Au sujet de pretnumerique.ca

Je présentais jeudi soir, à Montréal, pretnumerique.ca — un système destiné à faciliter le prêt de livres numériques dans les bibliothèques publiques québécoises. C’était dans le cadre du troisième congrès des milieux documentaires du Québec. Un système que j’avais le privilège de présenter, mais qui est le résultat du travail de dizaines de personnes d’un peu partout dans le monde du livre au Québec.

Comme le système prend une forme inhabituelle, et qu’il commence à s’écrire toutes sortes de choses à son sujet ici et là, je prends quelques minutes pour en résumer le fonctionnement ici. En commençant par en résumer la genèse.

À pareille date l’an dernier, à l’occasion de la deuxième édition du même congrès, un dur constat avait été fait: les usagers des bibliothèques publiques québécoises avaient accès à des livres numériques anglophones, mais à très peu de livres numériques francophones — et pratiquement à aucun livre numérique publié au Québec. Les statistiques étaient affligeantes, la situation intenable. Dès le lendemain du congrès, une mobilisation s’est mise en place pour trouver une manière de sortir de cette situation.

Il a rapidement été convenu que la solution devrait être collective et s’appuyer sur un consensus de l’ensemble des acteurs du domaine du livre. Il faudrait que les bibliothèques soient leaders d’une démarche dans laquelle éditeurs, libraires, et distributeurs soient également parties prenantes, tout comme la Société de développement des entreprises culturelles et le ministère de la Culture et des Communications. La table de concertation de l’industrie du livre serait également tenue périodiquement informée de l’évolution de la démarche.

Des dizaines d’heures de rencontres plus tard, un modèle économique et technique a été identifié pour répondre au besoin de rendre disponibles en formats numériques les livres publiées au Québec — et éventuellement beaucoup plus largement des livres publiés ailleurs — aux usagers des bibliothèques publiques québécoises. Déjà quelques bibliothèques l’expérimentent et le déploiement progressif à l’ensemble des bibliothèques est prévu pour le printemps.

Il y a au coeur de ce système un élément clé qui est sous l’unique responsabilité des bibliothèques publiques — qu’elles maîtrisent complètement, et qu’elles auront la responsabilité de faire évoluer. C’est ça pretnumerique.ca.

La genèse: les exigences des bibliothèques

Parmi les exigences formulées par les bibliothèques au début de la démarche, retenons les trois suivantes, qui allaient être déterminantes sur la forme qu’a prise prêtnumerique.ca:

Permettre le prêt de livres numériques sous forme de téléchargement — préférablement à un accès en ligne;

Permettre l’achat de livres numériques à l’unité — préférablement à sous forme de bouquets ;

Garantir un accès pérenne aux bibliothèques aux livres pour lesquelles elles acquièrent le droit de prêts.

Les bibliothèques souhaitaient également pouvoir éventuellement intégrer les livres numériques directement dans leurs systèmes de gestion documentaires existants, de manière à ce que leurs usagers puissent trouver d’une seule recherche, à partir d’un même endroit, les références à des livres imprimés et à des livres numériques.

La genèse: les exigences des éditeurs

De même, les éditeurs ont rapidement formulé un certain nombre d’exigences, parmi lesquelles:

Laisser les livres numériques dans les entrepôts où ils ont été déposés par les éditeurs;

Définir un cadre juridique, notamment pour tenir compte des contrats signés avec les auteurs;

Éviter de fragiliser le réseau de libraires québécois.

Les libraires se sont évidemment associés à ces demandes, appuyées en cela par plusieurs autres acteurs pour lesquelles l’esprit de la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre devrait être respectée pour le livre numérique. Rappelons que cette loi prévoit que les bibliothèques publiques québécoises doivent acheter leurs livres (imprimés) auprès de librairies agréées.

La genèse: les principes directeurs

Partant de cela, les différents acteurs du monde du livre nous avons pu établir un certain nombre de principes directeurs sur lesquels la solution devrait s’appuyer, parmi lesquels:

Les éditeurs seront libres d’offrir ou non leur catalogue de livres numériques aux bibliothèques.

Les livres seront achetés indépendamment les uns des autres (et non pas en bouquets).

