J’étais l’invité du Conseil supérieur de l’éducation, jeudi dernier, afin de répondre à la question « si j’étais ministre de l’Éducation, sur quel(s) thème(s) est-ce que je solliciterais un avis au Conseil ? ». Deux autres personnes devaient aussi répondre à la même question dans le but de lancer une journée de discussion entre les membres des différentes commissions qui composent l’organisme. Il s’agissait de Estelle Morin et de Guy Rocher (wow! quel discours et quel homme exceptionnel!).
Comme je ne disposais que d’une demi-heure, mon principal défi a été de limiter l’étendue de ma réponse. Il m’a fallut élaguer, élaguer, élager… mon principal souci demeurant de prendre un peu de recul sur le système scolaire, dans son ensemble, mais de garder un pied dans la classe, sur le terrain où se passe l’action tous les jours. Les premiers commentaires reçus au terme de la présentation me portent à croire que je n’ai pas trop mal réussi… mais d’autres me diront sans doute que j’aurais sû aller un peu plus loin, ce que je tenterai peut-être de faire dans les prochains mois, parce que je pense que ce texte constitue d’abord et avant tout le point de départ d’une réflexion.
Je dépose ici le texte, dont le titre pourrait être « (re)donner un sens aux gestes de l’enseignant » (en format pdf), parce qu’il m’a été demandé par quelques participants à l’assemblée plénière, et parce qu’il est toujours agréable de recevoir des commentaires sur ce qu’on prend autant de soin à préparer!
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Mise à jour du 8 janvier 2017: le lien ci-dessous ne fonctionnant plus, je partage un nouveau lien vers le document pdf… grâce à Mario Asselin! Merci Mario. [contexte raconté ici]
À monsieur Clément Laberge, ministre de l’Éducation…
Tout d’abord, je vous félicite pour cette nomination. M. Proulx a fait preuve de clairvoyance en vous confiant ce poste. J’ai lu votre premier discours. Je suis à la fois enthousiate et un peu déçu. C’est que je vous connais et j’ai mis la barre un peu haute dans ma critique de votre discours. Vous êtes capable de déranger un peu plus il me semble. Est-ce là l’effet pervers de la fonction que devenir un tantinet plus complaisant envers les membres du Conseil Supérieur de l’Éducation ?
D’abord les fleurs. Monsieur Laberge, votre analyse de la situation est parfaite. Tout y est : le ton, le contenu, les exemples et les références aux avis passés. J’ai y reconnu votre grande maîtrise du dossier de l’éducation. L’allusion (par vos propos) à votre commentaire sur ce billet (http://linuxeduquebec.org/article.php3?id_article=229) est une perle ! Le rappel des événements du colloque de l’Alliance était nécessaire aussi (http://carnets.ixmedia.com/mario/archives/005380.html). Enfin, vous avez pisté les membres du Conseil aux bons endroits; bravo !
Mes réserves sont à l’effet que vous n’ayez pas été assez loin dans votre demande principale. Je m’explique. Vous débutez votre demande d’avis par une tirade de plusieurs « j’ai besoin ». À ce moment de la lecture de votre texte, j’étais tellement convaincu de déboucher sur une demande « dynamite » que votre « Je vous demande de poser un regard politique sur le système scolaire… » m’a laissé sur mon appétit.
Vous allez me permettre de vous suggérer une reformulation plus en lien avec le petit côté subversif que je vous connais; il en est encore temps, M. le ministre…
Le début de votre demande deviendrait à ce moment : «Je vous demande de m’identifier les raisons qui expliquent qu’on soit moins capable d’éduquer aux valeurs et trop enclin à organiser le travail en fonction que « des droits et prérogatives » des travailleurs et pas assez en fonction des besoins des élèves dans le système scolaire…»
Je sais que je n’occupe pas votre fonction et, que de ce fait, je n’ai pas à être politiquement correct, mais si vous m’écoutiez, vous iriez jusqu’à demander de dire s’il est pensable et souhaitable d’imposer dans nos écoles des valeurs comme le respect et l’amour du vrai du beau et du bien ? Il me semble que ces valeurs doivent s’imposer si je me fie au portrait que l’actualité (et vous-même d’ailleurs) faites de notre milieu.
Enfin, je vous soumets respectueusement ce texte, http://cf.geocities.com/francaislangueseconde/grandeur_et_misere_de_la_parentalite_moderne.htm , de Jacques Grand’Maison qui pourrait aussi inspirer les membres de l’illustre Conseil dans l’avis que vous demandez. Je suggère ce texte, car il illustre bien le recadrage autour de la valeur « famille » que l’école devrait davantage prendre en compte dans son developpement futur ! Je suis convaincu que vous serez touché par ce texte qui se termine comme suit : «Le pire drame humain et spirituel d’un jeune, c’est d’être entouré d’adultes qui ne croient plus en grand chose.»
