Le Club de lecture de Zuck

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Début janvier le fondateur de Facebook annonçait en grande pompe qu’il lançait son Book Club. Toutes les deux semaines, une suggestion de lecture et des échanges. Les réseaux se sont enflammés: une bonne nouvelle pour stimuler le goût de la lecture. Sauf que…

Sauf qu’on dirait bien que Facebook n’est pas une plateforme où il est si facile d’organiser des échanges de cette nature.

Le 18 février A Year of Books, présentait le quatrième livre de la série: On Immunity, de Eula Biss. Aucune description, ni de commentaires de Zuckerberg, avec pour seule invitation:

Feel free to discuss it in the comments here, but please keep all conversation relevant to this book.

Cinq jours plus tard, 975 personnes on cliqué sur J’aime, 73 ont commenté, et 81 ont partagé. Tout cela, parmi 369000 personnes qui suivent la page du Book Club.

Tellement faible que je me suis dit que ce n’était pas possible que le phénomène se limite à cela. Je me suis dit que quelque chose devait se passer sur la page personnelle de Mark Zuckerberg.

Effectivement. Une invitation, lancée le même jour, 18 février. Avec une explication un peu plus complète:

Vaccination is an important and timely topic. The science is completely clear: vaccinations work and are important for the health of everyone in our community.

This book explores the reasons why some people question vaccines, and then logically explains why the doubts are unfounded and vaccines are in fact effective and safe.

This book was recommended to me by scientists and friends who work in public health. It’s also a relatively short book — one that you should be able to read in a few hours. I encourage you to check it out and to join the discussion.

Et, là, au moment où j’écris, 47094 personnes ont cliqué sur J’aime, un peu plus de 3900 ont commenté et 1774 ont partagé — parmi les 31,5 millions de personnes qui suivent la page du président de Facebook, qui répond parfois personnellement aux commentateurs. Ça reste faible… on est loin de l’engouement (Oprah Winfrey peut dormir sur ses deux oreilles!) mais tout de même… En comparaison, quand Zuck a publié ses voeux pour le Nouvel An chinois, le lendemain, plus de 183000 personnes ont aimé, plus de 17500 ont commenté et presque 37000 ont partagé.

Le Book Club n’est manifestement pas suffisant pour faire d’un livre un bestseller… puisque On Immunity est actuellement au 2232e rang des meilleurs vendeurs sur Amazon.com. Le précédent ne semble pas avoir fait beaucoup mieux. Et c’est correct, l’objectif d’un club de lecteurs n’est pas forcément de faire des livres choisis des bestsellers — mais vu les attentes qui avaient été placées sur ce Book Club, c’est tout de même un peu étonnant.

Je pense qu’il est probablement mieux de fonder nos espoirs sur des initiatives plus structurées de médiation de la lecture si on veut avoir véritablement un impact. Vraisemblablement avec des médias traditionnels en appui — et pourquoi pas aussi une contribution du réseau des bibliothèques publiques? Et pourquoi pas les libraires aussi? Quelque chose de complémentaire aux remises de prix littéraires, qui spécialement destiné à donner le goût de la lecture.

Réflexion à poursuivre.

En faveur de la lecture

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Il y a eu plusieurs réactions au texte d’Antoine Robitaille dans Le Devoir du 18 février. Il faut s’en réjouir. J’ai également eu plusieurs commentaires à la suite de la publication de Un mouvement en faveur de la lecture.

Je retiens pour le moment de tout ça les pistes de réflexion suivantes :

  • J’ai un doute sur l’appellation «grands lecteurs» en opposition à «petits lecteurs». Il me semble que nous devrions imaginer une étiquette qui s’appuie davantage sur le type d’oeuvres lues, ou sur le type de lecture, plutôt que sur les lecteurs eux-mêmes. En athlétisme on parle bien de coureurs de sprints et de coureurs de marathons, et non pas de petits athlètes et de grands athlètes.
  • Il faut aussi tenir compte du fait qu’il y a des types de lecture: le survol et l’approfondissement — qui ne sont pas forcément opposés — au contraire même.
  • Cela dit, il faut reconnaître que les aperçus et les occasions de survoler des textes prolifèrent, et que l’idée de stimuler des lectures de fonds est importante, voire indispensable.
  • Il ne faut pas perdre de vue non plus que l’habileté à lire en profondeur, de faire de grandes lectures, prend naissance dans l’enfance, et que, pour cela, on insistera jamais assez sur l’importance «d’apprendre à lire tôt pour ensuite lire pour apprendre, longtemps», pour reprendre l’habile formule de Marc Saint-Pierre. Et, pour cette raison, la situation épouvantable dans laquelle sont la plupart des bibliothèques scolaires ne devrait pas nous laisser indifférents.