Les livres seront acquis de façon définitive, avec la garantie d’un accès pérenne, par les bibliothèques.

Les bibliothèques ne pourront pas mettre en circulation simultanément plus de livres qu’elles n’auront acquis d’exemplaires numériques de ce livre (un livre acheté, une copie prêtée à la fois).

Les livres numériques demeurent dans les entrepôts numériques où ils ont choisi de les déposer jusqu’au moment du prêt à un usager (les bibliothèques n’ont pas de copies des fichiers pour lesquels elles acquièrent le droit de prêt).

Dans le cas où elle ne serait plus en mesure d’exercer le droit de prêter le livre par les processus mis en place avec les entrepôts numériques, les bibliothèques devront pouvoir récupérer une copie sans verrous numériques (DRM) des fichiers pour lesquelles elles auront acquis le droit de prêt de manière à pouvoir exercer ce droit à nouveau.

Le système mis en place

Dans l’esprit, le fonctionnement qui a été retenu au terme de la démarche est la suivante :

1. Les éditeurs déposent leurs livres dans un entrepôt numérique de leur choix.

2. Cet entrepôt numérique leur permet de confirmer qu’ils sont d’accord pour commercialiser leurs livres auprès des bibliothèques, aux fins de prêts numériques sous forme de fichiers chronodégradables auprès de leurs usagers.

3. Les entrepôts numériques rendent disponibles aux librairies, via webservices, une liste des livres dont elles peuvent faire l’acquisition dans ce contexte.

4. Les librairies présentent cette offre aux bibliothèques par l’entremise de leur site Web.

5. Les bibliothèques achètent les livres numériques à partir des sites Web des librairies de leur choix.

6. Les libraires sont responsables de facturer les bibliothèques (processus régulier, par facturation, vraisemblablement imprimée) et de payer les fournisseurs (distributeurs ou éditeurs, selon les cas).

7. Les bibliothèques se connectent, chacune de la manière qui lui convient sur un site commun — pretnumerique.ca — qui assure la synchronisation entre le site des librairies où elles ont fait leurs achats et leurs catalogues respectifs.

8. Les bibliothèques présentent leur offre de livres numériques à leurs usagers de la manière qui leur convient le mieux.

9. Lorsqu’un usager sollicite un prêt numérique, le site de la bibliothèque communique, via webservices, avec pretnumerique.ca, qui relaye la demande jusqu’à l’entrepôt numérique concerné, afin de récupérer les informations qui permettront à l’usager de télécharger son fichier.

10. Le fichier récupéré partira donc directement de l’entrepôt numérique où l’éditeur l’a initialement déposé pour se rendre à l’usager de la bibliothèque. Ce fichier ne sera fonctionnel que pendant une période de temps prédéterminée (typiquement, trois semaines). Il sera ouvert dans un logiciel compatible avec les verrous numériques d’Adobe.

11. Pendant la période du prêt, aucun exemplaire supplémentaire de ce livre ne pourra être mis en circulation — à moins que la bibliothèque n’en ait acheté plus d’un exemplaire numérique.

12. Au terme de la période de prêt, le livre redevient disponible pour les usagers de la bibliothèque.

Le système est ouvert à tous les entrepôts numériques, tous les distributeurs, tous les éditeurs, tous les libraires et toutes les bibliothèques qui le désirent et c’est pretnumerique.ca, qui est au coeur du système, est maîtrisé par les bibliothèques elles-mêmes.

Concrètement

Prenons un exemple concret pour illustrer la chose. Imaginons qu’un éditeur souhaite rendre disponibles ses livres numériques aux bibliothèques publiques québécoises.

À partir de entrepotnumerique.com, par exemple, cet éditeur pourra déterminer qu’il est d’accord pour vendre ses livres aux fins de prêts dans les bibliothèques.

Dès ce moment, les libraires reliés à entrepotnumerique.com sauront que les livres de cet éditeurs peuvent être vendus aux bibliothèques.

Ces libraires sont alors en mesure de constituer une offre de livres numériques à l’intention des bibliothèques.

C’est tout du point de vue de l’éditeur.

