Le plaisir de l’éditeur

J’avais fait référence il y a quelques temps au plaisir de voir se construire une oeuvre, du point de vue d’un auteur.

Sophie Imbault, qui travaille aux Éditions du Septentrion, nous livre aujourd’hui un bel exemple du plaisir de l’éditeur (de l’éditrice!) — celui d’accompagner l’auteur, et de voir le livre prendre forme.

C’est Sous la couverture… avec en prime quelques primeurs sur deux livres à paraître bientôt… dont le très attendu tome 2 des Chroniques d’une mère indigne.

Comment écrire quand la distraction est partout?

Cory Doctorow est un journaliste canadien, également auteur de romans de science fiction et blogueur — prolifique dans les trois cas. Locus Magazine nous offre ce mois-ci un texte dans lequel il survole les trucs qui lui permettent d’écrire autant à une époque où la distraction est omniprésente: Writing in the Age of Distraction. Ses conseils me semblent très pertinents.

Quelques extraits, suivis de courtes réactions personnelles :

Short, regular work schedule

When I’m working on a story or novel, I set a modest daily goal (…) The secret is to do it every day, weekends included, to keep the momentum going, and to allow your thoughts to wander to your next day’s page between sessions. (…)

Leave yourself a rough edge

When you hit your daily word-goal, stop. Stop even if you’re in the middle of a sentence. Especially if you’re in the middle of a sentence. That way, when you sit down at the keyboard the next day, your first five or ten words are already ordained, so that you get a little push before you begin your work. (…)

Don’t research

Researching isn’t writing and vice-versa. When you come to a factual matter that you could google in a matter of seconds, don’t. Don’t give in and look up (…) That way lies distraction — an endless click-trance that will turn your 20 minutes of composing into a half-day’s idyll through the web. (…)

Don’t be ceremonious

Forget advice about finding the right atmosphere to coax your muse into the room. (…) When the time is available, just put fingers to keyboard and write. (…)

Kill your word-processor

Word, Google Office and OpenOffice all come with a bewildering array of typesetting and automation settings that you can play with forever. Forget it. All that stuff is distraction (…)

Realtime communications tools are deadly

The biggest impediment to concentration is your computer’s ecosystem of interruption technologies: IM, email alerts, RSS alerts, Skype rings, etc. Anything that requires you to wait for a response, even subconsciously, occupies your attention. (…) leaving your IM running is like sitting down to work after hanging a giant « DISTRACT ME » sign over your desk, one that shines brightly enough to be seen by the entire world.

* * *

C’est pour Cory Doctorow. Et moi alors? Réflexions:

Écrire un peu tous les jours: je m’y suis remis depuis le début de l’année —sans perdre de vue qu’écrire et publier, ce n’est pas forcément la même chose, comme LeRoy le signalait gentiment à Sylvain Carle il y a quelques jours dans un commentaire.

Savoir suspendre l’écriture: j’ai beaucoup de difficulté à laisser ainsi un texte en plan (et à plus forte raison en plein milieu d’une phrase!) mais je suis curieux d’expérimenter.

Ne pas faire de recherche: je suis d’accord — et je pratique! J’ajouterais, pour l’écriture destinée au Web: ne pas intégrer les liens dans le texte au fur et à mesure — attendre que le texte soit terminé.

Ne pas faire de cérémonial: je suis d’accord — et je pratique! Même le iPhone peut parfois me servir de clavier pendant mes trajets de bus.

Abandonner le traitement de texte: je nuancerais… qu’importe l’outil, dans la mesure où il permet de se concentrer sur la tâche d’écriture. J’ai déjà évoqué quelque part que j’avais acheté WriteRoom afin d’avoir un espace d’écriture d’où disparaissent toutes les sources de distraction: les menus, fenêtres, etc. Pour redécouvrir l’écran blanc: comme la page blanche. Cela a été une révélation pour moi — la redécouverte de la concentration — et j’exagère à peine! Pour mon plus grand plaisir, la nouvelle version de Pages intègre aussi cette indispensable fonction.

Fermer la messagerie instantanée (et Twitter!): toujours! toujours! toujours! Je suis d’accord — même si c’est parfois difficile!

Voilà pour ma réflexion personnelle sur les trucs de Cory Doctorow.

Et vous — comment aménagez-vous votre espace-temps d’écriture? Comment évitez-vous l’omniprésente distraction?

L’importance d’un blogue pour un écrivain

J’ai évoqué il y a quelques jours le plaisir que j’avais à voir des oeuvres prendre forme grâce au regard que la blogosphère me permet d’avoir sur le travail de certains écrivains. J’ai notamment évoqué le blogue de Stanley Péan à cette occasion. J’y reviens.

