J’ai terminé ma lecture de Une histoire du Québec racontée par Jacques Lacoursière — premier livre qui a été choisi pour notre Club de lecture. Je l’ai lu essentiellement pendant des déplacements, sur mon iPhone.
J’ai beaucoup apprécié relire notre histoire de cette façon, sous forme d’un récit — racontée par, c’était très bien choisi comme titre.
Sans faire une analyse exhaustive de mes notes, disons que ce qui m’a le plus frappé au cours de la lecture, c’est jusqu’à quel point notre histoire semble s’être écrite « en réaction » à des décisions ou des gestes posés par d’autres — le plus souvent les Anglais, puis les Canadiens anglophones. Cela ne m’avait jamais autant frappé que dans cette version de notre histoire. Est-ce essentiellement dû à la perspective adoptée par Jacques Lacoursière? ou cela correspond-il à quelque chose de plus fondamental? Je ne sais pas — il faudrait en parler.
Quoi qu’il en soit, j’ai vraiment eu l’impression tout au long de la lecture que, pendant des siècles, nous n’avons essentiellement fait que réagir, et que, progressivement, au XXe siècle, nous avons peu à peu appris à prendre les devants, à proposer, à initier des choses — à prendre le leadership de notre histoire. Et que c’est peut-être dans ces moments là — trop rares — que nous avons réalisé les seules véritables avancées déterminantes pour le développement de la société québécoise.
Devant ces constats/impressions, je me suis donc demandé ce qu’il en était aujourd’hui. Le livre se termine en 2000, alors que s’est-il passé depuis?
Je pense qu’on vient de traverser une décennie où nous avons aussi été essentiellement en réaction — où nous avons moins travaillé à définir un projet de société qu’à adapter ce que nous sommes en réaction à diverses influences, essentiellement fondées sur les thèses du néolibéralisme. On a transformé certains de nos programmes sociaux parce que… on a réduit les impôts parce que… on a augmenté des tarifs parce que… parce qu’il le fallait… parce que sinon… parce que les marchés… Nous avons très rarement réalisé quelque chose en fonction d’un projet, ou d’une aspiration. Nous avons rarement fait preuve d’une attitude progressiste.
Je veux croire qu’on se prépare à entrer dans une nouvelle phase de notre histoire, où nous retrouverons le goût de faire autre chose que de simplement réagir. Je croise les doigts (et un peu plus, quand même — parce qu’il faut y travailler! — et n’est-ce pas d’ailleurs là un des objectifs poursuivit en mettant en place ce club de lecture? je le crois).
J’ai évidemment aussi été frappé au cours de la lecture par la continuité des revendications pour plus de droits, plus de pouvoirs et plus d’autonomie pour le Québec — jusqu’à l’indépendance, parfois — comme on le sait. Et à cet égard, il me semble plus que jamais, au terme de cette lecture, que le moratoire proposé par la Coalition Avenir Québec sur les revendications du Québec est, en ce sens, en complète rupture avec notre histoire.
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Quelques extraits choisis:
Une citation de William Pitt: « Les sujets français, déclare-t-il, se convaincront ainsi que le gouvernement britannique n’a aucune intention de leur imposer les lois anglaises. Et alors ils considéreront d’un esprit plus libre l’opération et les effets des leurs. Ainsi, avec le temps, ils adopteront peut-être les nôtres par conviction. Cela arrivera beaucoup plus probablement que si le gouvernement entreprenait soudain de soumettre tous les habitants du Canada à la constitution et aux lois de ce pays. Ce sera l’expérience qui devra leur enseigner que les lois anglaises sont les meilleures. Mais ce qu’il faut admettre, c’est qu’ils doivent être gouvernés à leur satisfaction ».
Remplacez le gouvernement britannique par les défenseurs du néolibéralisme économique, et on se retrouve assez aisément projeté dans l’actualité récente, non? J’ai eu cette impression en tout cas.
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Le premier ministre Laurier, répondant à Henri Bourassa, fondateur du quotidien Le Devoir, et petit fils de Louis-Joseph Papineau: « Mon cher Henri, la province de Québec n’a pas d’opinions, elle n’a que des sentiments ».
