Mario voulait savoir…

Dans un commentaire laissé en réaction à mon texte Où s’en va l’éducation, Mario me demandait il y a quelques jours de quelle façon mes deux années passées en France ont pu teinter ma réflexion sur l’éducation. En d’autres termes, si j’ai bien compris, il me demandait de préciser en quoi mes idées sur le sujet ont pu évoluer depuis deux ans.

Je présume que Mario m’interroge à ce sujet parce qu’il trouve que je n’ai pas suffisamment témoigné de cette évolution au cours des vingt-quatre derniers mois — n’écrivant pas assez régulièrement sur mon blogue. Il a bien raison.

Alors, je me lance pour une première version de cette réflexion — à parfaire dans les prochains jours/semaines.

Je pense que j’ai une vision de plus en plus culturelle et de moins en moins scolaire de l’éducation. L’école est certes (à l’évidence!) un outil indispensable à l’éducation mais la réforme des systèmes scolaires m’apparaît de plus en plus insuffisante pour permettre à une société de conserver la maîtrise de son développement et de pouvoir assurer une vie heureuse à toutes les personnes qui la composent (surtout quant on pense aux invraissembables efforts que ces réformes exigent!).

Je suis plus convaincu que jamais que les nouvelles technologie de la communication sont INDISPENSABLES au fonctionnement de nos systèmes politiques — et donc à l’élaboration des projets de société dont dépendent nos visions de l’éducation. Je n’ai rien perdu de ma conviction dans le potentiel démocratique des blogs, des wikis, des médias communautaires, etc. — au contraire, je ne cesse de m’émerveiller devant les exemples de leur fonctionnement encore plus efficace et puissant que je pouvais le croire!

Je suis de plus en plus intéressé par la profonde transformation du rôle des médias dans le fonctionnement de la société — j’en suis même parfois à penser que leur rôle ne sera bientôt plus de « critiquer le pouvoir politique », comme on l’a souvent dit, mais d’animer l’espace démocratique et de rendre audible ce qui, dans la rumeur, permet de reconstituer une véritable agora (un espace public qui était possible avec un petit nombre de personnes ayant droit de parole, mais qui n’est pas spontanément possible avec une parole aussi largement distribuée).

Pour cette raison, je commence à accepter l’idée que les excès des uns sont davantage dans l’intérêt public que le silence ou les excès de nuances des autres — et, qu’en ce sens, il conviendrait parfois davantage de condamner ceux qui hésitent ou refusent de s’engager dans le débat public que ceux qui le font… même maladroitement. Je pense qu’il faut davantage utiliser notre capacité à faire des nuances dans l’écoute que nous faisons de l’opinion d’autrui que dans la formulation de nos propres idées.

Je continue de croire que le rôle des intellectuels, particulièrement dans ce contexte, n’est pas d’apporter des nuances sur les idées d’autrui, mais de s’appuyer sur leur compréhension approfondie des dossiers pour prendre le risque de formuler des propositions — au risque qu’elles ne soient pas retenues. La force de proposition des intellectuels nous est plus indispensable que jamais, il faut trouver des manières ingénieuses de les encourager à s’engager dans le débat public.

Je suis aussi de plus en plus convaincu du potentiel éducatif des médias — je vais parfois jusqu’à penser qu’une partie de la mission qui a été confiée à l’école au cours du dernier siècle pourrait éventuellement être assumée par de nouvelles formes médiatiques. Une réflexion à poursuivre….

Je continue évidemment — et plus que jamais! — à croire dans la symbiose de l’espace urbain et de l’espace éducatif — de l’espace où l’on vit (ensemble) et de l’espace où l’on apprend. Parce qu’il n’y a pas d’apprentissage sans projet et que la cité, c’est le projet par excellence; celui, le seul, qui conditionne et dont dépend notre quotidien, notre rapport à l’autre proche, à demain. Et là-dessus mon expérience parisienne m’a appris la force des événements festifs (comme la Fête de la musique, par exemple) et des projets d’infrastructure collective (comme les Vélib’ et le Tramway, par exemples).