J’y reviens parce que celui-ci nous offrait hier un texte absolument remarquable où, faisant référence à une conversation avec une lectrice, il décrit la nature de son blogue, nous offre un aperçu des thèmes abordés dans son prochain roman et même quelques informations sur sa genèse. Le texte, dont le titre est inspiré de celui, provisoire, de son prochain roman, s’intitule À quoi rêve un Bizango? Extraits:

Au sujet de la nature de son blogue:

« [un] site conçu à la fois comme une extension de mon travail de création, une fenêtre virtuelle sur mon atelier, et un lieu de réflexion sur les enjeux personnels, culturels et sociaux qui ont des répercussions sur mon écriture »

Au sujet des thèmes de son prochain roman:

« Les romanciers sont en général assez mal placés pour dire ce dont parlent leurs œuvres, puisque souvent l’essentiel leur échappe. Je dirai cependant que j’aborde ici des préoccupations récurrentes: la violence urbaine, particulièrement celle faite aux femmes; la prostitution et le marchandage de l’affection et du sexe dans les rapports entre les sexes; un certain malaise identitaire qui n’est pas exclusif aux immigrants; le poids parfois accablant de la mémoire; le besoin d’exister dans le regard de l’Autre et, paradoxalement, le désir d’échapper à la geôle que construit ce regard. Un gros programme, quoi. »

Au sujet de ce que peut apporter à un auteur la conversation avec ses lecteurs, notamment à travers le blogue:

« … Ce serait peut-être à moi de vous remercier, puisque l’exercice auquel vous m’avez en quelque sorte obligé m’a permis de faire le point et de préciser ma pensée pour la suite. »

Un texte auquel il me faudra vraisemblablement revenir.

Ce qui change, jour après jour, ce sont les pratiques

Au tour de Constance Krebs de lancer l’année avec un texte remarquable, constitué d’une série de réflexions, très pertinentes il me semble, sur le monde du livre — celui des auteurs, des éditeurs et des libraires.  Extraits:

An neuf… Pour de nouvelles formes de publication, d’édition devrais-je dire. On l’espère… Ce qui change, jour après jour, ce sont les pratiques. Les modes de travail, la façon.

L’éditeur ne se contente plus de lire et relire pour éditer et rendre public; il écrit, il lie et relie. Le libraire ne se contente plus de lire et de recevoir pour vendre; il écrit, il relie. L’auteur ne se contente plus de travailler en silence, seul à sa table; il montre son atelier, ses recherches en cours. Cela n’empêche ni la rigueur, ni la vitalité, ni le commerce, ni l’échange de dons – bien au contraire. (…)

L’amateur renaît grâce à l’hypertechnologie. Le capitalisme fissuré qui, sous la forme qu’on lui connaît, s’écroule, peut désormais évoluer vers une dimension plus libre, plus humaine. Le monde change, et c’est tant mieux. (…)

L’éditeur pour entrer dans cette dimension-là doit se mettre à écrire régulièrement. (…)

L’auteur, qu’il soit artiste ou chercheur (métiers très proches), peut faire entrer le monde dans son atelier, son laboratoire, son bureau. Il est seul, mais plus comme avant. Il partage enfin ses connaissances, ses idées, ses textes avec d’autres, qu’ils soient pairs ou amis, admirateurs ou lecteurs. (…)

Le libraire doit aujourd’hui faire connaître sa librairie sur les sites de localisation, les géoportails de Google ou de l’IGN s’il veut que le client vienne à lui. Rien ne l’empêche non plus de passer 20 mn par jour à animer un blog. (…)

Bonne année!

Ne manque que le lecteur dans ce portrait… parce que si les modes de travail évoluent, les modes de lecture aussi, probablement… Peut-être Constance aura-t-elle le goût de compléter?

De lecture et de jeux vidéos

Virginie commence l’année en citant un texte provocateur de Adrian HonThe Long Decline of Reading — dans lequel celui-ci suggère notamment que les auteurs et les éditeurs devraient emprunter certaines méthodes des réalisateurs de jeux vidéos pour intéresser davantage les jeunes lecteurs — les digital natives. Extraits:

« Allez dans n’importe quelle conférence sur les jeux vidéo, nous entendrez les gens parler de “récompense”. Les concepteurs ont réalisé (ou décidé ?) que récompenser le joueur en permanence était le moyen de l’accrocher. Ces récompenses peuvent prendre la forme d’extraits d’histoires, de nouveaux niveaux ou de nouveaux mondes, de trophées, d’animations, de vidéos, de points… qu’importe. Quelles qu’elles soient, elles doivent revenir régulièrement et fréquemment pendant la totalité du jeu, et, le plus important, au début du jeu.

