J’ai retrouvé, grâce à Mario, le texte d’une présentation que j’ai faite il y a plus de dix ans sous le thème «si j’étais ministre de l’Éducation…». Je le racontais hier, en complément à ce court texte que j’avais écrit sur mon blogue en 2004 . L’exercice avait pour but d’alimenter la réflexion des membres des différentes commissions du Conseil Supérieur de l’Éducation.
Le texte fait 10 pages (en version pdf) et il est complété par une fausse page couverture de La Presse — qui m’a bien fait rire (voir la fin du document).
Je reprends ci-dessous quelques extraits du document qui me parlent encore particulièrement, pour toutes sortes de raisons, presque treize ans plus tard.
Je reprends aussi des extraits de quelques commentaires qui m’avaient été formulés à l’époque et que je trouve encore très justes aujourd’hui (peut-être même plus importants encore).
Je dois dire que je ressors de cette relecture un peu perplexe, parce que je suis incertain des avancées réelles du système scolaire depuis 2004 — au regard des enjeux que je soulevais dans ce texte, du moins.
D’un côté je me dis qu’il faut absolument réinvestir dans l’école (en faire une priorité, consacrer des efforts, de l’argent, choisir la beauté), et d’un autre côté je me dis que tout cela est vraiment très lourd, et qu’on n’arrivera pas à accorder à l’éducation toute la place qui lui revient dans la société si on mise tout sur l’école (amusant, d’ailleurs, que Mario publie, aujourd’hui même, un texte dans lequel il interpelle directement le ministre actuel).
Tout ça me donne vraiment envie de replonger aussi dans tout ce qui entoure le concept de cité éducative. Je me dis que j’ai peut-être laissé ça en plan un peu trop longtemps.
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EXTRAITS DU TEXTE
Au sujet de l’éducation, de la politique, du sens…
…parmi tous les sujets qui m’intéressent, ce qui me préoccupe le plus actuellement, «dans tous les ordres d’enseignement, c’est le moral des troupes. (…)»
«…ce qui m’inquiète c’est de voir que plusieurs de ces personnes sont fatiguées ou démotivées. Si c’est parfois la lourdeur et la rigidité du système scolaire qui les accablent, je pense que ce qui a l’effet le plus néfaste sur leur « goût de l’école » c’est la perte de sens. (…)»
«…le système scolaire subit indûment les influences des grandes entreprises, de puissants lobbys et du monde politique et qu’ils en sont réduits à préparer les enfants pour un monde qui se définit hors de l’école et de leur contrôle (…)»
«… on a [parfois] l’impression que l’école est à la remorque de la société, on se laisse tirer, sans grande motivation. (…)»
«Le milieu éducatif est (…) très exigeant pour ses acteurs, et cela ne risque pas d’aller en diminuant, comme me l’a déjà rappelé amicalement hier le ministre des Finances (…) [c’est] d’abord et avant tout sur la motivation des gens qu’il faut miser pour aider les principaux acteurs de l’école à développer ou à retrouver le goût de s’engager, le goût du changement et un intérêt pour l’innovation. (…)»
«…il est urgent de redonner un sens aux gestes pédagogiques. (…)»
«Ça nous amène à reconsidérer la dimension politique de l’éducation. Parce que même si c’est un peu tabou, il n’y a pas d’éducation, sans projet politique. Tous les grands pédagogues l’ont bien montré: on enseigne avec des valeurs, avec des projets, à partir d’une conception de l’être humain et des rapports sociaux. (…)»
«Les profs n’ont pas à accepter le monde tel qu’il est, ils peuvent contribuer, modestement, à le changer.»
«[Je fais l’hypothèse que] une école dont le vécu quotidien, les pratiques pédagogiques et les choix administratifs sont cohérents avec des valeurs affirmées et partagées par ses principaux acteurs est un endroit où on a « le goût de l’école » parce qu’on sait que ce qu’on y fait est important, pour soi, pour la communauté et pour la société dans son ensemble.»