Et, par dessus tout (peut-être), je suis de plus en plus convaincu qu’on peut profondément faire confiance aux gens, à la population, comme groupe, à la foule — que quand on lui propose un projet stimulant, quand on lui offre l’occasion de s’engager, elle sait le reconnaître et la saisir avec enthousiasme. Je suis de plus convaincu qu’avec de bons moyens de communication et des nouveaux médias efficaces, cette foule saura généralement reconnaître le projet dans lequel s’engager, celui « qui a du sens » — un sens qu’il est plus que jamais de la responsabilité des élus et des pouvoirs politiques de savoir mettre en évidence. Un pari fou? Peut-être… mais aussi une utopie que je crois de plus en plus nécessaire!

Ce n’est sans doute pas très clair tout ça… mais j’ai quand même envie de le publier ainsi pour profiter des réactions de Mario (qui ne regrettera sans doute pas d’avoir posé sa question!) et d’autres lecteurs… et en faire éventuellement une version améliorée.

10 réflexions sur “Mario voulait savoir…

  1. Je viens d’arriver d’un souper de famille. Il est minuit et dix. J’ai eu ton message courriel sur mon «black» et je savais qu’il ne me serait pas possible d’aller me coucher en arrivant. Je viens de me servir un bon calvados après avoir lu ton billet. Là, on jase… Avec ce que tu viens d’écrire, j’ai pas le goût d’aller au dodo.

    Je veux dire qu’il y a dans cette série de réflexions, matière à réactions. Et avant de ce faire, je vais me permettre de te dire que ton texte de mercredi soir était bien, là n’est pas la question. C’est juste que je sais de quoi tu es capable et je lisais à la fin de chaque paragraphe (entre les lignes) quelque chose du genre «je pourrais en dire davantage, mais voici ce qui émerge en premier». Je ne sais combien de fois depuis deux ans j’ai lu «il me faudra y revenir»… et cette fois, je me suis dit qu’il fallait que je t’y invite, sans «faux fuyant» ;-)

    Tu n’as pas radoté l’autre soir. Mais tu n’as rien affirmé que nous ne sachions pas déjà de toi…

    Et ce soir, je lis des propos plus affirmés. Je suis ravi…

    Commencons par cette perle, «Je commence à accepter l’idée que les excès des uns sont davantage dans l’intérêt public que le silence ou les excès de nuances des autres». Tu goûtes à Paris à ô combien de démesures et je me disais qu’un jour, je saurais jusqu’à quel point cela te travaille au corps. Toi le fils de bonne famille, le bon gars… je me prends à souhaiter que tu tournes les coins un peu plus carrés parfois, car l’expression de tes idées est trop souvent balisée par la petite voix que tu entends et qui déjà, balise ce qu’un et l’autre pourrait te répondre. Les Français ont cette façon de débattre (dans le sens de battre des idées en les secouant violemment) qui ne peut que t’avoir frappé et stimulé…

    L’autre point qui me révèle que tu as creusé réside dans ta perception du rôle des médias dans le fonctionnement de la société. Tu joues dans les ligues majeures dans ton agora Parisien et je suis impressionné à chaque fois que je te visite de t’écouter raconter combien la prise de parole citoyenne te touche. Et cette parole a à voir avec le devenir de l’éducation. Oui les gens s’emmêlent… mais au moins ils s’en mêlent. Cette façon de se sentir responsable au point où plusieurs se disent que s’ils n’interviennent pas, personne ne le fera, nous manque cruellement au Québec. Des exemples comme les vélib et ce qui s’est passé avec les SDF n’ont pas d’équivalent ici. Si toi tu ne témoignes pas de ce que ça change… qui le fera Clément?

    Et puis ce soir, il me semble que tu réaffirmes avec davantage de convictions ton préjugé pour le potentiel démocratique des blogues, des wikis (et des autres outils de collaboration). Je sais que tu vois des choses qui changent ta perspective; en cela, ne prends pas pour acquis que nous avons accès à ces exemples d’utilisation originale et inusitée. Tu ne nous as pas assez parlé de Rue89 ou de tes apprentissages dans l’utilisation de ces outils pour faire ta place dans cette jungle (parce que s’en est une) où même si on te voit venir de loin, on te procure l’espace pour déranger et dé ranger…

    Enfin, parce qu’il faut bien que j’aille bloguer un peu de mon côté, laisse-moi te dire que tu manques encore un peu de fermeté dans ton analyse des «effets réforme». Vrai que c’était ton premier point et que tu n’étais sûrement pas encore réchauffé, mais tu as à affronter à tous les jours le Mammouth. Je ne peux pas croire que pour faire avancer tes idées, tu dois arriver avec une main tendue et une pomme dans l’autre. J’aimerais te lire sur les conditions absolues à mettre en place pour avancer, les «non-négociables» qu’il faut ériger pour rester debout au moment où on se contente de si peu.