Dans les dix premières minutes de beaucoup de nouveaux jeux, les joueurs reçoivent un tel tourbillon de récompenses (…) cela peut sembler ridicule, et parfois ça l’est, mais un encouragement constant maintient le joueur en contact avec le jeu suffisamment longtemps pour qu’il entre dans l’histoire (…)

Les livres ne sont pas interactifs. Vous ne pouvez pas donner aux lecteurs des récompenses parce qu’ils ont réussi à atteindre la page 6 (bien que…) Le principe est cependant le même : vous devez donner de l’élan au lecteur. Vous devez l’aider à traverser ces dix premières minutes énervantes, pendant lesquelles il n’est pas encore immergé dans le flux, et qu’il est encore susceptible d’être distrait par la télé, la radio, son portable, son ordinateur. Après ces dix minutes, s’il est accroché, il est accroché… (…)

Et Adrian Hon d’ajouter, faisant sans doute référence au moment où les livres seront distribués sous formes numériques:

« Faire que ces premiers paragraphes, ces cinq premières pages, soient toujours plus palpitantes sera la meilleure manière d’attirer de nouveaux lecteurs. Que cela soit réalisé au moyen de texte ou d’une présentation, via des sonneries de cloches et des sifflements ou du drame, l’objectif est de capturer l’attention. et ensuite, graduellement, insidieusement, engager les gens à continuer à lire par la seule force de la narration . »

À réfléchir.

Le fil de la mémoire des lecteurs…

Après Ça sent la coupe, je suis plongé dans la lecture de Lectodôme, de Bertrand Laverdure. Mes commentaires suivront bientôt, mais, d’ici-là, voici trois extraits d’un dialogue entre l’auteur et son éditeur, trouvé sur le blogue des éditions Le Quartanier.

« Je suis fasciné par l’apparition d’extraits de livre ou de livres entiers dans les livres. L’univers de la littérature est un univers tautologique, une vaste entreprise de relais d’œuvres. On écrit parce que nous avons lu; nous lisons pour écrire. L’ADN du style de chaque auteur correspond à ce qu’ils ont digéré des livres qu’ils ont lus. C’est pour cette raison que je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de livres mentionnés dans les romans contemporains. Nous vivons à une époque d’abondance littéraire et cet état de fait devrait se traduire par des hommages incessants aux auteurs qui nous ont frappés ou à ceux qui nous agacent. Les auteurs marchent dans une boue d’influences complexe et ils semblent avoir nettoyé leurs souliers en écrivant. »

« Je souhaite transformer chacun de mes romans en magazine contemporain de mes lectures et, incidemment, mettre de l’avant la lecture de mes collègues écrivains, mes lectures québécoises. Pourquoi? Parce que la diffusion des œuvres contemporaines fait défaut. Quelques articles sont publiés à la sortie des livres (encore, si l’écrivain est chanceux) et puis un silence de mort s’ensuit. Pourtant, la vie du livre, surtout de la fiction, repose entièrement sur le relais que peuvent en faire les praticiens ou les lecteurs. Hormis les succès internationaux ou les livres populaires (Le petit prince ou Harry Potter) le relais des œuvres littéraires issues d’un corpus à faible diffusion (comme les livres québécois) ne tient qu’au fil de la mémoire des lecteurs. »

« C’est ainsi que je me suis donné comme mission littéraire d’évoquer dans tous mes romans (Gomme de xanthane, Lectodôme et même le roman pour adolescent qui je publierai en 2009 à La courte échelle) au moins une dizaine d’auteurs québécois que je respecte, ai lus, ou admire. La curiosité intellectuelle est selon moi le premier devoir de l’écrivain. »

* * *

Quand Bertrand Laverdure dit que…

« la vie du livre (…) repose entièrement sur le relais que peuvent en faire les praticiens ou les lecteurs (…) [et que] le relais des œuvres littéraires issues d’un corpus à faible diffusion (comme les livres québécois) ne tient qu’au fil de la mémoire des lecteurs. »

…je trouve qu’il décrit très bien une des raisons qui explique que le développement de la blogosphère est aussi déterminant pour la culture québécoise — et pourquoi la dématérialisation du livre représente une opportunité extraordinaire pour la majorité des auteurs (et des éditeurs) d’ici.

ISBN | 9782923400440