ses faiblesses, auxquelles sont associées des contraintes qu’on accepte ou non, comme scripteur.  Une différence importante toutefois: Sébastien Provancher peut parler à la première personne, il a essayé les deux types d’écriture sur lequel il porte son regard; alors que Christian Rioux ne s’est pas aventuré dans la blogosphère, son point de vue est celui d’un observateur.

Le deuxième texte qui m’est revenu à l’esprit est celui d’une chanson de Grand Corps Malade, intitulée J’écris à l’oral, dans laquelle il raconte sa découverte de la poésie, un soir d’octobre sans histoire sur le macadam fatigué du trottoir en pente de la rue des Dames.

Je pense que pour plusieurs jeunes et moins jeunes, la blogosphère est un remarquable espace de découverte de l’écriture — un lieu semblable à ce bar qui a permis à Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade, de découvrir les vers et la musique. Et je ne peux que m’en réjouir.

Moi j’oublierai jamais l’année où j’ai choppé le virus,
Quand tu trébuches sur un hasard et que tu tombes sur un bonus
Ces soirées où l’on se livre, ces moments où l’on se lève
(…)
Ces soirées sont toujours là mais le mieux c’est quand tu fais
connaissance.

On peut écouter cette remarquable chanson en suivant ce lien…

Diderot: Sur ma manière de travailler

Un commentaire publié sur ce blogue au cours des derniers jours m’a amené à faire quelques recherches au sujet de Denis Diderot — l’encyclopédiste.  Pour mon plus grand plaisir, ma mère s’y est mise aussi… et je dois admettre que c’est elle qui a fait la découverte la plus intéressante — et par des méthodes plus traditionnelles que les miennes, dans sa bibliothèque personnelle de vrais livres imprimés (!). À tout seigneur tout honneur.

Dans ce texte intitulé Sur ma manière de travailler, Denis Diderot explique à Sa Majesté Impériale, Catherine II, ce qui est au cœur de sa méthode d’écriture. Il évoque aussi — surtout! — le rôle de la publication, de la consultation, du commentaire et de l’emprunt dans l’élaboration de la pensée. Et c’est là que le texte constitue, à bien des égards, il me semble, une véritable Charte pour les blogueurs.

Il m’a fallu un peu de temps pour retrouver le texte en question sur le Web, mais j’y suis arrivé (ouf!)… grâce à Google BookSearch. J’en reproduis l’essentiel un peu plus bas.

De façon plus précise, notons que le texte que ma mère avait dans un premier temps repéré dans la revue Parachute (numéro 56), était une reproduction extraite des Oeuvres complètes (Éd. Lewinter, Paris, Le Club français du livre, 1971, v. X, p. 772-775). Le texte aurait été écrit autour de 1773.

La version que j’ai trouvée, presque identique, est tirée d’un exemplaire de La nouvelle revue, publiée en 1883 — qui est détenue par l’Université d’Oxford et qui a été numérisée par Google le 6 septembre 2007 [page couverture du livre | début de la citation]

Lire la suite de « Diderot: Sur ma manière de travailler »

Le fil de la mémoire des lecteurs…

Après Ça sent la coupe, je suis plongé dans la lecture de Lectodôme, de Bertrand Laverdure. Mes commentaires suivront bientôt, mais, d’ici-là, voici trois extraits d’un dialogue entre l’auteur et son éditeur, trouvé sur le blogue des éditions Le Quartanier.

« Je suis fasciné par l’apparition d’extraits de livre ou de livres entiers dans les livres. L’univers de la littérature est un univers tautologique, une vaste entreprise de relais d’œuvres. On écrit parce que nous avons lu; nous lisons pour écrire. L’ADN du style de chaque auteur correspond à ce qu’ils ont digéré des livres qu’ils ont lus. C’est pour cette raison que je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de livres mentionnés dans les romans contemporains. Nous vivons à une époque d’abondance littéraire et cet état de fait devrait se traduire par des hommages incessants aux auteurs qui nous ont frappés ou à ceux qui nous agacent. Les auteurs marchent dans une boue d’influences complexe et ils semblent avoir nettoyé leurs souliers en écrivant. »

« Je souhaite transformer chacun de mes romans en magazine contemporain de mes lectures et, incidemment, mettre de l’avant la lecture de mes collègues écrivains, mes lectures québécoises. Pourquoi? Parce que la diffusion des œuvres contemporaines fait défaut. Quelques articles sont publiés à la sortie des livres (encore, si l’écrivain est chanceux) et puis un silence de mort s’ensuit. Pourtant, la vie du livre, surtout de la fiction, repose entièrement sur le relais que peuvent en faire les praticiens ou les lecteurs. Hormis les succès internationaux ou les livres populaires (Le petit prince ou Harry Potter) le relais des œuvres littéraires issues d’un corpus à faible diffusion (comme les livres québécois) ne tient qu’au fil de la mémoire des lecteurs. »

« C’est ainsi que je me suis donné comme mission littéraire d’évoquer dans tous mes romans (Gomme de xanthane, Lectodôme et même le roman pour adolescent qui je publierai en 2009 à La courte échelle) au moins une dizaine d’auteurs québécois que je respecte, ai lus, ou admire. La curiosité intellectuelle est selon moi le premier devoir de l’écrivain. »

* * *

Quand Bertrand Laverdure dit que…

« la vie du livre (…) repose entièrement sur le relais que peuvent en faire les praticiens ou les lecteurs (…) [et que] le relais des œuvres littéraires issues d’un corpus à faible diffusion (comme les livres québécois) ne tient qu’au fil de la mémoire des lecteurs. »

…je trouve qu’il décrit très bien une des raisons qui explique que le développement de la blogosphère est aussi déterminant pour la culture québécoise — et pourquoi la dématérialisation du livre représente une opportunité extraordinaire pour la majorité des auteurs (et des éditeurs) d’ici.

ISBN | 9782923400440