    Je te sais attentif aux gens et présent au quotidien de ton équipe de travail. Mais tu sais comme moi que tu as réussi à faire bouger des «pas possibles»; nous avons besoin de cette inspiration (je ne parle pas de recette, je sais qu’il n’y en a pas) pour emprunter les itinéraires moins fréquentés. Tu ne fais pas que composer avec la foule… encore moins t’y cacher, alors que ce serait si facile. Je sais que ce pari fou d’emprunter un sentier moins fréquenté de la démonstration argumentée et constante malgré la rhétorique bien organisée et souvent flamboyante t’a fait développer des forces qui raffermissent tes convictions. Je lis ce soir que tu crois encore davantage au devoir de proposer… J’en ai besoin…

    J’avais aussi besoin de le lire sans «utiliser le pilote automatique» qui «fait la job», mais qui ne représente pas ce dont tu es capable.

    Ce n’est pas encore très clair tout ça, je l’admets. Mais je crois qu’après deux ans, le temps est venu de nous raconter ce que tu observes, pas ce que tu comprends de ce que tu observes. Et en nous le racontant, tu sauras encore mieux lier tes convictions avec nos réactions pour qu’ensemble nous comprenions que l’éducation doit être plus culturelle que scolaire (je l’aime beaucoup celle-là).

    Si on soustrait la part plus institutionnelle à l’éducation, il nous reste la culture. L’école de La République vit des tourments qui risquent de te fournir bien des enseignements dans les prochains mois. J’ai vraiment le goût que tu nous prennes à témoins. Derrière le système que tu commences à mieux comprendre, je me dis qu’il y a une essence (pour ne pas dire une nature) qui peut nous aider à révéler ce à quoi on devrait tenir ici.

    Je veux dire qu’il est peut-être temps de passer d’un système d’éducation à un réseau d’éducation.

    Je n’avais pas pensé à écrire ça avant de commenter ton billet, mais quand j’ai lu «parole aussi largement distribuée» mis en opposition avec «réforme des systèmes scolaires», je me suis dit que ce qui se passe en France actuellement peut possiblement venir de ces réseaux qui s’organisent et se structurent contre (j’ose) le système. N’est-ce pas un peu son gôut de se battre contre le système qui fait de Sarkozy un homme politique qui progresse «en réseau» et en potentiel «attractif»?

    Plus j’y réfléchis, plus je me dis qu’on joue peut-être trop le jeu du système et pas assez celui des réseaux, ici, actuellement.

    Qu’en penses-tu d’où tu es?

  2. Bonjour Monsieur Clément Laberge,

    Dans vos deux récents billets, je trouve la pensée d’un homme articulé, quoique inquiet et probablement interpellé par de nouvelles expériences de travail. Tout cela est sain et profondément humain. Je rêve du jour où le monde des enseignants aura une telle qualité de réflexion que je retrouve aussi chez François Guité, un de vos collègues blogeurs, je crois. Je suis pas d’accord avec tous vos propos, mais j’y reconnais les qualités des véritables éducateurs. Pour moi, une de leurs caractéristiques est de réfléchir au pourquoi avant de proposer un comment.
    Je ressens cependant un malaise dans la façon dont monsieur Mario Asselin a de vous mettre au pied du mur pour vous pousser à clarifier vos propos. Je ne crois pas que cette manière de procéder augmente la qualité des réseaux d’affinités. Et surtout ça ne donne pas le goût de s’y insérer.
    Pour moi, un réseau ça se crée par une affinité de vision et par une volonté d’agir. Et pour y arriver ça prend de la rigueur, une pensée articulée et un désir de changer les choses en profondeur même si tout le monde croit que c’est une utopie. Et ça prend un grand respect du cheminement de chacun.
    J’admire les gens qui creusent le même sillon pendant longtemps, souvent pendant toute une vie.