La bibliothèque qui souhaite intégrer des livres numériques à sa collection peut alors se rendre sur le site des libraires pour choisir les livres à acheter et procéder à l’achat.

La bibliothèque pourra faire des achats dans les librairies de son choix, qui pourront présenter leurs offres différemment, développer des spécialités, etc.

Et c’est là que pretnumerique.ca entre en jeu.

Pretnumerique.ca se charge de récupérer de façon continue l’information sur les achats réalisés par la bibliothèque dans l’ensemble des librairies et d’agréger cela dans un ensemble cohérent de données, indépendamment d’où l’achat a été fait, de l’entrepôt numérique dans lequel le livre se trouve ou de l’éditeur qui publie le livre. C’est un acteur absolument neutre commercialement, et qui a pour principale fonction de simplifier la gestion technique de tout ça par les bibliothèques.

Ainsi, se reliant uniquement à pretnumerique.ca, les bibliothèques peuvent avoir accès de façon intégrée à l’ensemble des livres achetés — et utiliser les webservices de pretnumerique.ca pour les présenter à leurs usagers de la façon qui leur convient.

Première option: intégrer l’information fournie par pretnumerique.ca via un ensemble de webservices, directement dans leur système intégré de gestion documentaire (SIGB)

Dans ce cas, le SIGB tire de façon continue ses infos de pretnumerique.ca et intègre en temps réel l’information dans le catalogue de la bibliothèque. Il peut alors permettre des réservations, etc. et lier tout cela aux dossiers de prêts des usagers. Dans ce cas, pretnumerique.ca est absolument invisible pour l’usager de la bibliothèque.

C’est le scénario qui est souhaité, à terme, par toutes les bibliothèques.

Deuxième option: donner accès directement aux livres à partir de  pretnumerique.ca

Un mécanisme a été prévu pour les bibliothèques qui, au départ, ne pourraient établir la connexion désirée entre leur SIGB et pretnumerique.ca. Dans ce cas, les bibliothèques pourront, à partir d’une page Web sécurisée réservée à leurs usagers, donner accès aux livres numériques de leur collection par l’entremise d’une interface minimaliste — qui n’est pas à la hauteur de celles des SIGB et qui n’est pas destinée à les remplacer, mais bien uniquement à servir d’alternative, le temps pour les bibliothèques de procéder à un branchement plus adéquat avec leurs services.

Et les contrats?

Le déploiement de toute cette infrastructure comportait un certain nombre de défis techniques, mais aussi de défis contractuels. Dans les deux cas, l’ensemble des acteurs concernés a convenu d’une approche progressive, convaincus qu’il était plus important de commencer dès que possible, avec un système satisfaisant bien qu’on le sache imparfait.

Ainsi, des lettres accords types ont été rédigés de manière à définir les rôles et responsabilités de chacun des acteurs dans ce système, définissant des modalités pour la prochaine année et convenant qu’une contractualisation plus précise devrait être formalisée d’ici le 31 décembre 2012. Et, d’ici là, chacun pourra y aller à son rythme… quitte à attendre à l’année prochaine pour les plus craintifs d’entre eux.

Une démarche à poursuivre

C’est de cette façon que nous avons donc pu nous mettre en marche, ensemble, pour permettre aux citoyens québécois d’avoir  accès rapidement aux livres numériques publiés ici à partir des bibliothèques publiques dont ils sont membres. Pour le moment, plus d’une quarantaines d’éditeurs ont déjà mis à disposition des bibliothèques publiques québécoises près de 5000 titres récents.

Et c’est fort de la démarche collective que nous avons réalisée au cours de la dernière année que l’ensemble du monde du livre pourra améliorer le système au cours des prochains mois et des prochaines années (notamment pour trouver des solutions pour éviter de faire appel aux verrous numériques, peut-être!) — et, cela, sous le leadership des bibliothèques publiques elles-mêmes, qui ont acquis dans tout cela la maîtrise de l’évolution des mécanismes techniques par lesquels les livres seront rendus accessibles à leurs usagers.

Voilà. C’est donc là que nous en sommes. Conscients des limites de la première version de tout cela, mais surtout très fiers des bases que cela pose pour la suite — parce que si tout seul on peut parfois aller plus vite, ensemble on va généralement beaucoup plus loin.

