Qu’est-ce que la société du savoir?

Sur la page Facebook consacrée au Sommet sur l’Enseignement supérieur, le ministre Pierre Duchesne demande:

« Quelle est votre définition de l’expression « société du savoir »? »

C’est une question qui me semble effectivement fondamentale pour organiser nos réflexions en prévision du Sommet — et pour être en mesure d’interpréter les positions qui seront prises par chacun des intervenants.

J’espère avoir l’occasion d’y revenir dans les prochains jours, mais d’ici là, je partage un texte que j’avais écris à ce sujet, en 2004, à l’invitation du projet Parole citoyenne, qui avait été initié par l’ONF et qui est maintenant porté par l’Institut du Nouveau Monde.

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De l’économie du savoir à l’économie de l’apprentissage

J’entends parler depuis plusieurs années de la nouvelle économie, de la société de l’information et de l’économie du savoir sans jamais trop comprendre à quoi on fait référence. J’ai pourtant toutes les caractéristiques qu’on associe à cette « nouvelle économie » : je suis jeune, j’ai eu la chance d’étudier à l’université et je travaille dans un studio de production multimédia. En principe, la société de l’information, « je suis tombé dedans quand j’étais petit », comme on dit.

Je m’interroge, par exemple, quand je lis que le président-directeur général de Montréal International affirme que « Montréal devra plus que jamais miser sur le savoir [si elle] veut se classer parmi les chefs de file des agglomérations les plus créatives, innovatrices et performantes en Amérique du Nord». Je me demande de quel savoir il est question. Est-ce seulement celui des universitaires, des chercheurs et des gens qui innovent dans le domaine technologique ? J’en ai parfois l’impression. Et ça m’étonne.

Ça m’étonne parce que je considère que c’est une erreur de croire que le développement d’une ville peut se faire en misant uniquement sur les savoirs de pointe. Il me semble que c’est mal comprendre la nature des défis que nous pose le contexte économique actuel — marqué, entre autres, par les effets de la globalisation.

Il est évidemment nécessaire pour une région comme Montréal de disposer d’établissements d’enseignement et de centres de recherche de très grande qualité, bien financés et soutenus par les pouvoirs publics. Mais ce n’est certainement pas suffisant. L’Organisation de coopération pour le développement économique s’est d’ailleurs penchée sur cette question il y a quelques années.

Après avoir analysé en détail la situation de cinq villes de la « nouvelle économie », l’OCDE confirme, dans un premier temps, que l’élément qui est aujourd’hui le plus essentiel au développement d’une ville, tant au plan social et culturel qu’au plan économique, c’est sa capacité à faire preuve d’innovation et de créativité — une conclusion à laquelle applaudiront évidemment tous les émules de Richard Florida, qui est l’auteur du livre à succès « The Rise of the Creative Class ».

C’est toutefois la seconde conclusion de l’OCDE qui me semble la plus intéressante et la plus oubliée par ceux et celles qui président au développement économique de plusieurs des grandes villes du Québec et du Canada. Parce qu’après avoir insisté sur l’importance de l’innovation, l’organisme ajoute que les villes et les régions qui se tireront le mieux d’affaires dans les prochaines années sont celles où on comprend que l’éducation ne peut plus être exclusivement l’affaire des écoles et où l’apprentissage est valorisé sous toutes ses formes (formelles ou non, à l’école, à la bibliothèque, au musée, dans les milieux de travail, etc.).

L’importance que l’OCDE accorde au fait qu’une large proportion de la population vive régulièrement des expériences d’apprentissage stimulantes et variées s’explique très simplement. On constate en effet que le simple fait d’apprendre quelque chose (que ce soit une langue, la physique quantique, l’ébénisterie ou la comptabilité) nous expose sans cesse à des informations nouvelles, nous éveille à des réalités différentes et nous fait vivre des expériences inédites. Du coup, quand on apprend, on développe une attitude plus positive face au changement et à l’innovation. Et c’est précisément de cette ouverture à l’innovation dont une ville a le plus besoin pour assurer son développement.

Pour relever certains défis, une ville peut avoir moins besoin d’une population « instruite » que d’une population « qui apprend »… simplement parce qu’une population « qui apprend » sera plus ouverte à des façons différentes d’envisager les problèmes de la ville, à envisager à des solutions nouvelles et à appuyer des projets innovateurs.

Je crains qu’en valorisant de façon disproportionnée « l’industrie du savoir » (au sens des connaissances de pointe) et en associant l’innovation au seul secteur des « technologies », on risque de perdre de vue le fait que ce qu’il faut viser pour favoriser le développement économique d’une ville, c’est offrir des occasions variées d’apprentissage à chacun des citoyens. Tous. Ceux qui ont été choyés par le système scolaire et qui forment aujourd’hui l’élite de la société comme ceux qui l’ont été moins, mais qui désirent poursuivre leur éducation, de diverses manières, tout au long de leur vie.

Ce serait bien dommage que l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication ait pour effet d’amplifier le déséquilibre politique entre « ceux qui savent » et « ceux qui ne savent pas » alors que tout indique que pour nous enrichir collectivement et pour améliorer notre qualité de vie il est absolument essentiel de mettre de côté les chasses gardées, de remettre en question la division traditionnelle des activités économiques (tourisme, technologie, culture, etc.) et de collaborer pour que tout le monde apprenne quelque chose chaque jour.

Voilà pourquoi je crois profondément qu’à l’instar de centaines de villes qui réfléchissent actuellement aux moyens dont nous disposons pour revoir les rapports traditionnels entre la ville et l’éducation, il faut adopter l’idée que nous vivons dans une « économie de l’apprentissage » plutôt que dans une « économie du savoir » et nous laisser inspirer par une conception de la ville comme une « cité éducative ».

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