    Claude Paquette
    Écrivain et pédagogue
    http://www.claudepaquette.qc.ca

  3. Chic, une vraie discussion pour se remettre dans le bain au retour des vacances…Je suis d’accord sur un point, Clément, c’est que les habitants de la cité ont une formidable capacité à s’emparer des propositions culturelles qui leur sont faites. Tu cites la fête de la musique et Velib’. On l’a vu aussi avec les Nuits Blanches à Paris, qui jetaient dans les rues de la capitale, par milliers, des gens de tous âges qui se retrouvaient à faire d’interminables queues pour découvrir des performances ou des installations, se parlaient, échangeaient leurs impressions.
    S’allonger dans la pénombre sur le sol d’un gymnase et écouter une étrange musique, lever la tête pour voir les tours de la BNF transformées en un gigantesque Tetris, voir bouger très lentement des vidéos dans l’église de La Madeleine, autant d’activités improbables et hautement réjouissantes, touchant le plus grand nombre.
    J’ai assisté à des événements similaires à Nantes. Un homme, Jean Blaise, était d’ailleurs aux manettes pour la conception des deux événements.

    J’aimerais rapprocher ce type d’événement, à l’échelle de la cité, d’un autre, à une échelle plus petite, qui est celui mis en scène dans le film l’Esquive. (Qui passe cette semaine sur Arte.)
    Ou comment des élèves issus de milieux défavorisés s’emparent d’une pièce de théâtre, et s’investissent dans la préparation du spectacle.

    Le pari est fait d’offrir aux citadins, dans un cas, et aux élèves, dans l’autre, des oeuvres de qualité. De ne pas anticiper sur un éventuel désintérêt, de ne pas cibler « la ménagère de moins de cinquante ans ». De rendre possible le « réenchantement du monde ». Et, dans les deux cas, le succès est là. Forcément partiel et mitigé. Mais quelque chose se passe. Frémit.

    Je rêve quant à moi pour l’école de ce frémissement, je rêve d’une école qui bouscule les élèves. Qui les étonne. Qui leur donne le goût du risque : car penser est chose risquée.

    Il me semble qu’avant toute chose, l’école devrait apprendre aux enfants à OSER.
    Oser s’aventurer dans un livre inconnu, même quand les premières pages sont un peu déroutantes. Oser étonner ses oreilles avec des sons jamais encore entendus.
    Oser se poser devant un tableau cubiste. Oser joindre sa voix à la chorale. Oser proposer sa question au prof d’histoire. Oser s’exprimer dans une langue étrangère. Oser se présenter aux élections des délégués.

    Parce que, comme le rappelait Philippe Jammet à la radio il y a quelques semaines, il faut oser réussir. L’échec est confortable, car il est certain. Il est facile de continuer d’échouer. Une fois que l’on est en échec, il n’y a aucun danger que l’échec cesse de lui même.
    La réussite est beaucoup plus dangeureuse : car il faut sans cesse faire des efforts pour continuer de réussir. On ne s’installe pas confortablement dans la réussite. Trouvons comment donner aux enfants ce goût de « prendre le risque de réussir », et, plus difficile encore, comment le redonner à ceux qui ont commencé à se construire une identité dans un perpétuel échec, sans surprise.

    Peut-être pourrait-on appliquer cette même réflexion aux réformes de l’école. Il est confortable, finalement, de se gausser perpétuellement des échecs de l’école, de se moquer du mammouth, d’en borcarder les insuffisances, de s’en prendre aux corporatismes, aux syndicats, aux ministres, aux réformes, au pédagogisme…
    Il serait beaucoup plus risqué de parler des succès, des réussites, des progrès : oh là là, il y en a qui obtiennent des résultats… mais jusqu’à quand ? Et comment font-ils ? Et pourquoi eux ? Oh, ne vous inquiétez pas, ils finiront bien par se planter. Retrouver le confort de l’échec. De se retrouver tout en bas,là où l’on ne risque pas de tomber plus bas.

  4. @Mario: Merci pour tes commentaires, très riches.

    Je retiens particulièrement que tu souhaites que je « tourne les coins un peu plus carrés parfois ». Cela tombe bien parce que j’ai justement envie de le faire. Mais sois certain que je ne compte pas en faire un jeu. Je ne crois pas aux bienfaits de la provocation.

    Je retiens aussi que tu souhaites que je témoigne plus souvent de ce que j’observe ici. J’essaierai.

    Tu aimerais aussi me lire « sur les conditions absolues à mettre en place pour avancer [la réforme] ». Alors là, ne compte pas sur moi. Les absolus, très peu pour moins. Et je n’ai pas de leçons à donner à personne.