Je vous réitère toutes mes félicitations en attendant le plaisir de vous rencontrez bientôt 1
Hum, petites fautes à la fin, mille excuses : « le plaisir de vous rencontrer bientôt ! »
Visa le noir, tua le blanc?
Je suis très heureux de lire ce regard sur le système scolaire par la question de la perte de sens. Ca me paraît plus juste que de tenter d’analyser les contingences spécifiques qui semblent démobiliser les troupes (réforme, coupures, etc.). C’est en revanche beaucoup plus difficile d’intervenir dans un tel contexte, comme le malaise est profond.
Je suis emballé par cette relecture des documents d’orientation produits dans les dernières décennies (ça me réconcilie avec ce qu’on associe trop souvent au simple jargonnage). On y trouve les bases d’un travail pour le réengagement de l’école dans une réflexion sociale, morale et politique. Il était temps.
Une double remarque, qui fait (bêtement) abstraction du contexte de présentation de cette allocution et donc de ses origines. Elle me semble toutefois symptomatique de certaines défaillances des circuits de réflexion qui devraient actuellement alimenter les réformes et les réorganisations.
À la fois qu’il ne me paraît pas utile, voire pertinent de remonter aussi haut (le Conseil supérieur de l’éducation) pour traiter des moyens à mettre en place pour « reconnecter les principaux acteurs de monde scolaire avec les valeurs et les finalités de l’école » (c’est communautairement qu’il faut agir, à hauteur humaine, et non à coups d’avis et de discours pleins de bonne volonté), il me paraît que ces intervenants, placés à un niveau large et englobant, devraient s’investir dans des réflexions comme celle d’une infrastructure logicielle basée sur de l’open source (car les écoles, localement, n’ont souvent rien à cirer de telles orientations, ces questions relevant plus souvent qu’autrement du domaine des ressources – financières, techniques et humaines). Si un tel développement n’est pas piloté par « en haut » (Dieu nous vienne en aide! :-)), les initiatives locales comme celle du MILLE n’auront guère la possibilité d’avoir une audience très réceptive…
Je ne crois donc pas en une intervention top-bottom pour tenter d’infuser la conscience des valeurs véhiculées par une institution (mais plutôt par des initiatives horizontales, à hauteur d’individus). Sinon, on restera avec la simple impression d’un (autre) discours aux bonnes intentions, qui ne dépasse pas sa simple énonciation, qui ne passe pas le cap de l’intégration, de la mise en application…
Demande d’avis au Conseil supérieur de l’éducation
Clément dans la peau du ministre de l’Éducation ? C’est ce que je viens de lire dans le texte qu’il hyperlie sur son carnet. J’ai déjà commenté au bas de son billet; je ne vais donc pas répéter tout cela… Se retrouver sur la même tribune que Guy Roch…
Je suis évidemment d’accord avec René Audet pour dire que la véritable joute est au niveau communautaire, d’où, précisément, l’idée de la cité éducative et le puissant levier qu’il nous offre pour redonner un sens aux gestes d’éducation. C’est un aspect qui aurait sans doute dû être précisé dans le texte. Je le retiens pour la suite: établir le lien entre ceci et cela.
Je signale toutefois qu’une des grandes qualités des rapports du Conseil supérieur au cours des années a justement été de conserver les pieds sue terre. Le plus souvent les auteurs ont réussi à éviter les grands discours pontifiant pour illustrer par des cas concrets et des exemples des « façons de faire » pour aborder un enjeux.
Pour citer Etienne Wenger, cité lui-même par Stéphane Allaire:
« A theoretical discourse is not an abstraction. It is a set of conceptual tools that enable us to see, think, and act in new ways »
(source: http://carnets.ixmedia.com/stephane/archives/005533.html)
C’est dans cet esprit « d’outillage intellectuel » et de stimulation de la l’activité, sur le terrain, que j’ai désiré solliciter cet avis. C’est d’ailleurs précisément, à mon avis, la nature du mandat du Conseil supérieur de l’éducation depuis 40 ans: baliser la réflexion pour faciliter l’action.
En ce sens, le « comment faire » dans ma question au Conseil se situe bien davantage au plan local que dans l’idée chimérique d’une intervention top-down par laquelle tout reprendrait sa place comme par magie.