Je retiens aussi l’idée que:

  • Le mouvement désiré en faveur de la lecture passe inévitablement par les bibliothèques et les librairies, dont les activités s’inscrivent déjà, à l’évidence, dans une perspective de développement de la lecture, mais qu’il faudrait voir sortir plus régulièrement de leurs murs pour investir plus fortement la ville — par des moyens qui restent à imaginer, mais que nous sommes probablement mieux d’inventer avec elles, plutôt que de chercher à réinventer inutilement la roue.

Et si c’était le rôle des bibliothèques et des librairies que nous étions en train de re-découvrir? ou d’adapter à ce début de XXIe siècle.

* * *

Le Devoir a innové de belle façon avec sa page hebdomadaire Le Devoir de philo — peut-être pouvons-nous imaginer un nouvel espace destiné à stimuler la lecture; hors de la forme classique du cahier Livres (qu’il ne s’agit évidemment pas de remplacer: bien au contraire!).

Pour le centenaire du Devoir, nous avions eu droit à une très agréable série de portraits de lecteurs du journal. Pourquoi ne pas inviter, de la même façon, de «grands lecteurs» (avec toutes les réserves exprimées plus haut pour cette appellation) à présenter leur lecture du moment en prévoyant un espace sur le site du Devoir afin de permettre à ceux et celles qui le souhaitent d’approfondir, collectivement, cette lecture?

Des bibliothécaires et des libraires pourraient être mis à contribution dans cette page / cet espace, dans le but de suggérer des lectures complémentaires voire de les prolonger par des rencontres — et pour inviter les gens à fréquenter davantage ces indispensables lieux de culture.

Je lance ça comme ça…

Une histoire du Québec racontée par Jacques Lacoursière

J’ai terminé ma lecture de Une histoire du Québec racontée par Jacques Lacoursière — premier livre qui a été choisi pour notre Club de lecture. Je l’ai lu essentiellement pendant des déplacements, sur mon iPhone.

J’ai beaucoup apprécié relire notre histoire de cette façon, sous forme d’un récit — racontée par, c’était très bien choisi comme titre.

Sans faire une analyse exhaustive de mes notes, disons que ce qui m’a le plus frappé au cours de la lecture, c’est jusqu’à quel point notre histoire semble s’être écrite « en réaction » à des décisions ou des gestes posés par d’autres — le plus souvent les Anglais, puis les Canadiens anglophones. Cela ne m’avait jamais autant frappé que dans cette version de notre histoire. Est-ce essentiellement dû à la perspective adoptée par Jacques Lacoursière? ou cela correspond-il à quelque chose de plus fondamental? Je ne sais pas — il faudrait en parler.

Quoi qu’il en soit, j’ai vraiment eu l’impression tout au long de la lecture que, pendant des siècles, nous n’avons essentiellement fait que réagir, et que, progressivement, au XXe siècle, nous avons peu à peu appris à prendre les devants, à proposer, à initier des choses — à prendre le leadership de notre histoire. Et que c’est peut-être dans ces moments là — trop rares — que nous avons réalisé les seules véritables avancées déterminantes pour le développement de la société québécoise.

Devant ces constats/impressions, je me suis donc demandé ce qu’il en était aujourd’hui. Le livre se termine en 2000, alors que s’est-il passé depuis?