    Par ailleurs, sur le fond:

    Tu suggères qu’il est temps de passer d’un système d’éducation à un réseau d’éducation. J’y crois profondément — c’est d’ailleurs le sens de la proposition visionnaire de Illich, qui parlait déjà, il y a quarante ans, de remplacer les écoles par les learning webs.

    Tu dis: « si on soustrait la part plus institutionnelle à l’éducation, il nous reste la culture » — je ne suis pas sûr que ce soit si simple. Et d’ailleurs, je n’aime pas parler de « part institutionnelle » de l’éducation — c’est l’école qui est institutionnalisée, pas l’éducation en tant que telle, ni l’apprentissage. Heureusement!

    Mais sur le fait que nous jouons probablement trop le jeu du système est pas celui des réseaux, alors là.. pour ça, je suis absolument d’accord avec toi!

  5. @ Claude Paquette

    Merci beaucoup pour votre message, qui m’a fait le plus grand bien. D’abord parce qu’il comporte beaucoup de bons mots — ce qui n’est jamais désagréable! — mais aussi parce qu’il me rappelle la valeur de l’approfondissement. Il me rappelle que la nécessité d’approfondir (le devoir des intellectuels; sur lequel repose la responsabilité qu’ils ont, de mon point de vue, de proposer) ne saurait être compensée par de l’action — et que même si on peut parfois avoir l’impression de « se répéter », le simple fait de varier les mots qu’on emploie pour pour formuler nos idées leur permet d’évoluer lentement, et de progressivement se préciser.

    Sur le fond, et même si vous ne me dites pas avec lesquels de mes propos vous n’êtes pas en accord (je vous invite d’ailleurs à le faire), j’ai pris la peine de me remettre en question sur chacun des éléments que j’avais formulés (aussi flous soient ils encore, à bien des égards).

    À la suite de cette exercice, réalisé 48h après la première formulation, la seule affirmation que je sens clairement le besoin préciser, à ce stade, est celle qui concerne le rôle des médias. Il est sans doute excessif de dire, comme je l’ai fait, que « [le rôle des médias] ne sera bientôt plus de « critiquer le pouvoir politique », mais de… ». Il serait sans doute préférable de dire que « au rôle de critique des pouvoirs publics des médias devra bientôt s’ajouter un rôle de… ». Je vous remercie de m’avoir permis de détecter dès maintenant cette exagération.

    Quant à la façon dont Mario Asselin « m’a mis au pied du mur », il ne faut pas trop s’en faire. Je suis ici chez moi et j’aurais simplement ignoré son commentaire si je n’avais pas eu envie d’y répondre. Je l’ai fait parce que j’ai cru que c’était une belle occasion de « forcer un peu ma réflexion » — de sortir de ma zone de confort (concept que je préfère nettement au « pilote automatique » évoqué par Mario) — et en profiter pour comprendre un peu mieux, grâce à l’écriture, de quelle manière la vie en France a pu, jusqu’à présent, influencer ma réflexion.

    Y suis-je arrivé? Je ne sais pas. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine: l’intervention de Mario, la vôtre, celle de Virginie Clayssen (et celles qui suivront peut-être) contribueront à ce que je sois plus attentif à l’évolution de ma pensée au cours des prochains mois — et ça, c’est très précieux.

    Encore merci pour votre message.

  6. @ Virginie:

    Je suis ravi d’avoir pu contribuer à « ta remise dans le bain » au retour des vacances! Mais vu la qualité et la quantité de contenu que tu fournis pour alimenter la discussion… je pense que ou bien tu n’as pas beaucoup cessé de réfléchir, ou bien tu as su plonger vraiment très rapidement! Merci pour cet apport en tout cas.

    Sur le fond, je retiens d’abord ton idée d’une école qui devrait apprendre aux enfants à oser. J’aime beaucoup le choix du mot, que je préfère dans ce contexte à « créer », « innover », « entreprendre » — parce qu’il les inclus tous, il me semble, et parce qu’il sait mieux s’adapte à chacun. Oser, c’est forcément quelque chose qui se défini à partir de soi — comme l’éducation, par définition. C’est ce que l’école, comme institution, a trop souvent perdu de vue.