Par ailleurs, dans l’esprit de cette discussion sur « le sens des gestes éducatifs »:
Notre langue n’est pas morte, c’est le sens qui se meurt
http://www.ledevoir.com/2004/05/31/55760.html
Quand on devient ministre de l’Éducation, il faut savoir se barder contre l’inévitable mécontentement et la critique :-)
D’abord, mes compliments pour l’ensemble de ton propos, particulièrement pour le ton et l’esprit. Tu n’as certes pas à rougir d’avoir été sur la même tribune que Guy Rocher et Estelle Morin. Un ministre de l’Éducation, plus que tout autre, doit toujours maintenir la perspective sur les finalités de l’éducation, finalité que tu ne manques pas de souligner au passage. Par conséquent, c’est en ce sens que je commenterai ton discours. Mais sache d’emblée que les critiques ne sont rien en comparaison de l’admiration générale pour le discours.
Premièrement, ta connaissance générale (et ton expérience) des dossiers de l’éducation sont certainement bien au-delà de la majorité des ministres que nous avons connus à l’éducation ‹ quoique je serais fort déçu que Pierre Reid n’en ait l’égale (hum ! … il faudrait qu’il le manifeste publiquement). Néanmoins, je te félicite du courage que tu as manifesté dans l’esprit qui anime tes positions. C’est là l’essentiel. Tout le reste, hormis la finalité de l’éducation, est accessoire.
Examinons cependant ton discours au prisme de la finalité de l’école québécoise (éduquer, socialiser, qualifier). Au regard des deux premiers objectifs, tu es parfaitement dans le ton. Malheureusement, pas un mot sur le dernier point. Je suis étonné (pour ne pas dire déçu), d’autant plus que tu as récemment abordé le sujet concernant l’absence des mathématiques et des sciences pour la diplomation au secondaire et que tu m’as personnellement indiqué que la question avait besoin d’être élargie.
Mais il ne faut pas se contenter que de la finalité de la politique ministérielle. Il faut aussi garder en tête la finalité du développement humain, laquelle doit toujours avoir préséance sur la première. Je fais bien sûr aux grandes dimensions de l’être humain : cognitif, affectif, social, physique et spirituel. Dans l’ensemble de ton propos, on sent une préoccupation pour le développement harmonieux de toutes ces dimensions, sauf un : la santé physique. Et pourtant, les besoins sont criants. Par ailleurs, je seconde entièrement Mario qui regrette que tu n’aies pas assez souligné la primauté de l’élève dans la politique éducationnelle (question de finalité, toujours).
Enfin, il faut reconnaître que le ministre de l’Éducation a un rôle important à jouer sur le plan de la gestion du système scolaire. Sur ce point, je regrette que tu n’aies pas manifesté une intention de décentraliser l’organisation scolaire. Pourtant, n’es-tu pas l’ardent défenseur des communautés en tant que creuset d’apprentissage ? Bien sûr que oui. Alors, pourquoi ce silence ? [Je fais un lien sur un article ce matin sur le leadership organisationnel, auquel j’avais déjà fait allusion dans un commentaire.]
En rapport avec la fin de mon texte et les machines à voter américaines, lire aussi ceci:
http://www.micheldumais.com/node/view/52
Curiosité : entendu Pierre-Gilles de Gemmes à Indicatif présent tantôt, qui reprochait à un projet comme Électeurs en herbe d’être du discours en l’air, alors que pour lui, la vraie éducation à la citoyenneté passe par l’apprentissage sur le terrain des valeurs sous-jacentes (par la réalisation concrète d’un projet en commun, par exemple).
Il faut donc souvent expérimenter sur le terrain pour pouvoir établir ces « conceptual tools »… d’où le fait que la matière première à un avis comme celui demandé au CSE doive provenir de la base elle-même, et non d’une simple théorisation fondée sur des principes généraux.
(oui oui, on est d’accord, mais il faut trouver la formulation :-))
Merci, Monsieur le ministre d’un jour, d’avoir replacé la question du logiciel Libre dans son véritable contexte.
La gratuité sert trop souvent d’écran pour cacher les autres valeurs associées au Libre : partage, entraide, égalité…
Ces valeurs sont mises à mal par le néo-libéralisme ambiant (OMC en tête) qui voudrait transformer tout en marchandises porteuses d’un prix. Devra-t-on, un jour, payer pour avoir le privilège de respirer l’air qui appartiendra à une compagnie…
Comme vous le dites si bien, l’école doit se préoccuper des valeurs à transmettre. Encore faudra-t-il les définir. Le néo-libéralisme en est une que j’espère que l’école ne transmettra pas à mes enfants.