N’a-t-on pas eu, parfois, cette impression au cours des derniers mois?
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« L’emprise de Louis-Joseph Papineau est de plus en plus forte. Il est le leader, parfois contesté, il est vrai, des membres du Parti canadien. Une certaine opposition vient de personnes de la région de Québec qui trouvent que Papineau commence à être trop radical. »
Les premières manifestations du « mystère Québec »? (concept que je rejette par ailleurs).
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EN CONCLUSION — Les questions que j’aimerais approfondir:
1. Est-ce que l’importance de la réaction est bien réelle dans notre histoire?
2. Si tel est le cas, quelles sont les conditions qui ont permis l’avènement de phases plus progressistes?
3. Comment peut-on décrire le contexte actuel par rapport aux deux questions précédentes?
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Un point de détail en terminant: je dois dire que j’ai constaté quelques césures erronées dans le texte (version epub)… elles seront sans doute corrigées dans une prochaine mise à jour. Gilles?
Et une suggestion pour l’éditeur aussi: pourquoi ne pas faire une version numérique enrichie d’une décennie de plus? Ce ne serait sans doute pas très compliqué, ni très coûteux, et ça pourrait susciter un nouvel intérêt pour la diffusion du livre.
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Je réunirai ci-dessous, dans les prochains jours, l’ensemble des liens vers les autres textes publiés par les participants du Club de lecture pour réfléchir à notre société (auquel il faudrait trouver un nom d’ailleurs — n’hésitez surtout pas si vous avez des idées!).
Merci pour ce compte rendu, Clément. Spécial car si on m’avait demandé de résumer notre histoire en quelques mots, «réaction» en aurait certainement fait partie. Apitoiement aussi; et malheureusement alimenté par la trop faible confiance collective que nous avons en nous-mêmes.
Par ailleurs, le jour où l’on arrêtera d’opposer le progressisme au néolibéralisme, on aura peut-être quelque chose de neuf devant nous. D’ici là, gardons nos vieilles pantoufles qui nous font du bien tout en nous permettant de nous plaindre…
Stéphane: est-ce que j’ai opposé progressisme et néolibéralisme? Je ne crois pas. J’ai dit que depuis de nombreuses années, nous avons fait de nombreux choix en réaction aux thèses néolibérales — plutôt qu’en fonction de projets auxquels nous aurions pu / pourrions donner forme.
Ce qui me semble contradictoire avec le progressisme, ce n’est pas le néolibéralisme en tant que tel, c’est l’attitude de soumission avec laquelle nous l’avons abordé, non comme un projet, mais comme un ensemble de diktats auxquels il était pressant/impératifs de se conformer.
Tu ne crois pas?
Intéressant Clément !
Une petite remarque à propos des choix «en réaction à». Si le progressisme peut être autre chose qu’un simple mot (un peu creux?) évoqué constamment «en réaction à», alors il faudrait définir ce que l’on peut entendre comme visée progressiste dans notre horizon. En d’autres termes, «quel progrès souhaitons-nous, ici, maintenant» ? — pour reprendre une formule du second numéro du magazine «Nouveau Projet» (http://nouveauprojet.com/magazine/nouveau-projet-02 ), qui a justement pour thème central cette question. Est-ce que cette question est un signe du temps ? Est-ce qu’il y a suffisamment de personnes qui se posent cette question ? Je ne le sais pas, mais espérons-le.
Car il me semble qu’à défaut de tenter de délimiter quel progrès nous voulons – collectivement, individuellement –, l’évocation du mot «progressisme» risque de rester qu’au niveau de la dynamique réactive, plutôt que d’incarner un idéal, un horizon tangible (je préfère éviter de reprendre ton expression «projets» ;-)).
Enfin, il me semble.
Patrice
très intéressant.
@Patrice — je ne suis pas encore très avancé dans ma lecture du deuxième numéro de Nouveau projet. Je te reviens avec mes réflexions à la suite de la lecture.
@Luis — merci.