    [et d’ailleurs, est-ce que l’audace est bien le nom qui correspond au verbe oser? il me semble qu’il y a une nuance qui m’échappe]

    Je retiens aussi ces rapports établis par Philippe Jammet entre l’audace, la réussite, le confort et l’échec. C’est vrai que la réussite est parfois dangeureuse (stimulante aussi, heureusement!). De ce contexte, le rôle de l’éducateur est probablement plus que jamais de lutter contre « le confort et l’indifférence », pour reprendre les mots de Denys Arcand [1] — et cela, dans sa classe comme dans la société en générale, parce que l’éducation est politique, forcément — on y revient (c’était d’ailleurs la profonde conviction de Freinet, que tu cites, par hyperlien, dans ton commentaire!)

    Merci à toi aussi… et bon retour!

  7. «Je ressens cependant un malaise dans la façon dont monsieur Mario Asselin a de vous mettre au pied du mur pour vous pousser à clarifier vos propos.»

    Je reçois votre malaise M. Paquette.

    Je crois que le contexte des échanges de courriels en parallèle à la discussion ici m’a fait choisir un ton qui pourrait vous faire croire que mes intentions sont hostiles, mais rassurez-vous, j’ai énormément de respect envers les positions de Clément. Je comprends très bien qu’on ne soit pas attiré à se lancer dans une discussion où un drôle d’énergumène harangue le participant qui participe.

    Ma motivation était davantage une invitation à aller plus loin qu’à changer de direction. Je n’ai probablement pas été assez clair.

    Un mot à propos de «l’école [qui] devrait apprendre aux enfants à OSER». Je suis de tout coeur avec cette orientation. Je trouve que l’école en général valorise trop le conformisme ce qui a très peu à voir souvent avec la rigueur, la discipline et le respect du code de vie qu’il est normal d’exiger dans toute forme de vie en société. Après ça, on veut développer la créativité et l’entrepreneuriat…

    Quant aux conditions absolues, j’ai probablement exagéré Clément. Je me contenterais volontiers de pistes pouvant initier et piloter les changements qui sont nécessaires sans vouloir faire tabula rasa à tout instant…

  8. Salut Clément,

    Je ne suis pas retourné dans tes archives pour vérifier, mais il me semble avoir lu assez souvent sur ton carnet que tu souhaitais que l’école s’ouvre davantage à la société. Là, ça n’y est pas. En revanche, en lisant ton tout premier point, j’ai eu l’impression qu’un retournement de perspective était en train de s’opérer. Peut-être est-ce une mauvaise interprétation de ma part, mais ce premier point, je l’ai lu comme si la chose était prise par l’autre bout de la lorgnette : que la société s’ouvre davantage à l’éducation.

    Bien sûr, qu’on prenne l’ouverture par un bout ou par l’autre, il y a une idée commune : celle de vases communicants entre les deux. L’idéale ouverture de l’éducation à la société peut se comprendre assez bien, dans sa forme idéale. D’ailleurs, il me semble que les cloîtres de toutes sortes sont disparus de nos paysages… outre le constat, on peut par exemple se remémorer les débats, au Québec, aux origines de l’avènement des *Polyvalentes* et des Cégeps (dont on fête d’ailleurs les 40 ans du réseau)… et même songer à l’université, un milieu parfois perçu comme une tour d’ivoire, mais où actuellement les sciences appliquées, par exemple, sont priorisées par rapport aux sciences fondamentales. Ouverture à la société, donc. Si on peut être d’accord avec la forme idéale de cette ouverture, c’est une formulation dont je crois qu’il faut se méfier lorsqu’elle est resservie à nouveau aujourd’hui, sans nécessairement tenir compte du chemin déjà parcouru. Car il y a bien une ouverture qui s’est effectuée, il y a bien des choses qui ont changé depuis la création des Polyvalentes et des Cégeps, et il faut donc voir ce qu’elle peut signifier comme nouvelle demande, comme injonction aujourd’hui. Aussi, dans un horizon temporel beaucoup plus récent, il me semble que cette idéale ouverture s’est plus souvent qu’autrement avérée prendre la forme que d’une «ouverture aux besoins du marché du travail»… Ce qui rend bien différente la conception de ce qu’on entendait au départ par «éducation». Bien sûr, je ne crois pas que tu ai jamais donné ce dernier sens, bien restreint, à l’ouverture «sociale» – d’ailleurs, dans ton précédant texte, tu parles «d’éducation qui libère», ce qui centre assez clairement l’éducation sur «la personne» plutôt que sur «la société». Mais comme la polysémie de l’expression représente un piège constant, tu devines sans doute que je suis à l’aise avec le fait que l’expression générale «ouverture à la société» ne figure pas (plus) dans ta présente liste.