«Je vous demande un avis très vivant (…) Un avis qui emprunterait à la fois au Rapport Parent, au magnifique Être et avoir, de Nicolas Philibert, et à Comme un roman, de Daniel Pennac. (…)»
Au sujet des technologies à l’école:
«La logique qui préside au développement des logiciels libres est assez simple: vous pouvez utiliser le fruit de mon travail si vous rendez le fruit du vôtre accessible aux autres aux mêmes conditions. (…)»
«[Ils sont à l’origine] de ce qu’on appelle aujourd’hui la « culture de réseau » (…) c’est une culture qui est en train de bouleverser le monde, de l’industrie musicale (…) au processus démocratique, en passant par les rapports entre l’école et son milieu (d’où le projet de faire de Québec une cité éducative) et jusqu’à la manière dont est produit le matériel didactique dont se serve les enseignants. (…)»
«La question est de savoir si on souhaite investir dans une infrastructure qui permet au système scolaire québécois de se bâtir une expertise pour être en mesure d’adapter des logiciels libres à ses besoins ou de maintenir les écoles dans un état de vulnérabilité où quelques entreprises privées (…)»
«Une fois dans le domaine des valeurs et de l’éthique (et de la pédagogie!), ce genre de question trouve réponse rapidement et suscite le consensus de la majorité des enseignants. Mais encore faut-il poser la question de la bonne manière (…)»
En référence aux risques que de manipulation système électoral des États-Unis devant l’évolution des technologies (un écho particulièrement douloureux à 12 jours de l’investiture de Donald Trump):
«Si on souhaite que la population du Québec soit moins dupe que la population américaine sur ce genre de sujet, nous avons intérêt à remettre à l’ordre du jour la dimension politique de l’éducation… et nous assurer que les enseignants et les élèves comprennent les dimensions morales de ce genre de questions. C’est la démocratie qui en dépend.»
EXTRAIT DES COMMENTAIRES REÇUS
De Mario Asselin:
«Vous allez me permettre de vous suggérer une reformulation plus en lien avec le petit côté subversif que je vous connais; il en est encore temps, M. le ministre (…) [il faut organiser le travail en fonction (…) des besoins des élèves dans le système scolaire (…) [plutôt que] des droits et prérogatives des travailleurs. (…)
«Je sais que je n’occupe pas votre fonction et, que de ce fait, je n’ai pas à être politiquement correct, mais si vous m’écoutiez, vous iriez jusqu’à demander de dire s’il est pensable et souhaitable d’imposer dans nos écoles des valeurs comme le respect et l’amour du vrai du beau et du bien?»
De René Audet:
«…il ne me paraît pas utile, voire pertinent de remonter aussi haut (le Conseil supérieur de l’éducation) pour traiter des moyens à mettre en place pour « reconnecter les principaux acteurs de monde scolaire avec les valeurs et les finalités de l’école » (c’est communautairement qu’il faut agir, à hauteur humaine, et non à coups d’avis et de discours pleins de bonne volonté).»
De François Guité:
«…il ne faut pas se contenter que de la finalité de la politique ministérielle. Il faut aussi garder en tête la finalité du développement humain, laquelle doit toujours avoir préséance sur la première. Je fais bien sûr aux grandes dimensions de l’être humain : cognitif, affectif, social, physique et spirituel. Dans l’ensemble de ton propos, on sent une préoccupation pour le développement harmonieux de toutes ces dimensions, sauf un : la santé physique. Et pourtant, les besoins sont criants. (…)
«…je regrette [par ailleurs] que tu n’aies pas manifesté une intention de décentraliser l’organisation scolaire. Pourtant, n’es-tu pas l’ardent défenseur des communautés en tant que creuset d’apprentissage ? Bien sûr que oui. Alors, pourquoi ce silence?»
Une réflexion sur “Si j’étais ministre de l’Éducation”