Je pense qu’on vient de traverser une décennie où nous avons aussi été essentiellement en réaction — où nous avons moins travaillé à définir un projet de société qu’à adapter ce que nous sommes en réaction à diverses influences, essentiellement fondées sur les thèses du néolibéralisme. On a transformé certains de nos programmes sociaux parce que… on a réduit les impôts parce que… on a augmenté des tarifs parce queparce qu’il le fallaitparce que sinonparce que les marchés…  Nous avons très rarement réalisé quelque chose en fonction d’un projet, ou d’une aspiration. Nous avons rarement fait preuve d’une attitude progressiste.

Je veux croire qu’on se prépare à entrer dans une nouvelle phase de notre histoire, où nous retrouverons le goût de faire autre chose que de simplement réagir. Je croise les doigts (et un peu plus, quand même — parce qu’il faut y travailler! — et n’est-ce pas d’ailleurs là un des objectifs poursuivit en mettant en place ce club de lecture? je le crois).

J’ai évidemment aussi été frappé au cours de la lecture par la continuité des revendications pour plus de droits, plus de pouvoirs et plus d’autonomie pour le Québec — jusqu’à l’indépendance, parfois — comme on le sait. Et à cet égard, il me semble plus que jamais, au terme de cette lecture, que le moratoire proposé par la Coalition Avenir Québec sur les revendications du Québec est, en ce sens, en complète rupture avec notre histoire.

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Quelques extraits choisis:

Une citation de William Pitt: « Les sujets français, déclare-t-il, se convaincront ainsi que le gouvernement britannique n’a aucune intention de leur imposer les lois anglaises. Et alors ils considéreront d’un esprit plus libre l’opération et les effets des leurs. Ainsi, avec le temps, ils adopteront peut-être les nôtres par conviction. Cela arrivera beaucoup plus probablement que si le gouvernement entreprenait soudain de soumettre tous les habitants du Canada à la constitution et aux lois de ce pays. Ce sera l’expérience qui devra leur enseigner que les lois anglaises sont les meilleures. Mais ce qu’il faut admettre, c’est qu’ils doivent être gouvernés à leur satisfaction ».

Remplacez le gouvernement britannique par les défenseurs du néolibéralisme économique, et on se retrouve assez aisément projeté dans l’actualité récente, non? J’ai eu cette impression en tout cas.

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Le premier ministre Laurier, répondant à Henri Bourassa, fondateur du quotidien Le Devoir, et petit fils de Louis-Joseph Papineau: « Mon cher Henri, la province de Québec n’a pas d’opinions, elle n’a que des sentiments ».

N’a-t-on pas eu, parfois, cette impression au cours des derniers mois?

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« L’emprise de Louis-Joseph Papineau est de plus en plus forte. Il est le leader, parfois contesté, il est vrai, des membres du Parti canadien. Une certaine opposition vient de personnes de la région de Québec qui trouvent que Papineau commence à être trop radical. »

Les premières manifestations du « mystère Québec »? (concept que je rejette par ailleurs).

* * *

EN CONCLUSION — Les questions que j’aimerais approfondir:

1. Est-ce que l’importance de la réaction est bien réelle dans notre histoire?

2. Si tel est le cas, quelles sont les conditions qui ont permis l’avènement de phases plus progressistes?

3. Comment peut-on décrire le contexte actuel par rapport aux deux questions précédentes?

* * *

Un point de détail en terminant: je dois dire que j’ai constaté quelques césures erronées dans le texte (version epub)… elles seront sans doute corrigées dans une prochaine mise à jour. Gilles?

Et une suggestion pour l’éditeur aussi: pourquoi ne pas faire une version numérique enrichie d’une décennie de plus? Ce ne serait sans doute pas très compliqué, ni très coûteux, et ça pourrait susciter un nouvel intérêt pour la diffusion du livre.

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Je réunirai ci-dessous, dans les prochains jours, l’ensemble des liens vers les autres textes publiés par les participants du Club de lecture pour réfléchir à notre société (auquel il faudrait trouver un nom d’ailleurs — n’hésitez surtout pas si vous avez des idées!).

Un club de lecture pour réfléchir à notre société

L’idée d’un club de lecture axé sur la compréhension de notre société et sur le dialogue semble faire son chemin. Plusieurs personnes s’y sont déjà associées au cours de la journée — après avoir lu mon texte de ce matin — et j’en suis ravi.

Nous avons donc déjà commencé à en discuter, par divers moyens, et voici où nous en sommes pour le moment.