    Maintenant, est-ce que le retournement de perspective n’est en définitive qu’une question de mots? Qu’une autre manière de dire la même chose? Je ne crois pas. Mais qu’est-ce que ça change si on regarde la chose par l’autre bout de la lorgnette? Sans doute qu’en ce qui concerne le «monde du travail», on n’ignore pas l’importance d’une constante actualisation du savoir-faire et des connaissances, afin de suivre (ou d’enclencher!) l’évolution de son domaine – et demeurer compétitifs. Cette idée n’a peut-être pas pénétré tous les milieux de travail, mais elle me semble y être – c’est d’ailleurs dans leur intérêt, au sens économique du terme. Cependant, le «monde du travail», ce n’est pas «la société», ce n’en est qu’une parcelle, qu’un aspect, de même que «la mise à jour d’une spécialisation» n’est pas «l’Éducation», quoiqu’elle relève d’une «instruction», qui est elle-même une parcelle de «l’éducation»… Donc, à propos du retournement de perspective, pour que ladite perspective ne soit pas indûment filtrée et restreinte, il convient sans doute de considérer la société dans ses dimensions culturelles (au sens anthropologique). C’est ce que tu évoques, justement – et en ce sens, ton premier point me semble particulièrement intéressant à creuser.

    Si l’éducation peut transformer la société, en revanche la société transforme tout autant l’éducation. Il me semble assez évident que les enseignants se sont adaptés selon qu’ils avaient la responsabilité de personnes issues d’une époque de contestation, ou bien issues des divorces, issue d’une ambiance «no futur», d’un clientélisme, etc., pour le dire avec des traits que je sais un peu trop gros. De même, on n’interagit pas de la même manière avec une personne pour qui la littérature est présente dans sa vie, familière, qu’avec une personne pour qui savoir lire est certes important (parce que potentiellement payant), mais pour qui la littérature est en elle-même une perte de temps. Même genre de différences dans les interactions possibles, lorsque le milieu culturel tend à faire de l’intellectuel une personne parmi d’autres, par opposition à une culture où être un «intellectuel» résonne(rait) *à priori* comme une insulte – hormis les innombrables et capitales différences individuelles dans les rapports au monde ambiant.

    J’amplifie les traits de tout ceci, je sais, et en plus ça fais un (trop) long préambule, mais dans le contexte où tu t’interroges sur la manière dont tes «deux années passées en France ont pu teinter [ta] réflexion sur l’éducation», je suis curieux d’en savoir plus sur les sillons pouvant être creusés par ton premier point, sur le passage vers «une vision de plus en plus culturelle et de moins en moins scolaire de l’éducation».

    Peut-être que mon impression quant à ton retournement de perspective n’est pas exacte – ne te gêne surtout pas pour me le dire si tel est le cas. Mais, en faisant l’hypothèse que la chose serait explorée par l’autre bout de la lorgnette, qu’est-ce que ça pourrait changer ? Quels seraient les nouveaux défis ? Est-ce que ça modifierait la manière d’aborder et développer une «Cité éducative» ? Bien qu’on ne change jamais une atmosphère culturelle directement, est-ce qu’il y a néanmoins des attitudes et gestes «pris pour acquis» ou semblant «aller de soi» (take for granted) qui te semblent plus importants à (re)questionner que d’autres ?

    Je ne (te) pose pas ces questions de manière purement rhétorique ; je n’en ai pas les réponses. D’ailleurs, je ne sais même pas si on peut y répondre clairement, mais si tu as des impressions, des premières mises en mots…

  9. Bonjour Clément,

    Nous devions nous voir avant l’été, et l’été est passé. Qu’importe, ce post donne l’occasion de saluer les uns et les autres de cette discussion que je connais à distance pour certains (vive les lectures croisées) et d’autres en chairs et en os.

