Dans Je tire ma langue au chat, Mario Asselin nous invite à réfléchir sur les causes de la soi-disant diminution de la maîtrise de la langue française par les jeunes. Il ne la nie pas. Il plaide seulement pour qu’on ne fasse pas porter l’odieux de cette situation uniquement sur les jeunes:
« il me semble que les jeunes (…) ont le dos large en s’il vous plaît quand vient le temps de chercher des coupables sur ces questions de langue et d’effort. »
Je comprends du discours de Mario que, pour lui, l’école ne peut pas non plus être tenue responsable de tout quand vient le temps de développer les valeurs « effort » et « qualité de la langue »:
« …je reste convaincu (…) qu’une communauté cohésive et conséquente (famille, équipe-école ou collectivité territoriale) est la seule «assurance» de pouvoir conserver en haut de liste ces deux valeurs. »
Je suis d’accord avec lui — l’action de l’institution scolaire ne peut pas être efficace si elle ne trouve pas un écho significatif à la maison. Les enfants n’accordent généralement pas plus de valeur aux enseignements de l’école que la perception qu’ils ont de la valeur que leurs parents accordent à ces mêmes enseignements. Heureusement, les enfants s’accrochent parfois aussi à la perception d’autres adultes importants pour eux — qu’ils côtoient réellement ou dont l’image s’avère inspirante, stimulante — et ils arrivent à développer une perception de l’école différente de celle à laquelle leur milieu immédiat les aurait normalement amenés à adhérer. En ce sens, l’éducation est forcément une mission collective.
C’est un peu, je crois, ce qu’évoque un poème africain que j’adore « il faut tout un village pour élever un enfant »; c’est ce que Seymour Papert appelle la résonance culturelle, et qui est pour lui une condition essentielle à la réussite de l’école; c’est aussi ce qui m’amène à croire autant au concept de cité éducative — et qui m’amène à m’engager avec autant de conviction, depuis plusieurs années, dans le projet de faire de Québec une cité éducative.
Parce qu’au fond, même si on peut discourir très longuement de ce qu’est une cité éducative (et j’adore le faire!), dans sa formulation la plus simple on peut dire qu’une cité éducative, c’est un milieu où les valeurs que l’école a pour mission de transmettre trouvent un écho favorable; un milieu où les citoyens comprennent qu’ils ont un rôle à jouer — une responsabilité dans la réussite de l’école. Un milieu où la vie quotidienne n’est pas contradictoire avec le message que l’école a pour mission de porter aux enfants — mieux encore, c’est un milieu dont les acteurs agissent comme des alliés de l’école — et surtout pas une école sanctuaire.
Il ne s’agit pas non plus que l’école ne soit que le reflet de la société — parce que l’école a évidemment aussi un rôle de transformation sociale. C’est plutôt l’inverse qu’il faut viser, il me semble — que l’organisation de la Cité, et les valeurs qui y sont véhiculées, soient en accord avec celles que nous avons collectivement choisi de confier à l’école.
Dans la démocratie on élit des gouvernements qui ont pour responsabilité de déterminer et de mettre à jour le programme de l’école — et d’y investir en conséquence une partie de notre richesse collective — mais on oublie trop souvent que cela restera profondément inefficace si la Cité — c’est à dire Nous, collectivement, au quotidien — n’accompagnons pas concrètement les réformes ou les renouveaux scolaires.
Depuis trente ans, je me suis fait dire, comme enfant, comme ado, comme jeune adulte, puis comme nouveau travailleur: « la société change, l’école doit s’adapter — et toi aussi, par le fait même ». C’est vrai. Mais je réalise de plus en plus que ce message est incomplet.
Ce message aura été incomplet s’il n’a pas aujourd’hui un prolongement qui continue de m’interpeller, mais cette fois pour me dire « maintenant que ta génération s’apprête à prendre les rênes de la société, n’oublie pas d’adapter aussi tes valeurs, ton comportement et ton environnement au projet de l’école — celui d’aujourd’hui; pas celui qui était en vigueur quand tu étais sur les bancs de l’école! N’oublie pas d’aider l’école, à ta façon.
Parce qu’on l’a adapté l’école! Jean-Pierre Proulx le rappelle ici avec humour! Et on ne l’a pas fait à courte vue; on l’a fait avec de la perspective — heureusement!. Mieux : on en a fait un véritable projet de société. Le projet d’une société plus créative et plus solidaire, notamment. Et je trouve que nous n’y sommes vraiment pas trop mal arrivés! Je nous félicite — et je remercie ceux et celles qui ont piloté ces changements pour nous.
Je me demande toutefois si nous avons investi suffisamment dans l’adaptation conséquente du milieu à ces changements de l’école — à ce projet de société.
Je me demande si au lieu d’ajouter des heures d’enseignement du français à l’école, nous ne devrions pas mieux outiller les familles et les milieux de travail afin que la qualité de la langue soit davantage valorisée, si on ne devrait pas investir pour faire des bibliothèques publiques lieux de rassemblement pour les jeunes (encore plus qu’elles ne le sont aujourd’hui) : pour les y accueillir vraiment. Même chose pour les musées.
Je me demande si on ne devrait pas revoir les horaires de l’école — en particulier ce délire des horaires sur neuf jours — afin de faciliter la participation de la communauté aux activités de l’école — et favoriser l’apprentissage in situ, dans la Cité, à tous les âges.
Je me demande si on ne devrait pas exiger bien davantage des médias — presse, radio, télévision — en terme d’éducation informelle et de culture.
Je me demande si nous ne devrions pas publier chaque semaine quelques textes en anglais et en espagnol dans les journaux — pour que nous côtoyons ces langues au quotidien.
Je me demande si nous ne devrions pas écrire un petit guide à l’intention des citoyens qui désirent aider l’école dans sa mission, par de petits gestes, chaque jour — un mot dit à un enfant, une exigence transformée dans son milieu de travail.
Ce ne sont que des exemples.
De la même façon que Mario nous disait qu’il trouvait que les enfants ont parfois le dos large quand on parle d’éducation, je trouve que l’école, comme institution, a aujourd’hui le dos très large. Cela me semble injuste (et inefficace, voire contre-productif) de reprocher à l’école seule une situation qui la dépasse largement — et qui tient aussi au fait que nous ne l’appuyons pas suffisamment comme citoyen — non par nos impôts, mais en mettant la main à la pâte — comme participant à la vie de la Cité.
On peut bien sûr reprocher des choses à l’école, comme institution. Mais il me semble que nous devrions nous obliger, chaque fois que nous le faisons, à formuler des propositions complémentaires qui permettraient d’incarner dans la Cité les valeurs et les exigences qu’on aimerait voir renforcées dans l’École. Des propositions qui nous concernent, comme citoyen. Des propositions formulées à la première personne.
C’est ce devoir de cohérence qui m’amènera à participer à la journée de concertation régionale sur la persévérance et la réussite scolaires, le 28 novembre prochain, à l’Espace Dalhousie.