  • Adopter une formule légère: il ne faut pas compliquer les choses.
  • Un livre suggéré au début de chaque mois, par Marie-Hélène Vaugeois, sur la base des suggestions des participants: et pas que des essais, aussi de la fiction, du théâtre, de la poésie — adoptant des points de vue variés — parce qu’il faut sortir de nos zones de confort.
  • L’invitation à publier au cours du mois nos réflexions sur ce livre: sur son propre blogue, ou sur celui d’un autre participant qui acceptera de les accueillir.
  • Une rencontre « en personne » pour ceux qui le souhaitent, au début du mois suivant, pour pouvoir discuter du livre autour d’une bière ou d’un verre de vin… et pour découvrir le livre à partir nous réfléchirons collectivement dans les semaines suivantes.

Même si je ne sais pas si je pourrai toujours y être, je prendrai en charge la coordination de cette rencontre mensuelle pour la région de Québec. Tant mieux si quelqu’un souhaite en organiser de semblables à Montréal ou ailleurs (simultanément ou pas).

Question de pouvoir tester rapidement la formule, nous avons tenté d’identifier un livre à partir duquel le club pourrait débuter son existence — en utilisant le mois de septembre comme période d’échauffement.

Nous avons cherché un livre qui nous aiderait à prendre un peu de recul sur les plus récents événements de la politique québécoise, un livre qui donnerait de la perspective à nos prochaines lectures, sans être trop complexe ou didactique.

Notre choix s’est arrêté sur Une histoire du Québec racontée par Jacques Lacoursière.

Le livre est disponible facilement en version imprimée et en version numérique, dans toutes les librairies et pour toutes les types de tablettes et de liseuses.

Si vous souhaitez participer à ce club de lecture naissant, je vous invite donc à inscrire votre nom au bas de ce texte, dans les commentaires, ou à m’écrire par courriel (claberge arobas remolino.qc.ca). Vous vous assurerez de cette façon de recevoir les prochaines informations.

Cela fait, il ne vous restera plus qu’à commencer la lecture du mois de septembre…

…et à indiquer dans ce tableau vos disponibilités pour la rencontre du début du mois d’octobre si vous souhaitez y participer.

Autres informations à suivre… au fur et à mesure que le projet se précisera.

Lendemains d’élection

Ça m’a pris quelques jours pour retomber sur mes pattes après cette élection aux étranges résultats. Mais ça y est.

Ma brève rencontre avec Jean-Paul L’Allier, jeudi midi, a contribué à me remettre sur pieds. Sa fierté, son humilité, sa passion et sa confiance dans l’avenir étaient palpables — et inspirantes.

Je me réjouis en constatant que plusieurs personnes semblent maintenant ressentir le besoin de s’engager davantage dans les débats sociaux — de façon moins polarisée, plus pédagogique. C’est un défi pour lequel il faudra vraisemblablement sortir de l’instantanéité, en se donnant du temps — un temps nécessaire pour que de véritables dialogues prennent formes.

Or, il n’y a rien comme les livres pour nous sortir de l’instant, et de l’instantanéité.

Je rêve ce matin d’un club de lecture axé sur la compréhension de notre société et sur le dialogue — avec peut-être un regard particulier, plus concret, sur la région de Québec.

Un club de lecture qui pourrait être nourri par les suggestions d’une libraire (Marie-Hélène?), dont les participants témoigneraient de leurs réflexions sur leurs blogues (ou sur celui d’un autre participant), et pour lesquels des échanges entre les participants par blogues interposés (ou autres moyens), seraient valorisés. Avec des rencontres in situ — avec du vin! — à l’occasion, évidemment.

Un livre tous les quinze jours — avec des suggestions plus ciblées à l’intérieur de chaque livre, pour ceux et celles qui auraient moins de temps. Pas que des livres évidents portés par l’air du temps, et pas que des essais… de la fiction aussi, du théâtre aussi — et de la poésie. De la variété surtout, pour sortir des sentiers battus, pour nous forcer à réfléchir hors de nos zones de confort.

Qui serait partant?

On commence quand?

Mise à jour: Le projet prend forme…