    Je crois qu’un des mouvements de fond, c’est une ré appropriation du territoire dans une logique de bascule. Je m’explique. La révolution industrielle entraine une migration des populations des campagnes vers les villes. Le mouvement s’est stabilisé ou s’inverse désormais. Parallèlement, les institutions ont massifié l’apprentissage. Toujours plus de bacheliers. Pour cela, l’apprentissage est considéré comme un process…

    Est-ce que le point de bascule n’est pas dans une réappropriation du territoire, de l’espace public, d’ouvrir l’école et de la mettre hors les murs, d’interconnecter le paysage social ? C’est dans ce sens où la technologie peut avoir de l’importance comme facilitateur. Vélib, nuits blanches ou flashmob revient à remettre du lien qu’on avait banni des villes et des campagnes.

    L’humain reprend peut-être possession de son corps. Et paradoxalement, je crois que cela fait peur. Cela oblige à se parler (démarche réflexive), à s’écouter et à écouter les autres. L’humain est aussi un territoire.

    Les profs ont du mal -et l’institution encore plus – à sortir des murs. Comment les accompagner pour qu’ils puissent réinventer leurs missions et métiers en interaction avec la société ? Comment retisser du lien social ? Comment connecter les cultures populaires et académiques ? Comment faire le passage entre le monde industriel et le monde en émergence ? Quelle nouvelle identité émerge ?

    Voilà mes questions du moment… Juste en passant pour nourrir modestement le débat.

  10. Clément, tu ne crois pas aux bienfaits de la provocation ? C’est dommage… parfois ça réveille. Car je te trouve, comme d’hab’, trop gentil et trop optimiste. En revanche, tu vas me trouver réac. et surtout schizophrène si je signe ce post de mon nom.

    Tu as une vision de plus en plus culturelle et de moins en moins scolaire de l’éducation. Est-ce parce que l’éducation française a, elle -ses dirigeants, ses programmes-, une vision volontairement de moins en moins scolaire et donc de moins en moins culturelle ?
    J’entend par culturelle ouverture sur le monde, certes, mais avant tout transmission d’un héritage commun entre génération et individus : littéraire, artistique, musical, historique, patrimonial, etc. Je ne connais pas votre système éducatif outre-atlantique, mais je suis fort troublé par la déconnexion de la jeunesse scolarisée d’aujourd’hui avec l’héritage culturel disons de leurs grands-parents. Qu’y ont-ils en commun ? Les grands auteurs de la littérature, non. Les compositeurs de musique classique, non. Les multiples architectes des innombrables monuments, non. Une chronologie des événements et des civilisations historiques, non. Les peintures et sculptures d’antan ou contemporaines, non. Les langues anciennes, non. Dois-je continuer ?
    L’autre matin sur France Culture, Alexandre Adler, se lamentait car les actuelles ou nouvelles générations n’auraient plus la culture de leurs ainés à l’exception notable de ceux qui sont nés dans certains des milieux privilégiés et qui savent comme toi et moi qu’Education rime effectivement avec Culture (s).

    Et que dire en ce domaine de la responsabilité des tenants du « désir d’apprendre » à l’école ? (http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/HCE_A_Giordan.aspx) De cette génération de pédagogue qui en voulant bien faire ont cru que l’élève qui pratiquait des activités d’éveil, était en définitive suffisamment responsable et qu’il avait les éléments en main pour faire un choix et apprendre librement avec passion et sans contrainte ?
    Qui voudra bien tenter de m’expliquer que la grammaire – pardon l’observation réfléchie de la langue- s’apprend avec plaisir et appétence ?
    Et qui veut se lancer dans l’argumentation du choix du collégien qui, lorsqu’il rentre de l’école, choisit en conscience le plaisir de jouer sur une console de jeux aux obligations de faire ses devoirs pour réviser l’interro. du lendemain ? Quel choix !

    Alors les nouvelles technologies à l’Ecole, tu sais… parfois je me demande si c’est aussi important que cela et si avec ces outils et ces ressources nous n’augmentons pas davantage le fossé entre ceux qui vont prioritairement s’en servir à des fins éducatives et culturelles (poussés par leurs parents) et ceux qui vont prioritairement les utiliser pour des aspects récréatifs.

    Alors oui, moi, comme Mario Asselin de l’autre coté, je suis très intéressé par ta vision « neuve » du système éducatif français. De ses points forts et de ces lourdeurs. Avant que tu ne t’habitues et que tu commences à trouver des excuses aux discours des uns et à l’immobilisme des autres.

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