Tout d’abord, félicitation Monsieur Laberge pour votre texte et les intéressantes remarques sur le logiciel libre.
Au sujet de l’éducation à la citoyenneté :
En faisant un repérage des présentations de l’ACFAS, j’ai remarqué celle-ci :
http://hercules.is.mcgill.ca/acfas72/S28.htm
(T: Évaluation et bilan critiques de la réforme québécoise de l’éducation en matière d’enseignement de la citoyenneté.)
Le thème et l’auteur (j’ai déjà évoqué un de ses textes précédamment…) ont retenu mon attention. En lisant le sommaire, je me suis demandée si vous aviez assisté à cette conférence, car ça me semble directement lié à vos préoccupations au sujet de l’éducation à la citoyenneté. Je pense entre autre à la fin du sommaire qui évoque la « théorie délibérative de la démocratie » :
« Nous terminerons par une réflexion générale sur l’intégration de ce nouvel enseignement portant sur l’éducation à la citoyenneté, dans le but de clarifier la notion de citoyenneté avant même d’élaborer le type de formation qui s’y rattache. Cet exercice de clarification est motivé, d’une part, par l’absence, dans les projets de réforme éducative au Québec, de références à des travaux en philosophie politique et en théorie de la démocratie, et, d’autre part, par le fait que le terme de « citoyenneté » se trouve à être employé par le ministère de l’Éducation sans que cette notion soit conceptuellement précisée de façon limpide. Pour surmonter ces lacunes, nous tenterons d’expliquer pourquoi la conception de la citoyenneté et de l’éducation à la citoyenneté reposant sur la théorie délibérative de la démocratie se révèle normativement supérieure aux autres conceptions dominantes. »
Sur les valeurs, selon Jim Howden:
http://carnets.ixmedia.com/mario/archives/005574.html
J’aime bien! Je poursuis ma réflexion.
Quelques discussions bien engagées…
Je m’en voudrais de passer sous silence quelques belles discussions entreprises sur les carnets qui portent sur des sujets chauds ! Chez les petits carnetiers du Devoir, « L’abolition des CEGEP réduirait le décrochage » et une « envolée » sur la campagne é…
Petit commentaire sur le « libre-à-code-source-ouvert »…
Ce n’est pas parce qu’on voit le code, qu’on sait comment il marche qu’on a nécessairement le droit de le modifier.
D’où mon désaccord avec « logiciels libres, qu’il serait préférable d’appeler logiciels à code source ouvert ».
C’est d’ailleurs ce qui fait qu’une bonne quantité de compagnies essaient d’approcher les entreprises et les écoles avec des logiciels « open-source » qui ne sont pas libres. Ce n’est pas que c’est mal ou bien, c’est que libre et code source ouvert, c’est différent. Se retrouver avec un logiciel dont on connait tout le fonctionnement mais qu’on a pas le droit de modifier, on peut aussi qualifier ça de « code ouvert ».
voir http://linuxeduquebec.org/article.php3?id_article=56
, pourquoi le logiciel libre en éducation, la partie sur les licences.
Pour le reste, j’ai bien aimé la lecture, intéressant, pertinent, bien situé.
Un dernier détail…
« Ce sont des logiciels du domaine public »…
Évidemment que non. Mettre les logiciels dans le domaine public ne protège pas contre une compagnie qui va faire un ajout au code et retirer son code (le code au complet comprenant son ajout) de la circulation en le rendant propriétaire.
« Être dans le domaine public, ce n’est pas une licence. Cela signifie plutôt que le contenu en question est dépourvu de droit d’auteur et qu’aucune licence n’est exigée. » (tiré de « http://www.gnu.org/philosophy/license-list.fr.html)
Un logicie libre peut être dans le domaine public, mais les logiciels libres (ceux protégés par la GPL, donc une bonne majorité d’entre eux) sont couverts par la loi sur le copyright et ont une licence qui vous permet de faire ce que vous savez.
Ce sont des technicalités, mais des technicalités importantes. Au moins on parle de logiciel libre en français. En anglais, on est pris avec « free » qui veut dire libre mais aussi gratuit…
Comme disent les anglos, ici on parle de « free as in free speech, not free beer ».
Vers mon futur…
Je peux maintenant ouvrir le robinet. Je suis en mesure de nommer comment je veux orienter mes actions des prochains mois. D’abord, bien terminer mon mandat à l’Institut. J’éprouve la conviction d’avoir posé plusieurs gestes pour assurer la pérennité d…