24 réflexions sur “Au sujet de pretnumerique.ca

  1. j’attendais cette nouvelle depuis longtemps déjà. Abonné à la Grande bibliothèque du Québec, j’emprunte régulièrement des livres numériques, et malheureusement,aucun livre numérique québécois. Je comprends qu’on remédiera sous peu à la situation. Pardonne-moi si j’ai raté le passage, si tu en parlais, mais d’un point de vue d’usager, suffira-t-il d’être un abonné d’une bibliothèque participant au programme, Gabrielle roy y participe, je crois, et de la maison aller sur le site de la bibliothèque, entrer notre numéro d’abonné, pour pourvoir ensuite télécharger le livre numérique pour la période de trois semaines. Bref, un peu comme ça se fait avec la Grande bibliothèque du Québec.
    Bravo pour tout ce travail, mon ami.

  2. Merci Clément, clair net et précis. Transparent même, tout à ton honneur.

    Évidemment tu te douteras que j’aimerais apporter deux nuances du point de vue de l’éditeur :

    1. La première est d’ordre sémantique, mais je remplacerais « craintifs » par « prudents ». Vous n’avez pas idée du contenu de certains contrats, particulièrement ceux signés avec des agents dans le cadre de traduction. Tu te souviendras que nous avons in extremis changé les termes des lettres d’ententes… et que tout reste à faire !

    2. Tu laisses aussi entendre que le milieu s’est entendu sur un certain nombre de principes dont la question de l’accès pérenne. Ce point précis sera, tu le sais bien, au cœur des rencontres qui se tiendront dans la prochaine année. Parce que, comme le disait Woody : « c’est long l’éternité, surtout vers la fin ».

    Ceci dit, c’est une bonne chose que cela aille de l’avant malgré les écueils.

  3. Je reprends les paroles de M.Herman qui résume parfaitement bien mon commentaire « Merci Clément, clair net et précis. Transparent même, tout à ton honneur ».
    Très intéressant ! Dire que le grand public ne réalise pas jusqu’à quel point cela demande du travail et surtout de la réflexion/négociation avant d’arriver à un tel accès ou service. M et Mme n’auront qu’à cliquer de leur fauteuil ou presque pour emprunter un livre numérique. Une chance que nous avons du monde comme toi et ton équipe élargie pour nous offrir cela sur un plateau « facilitant ».
    Pour paraphraser ta conclusion… oui, voyons plus loin!

  4. En tant que lecteur, j’attends la venue des livres numériques québécois, et de partout, avec impatience dans toutes les bibliothèques! Enfin et bravo!

    En tant qu’auteur, j’ai hâte aussi, en espérant que les oeuvres d’ici seront aussi lues ailleurs dans le monde.

    Et en tant que futur bibliothécaire, c’est une nouvelle avenue très stimulante!

    Bref, que du bon.

    Un dernier mot : pensez d’abord aux utilsateurs.

  5. Très bon travail de synthèse. Mais concrètement, pour l’utilisateur, comment fait-on pour se connecter pour emprunter un livre? Parce que sur pretnumerique.ca, on voit les bibliothèques qui participent (est-ce que bibliothèques de Montréal incluent toutes les bibli?), mais je n’arrive pas à me connecter (peut-être est-ce pcq j’ai une carte pour la bibliothèque de LaSalle et qu’elle ne fait pas partie des bibli MTL?).

    J’ai bien hâte de tester le système (je suis partant pour être un beta testeur, si vous en avez besoin :)

  6. Étant donné les possibilités infinies qu’offre le numérique, je ne comprends pas qu’on s’acharne à reproduire le modèle physique. Pire: le livre électronique sous verrou numérique impose plus de restrictions au lecteur que le livre imprimé.

  7. @Gilbert Dion: il ne s’agit pas de tenter de reproduire le modèle physique, seulement de se donner le temps de bien faire la transition, avec les auteurs, les éditeurs, et autres acteurs du monde du livre. Avec des approches et des solutions qui nous conviennent plutôt qu’avec celles que tentent autrement de nous imposer les Amazon, Apple, Google et autres nouveaux géants du secteur.

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