À partir de quel montant doit-on commencer à s’intéresser à la moralité des moeurs politiques?

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Yves Bolduc est dans l’eau chaude depuis qu’on sait qu’il a bénéficié d’une rémunération incitative de plus de 200 000 $ pour prendre en charge 1 500 patients pendant les 19 mois où il a été député de l’opposition. Une rémunération qui s’ajoutait évidemment à sa rémunération de médecin… et à celle de député.

Je me suis retenu d’écrire sur le sujet depuis quelques jours parce que je voulais prendre le temps de préciser ma pensée et de trouver les bons mots pour l’exprimer — pour ne pas donner l’impression de prendre une revanche avec mon adversaire à l’élection du 7 avril.

Je ne répéterai donc pas ce que d’autres ont dit sur tout cela (notamment Antoine Robitaille et Gilbert Lavoie) et je ne relaterai pas les principaux commentaires que j’ai pu lire sur le sujet. Je souhaite plutôt aborder l’Affaire Bolduc avec une autre perspective.

Je comprends très bien que les gens soient choqués d’apprendre qu’Yves Bolduc a touché un pareil montant — pour le moins discrètement — et pire, que ni lui, ni le ministre de la Santé, ni le premier ministre n’y voient aucun problème. Je comprends évidemment que les journalistes, éditorialistes et chroniqueurs s’en offusquent aussi. 200 000 $ ce n’est pas rien… particulièrement en ces temps où le gouvernement demande à tout le monde de faire sa part pour l’austérité.

Mais qu’est-ce qui nous choque vraiment dans cette situation? Est-ce que c’est l’importance des montants qu’Yves Bolduc a encaissés à notre insu? Où c’est la moralité de ses choix, qui l’ont conduit à empocher tout cet argent en prétendant « avoir respecté toutes les règles »? A-t’on besoin d’un gros signe de dollars pour nous faire enfin réagir?

La question se pose parce que j’ai passé cinq semaines plus tôt ce printemps à dénoncer le fait qu’Yves Bolduc pratiquait la médecine à temps plein en plus d’être député à temps plein — et que ces deux occupations n’étaient pas conciliables.

J’ai dit presque tous les jours qu’il n’était pas possible de répondre aux exigences de son travail de député s’il pratiquait la médecine cinq jours par semaine. J’ai répété qu’il n’était pas normal qu’il soit payé à la fois comme député à temps plein et comme médecin à plein temps.

Je l’ai écrit sur mon blogue de campagne. Je l’ai évoqué dans presque tous les documents que nous avons imprimés et distribués. Je l’ai dit aux journalistes chaque fois que j’en ai eu l’occasion.

Tout cela avec quel résultat?

Bien sûr les citoyens que j’ai rencontrés étaient pour la plupart choqués d’apprendre que leur député avait un double emploi — même les plus libéraux.

Pourtant, de leur côté, les journalistes se sont généralement contentés de me demander: « qu’est-ce qui vous choque Monsieur Laberge dans le fait que Monsieur Bolduc pratique aussi la médecine? On a tellement besoin de médecins de famille… et d’autres le font aussi » — et ça en restait là. Silence.

Une seule fois, une journaliste a communiqué avec Yves Bolduc pour avoir son point de vue. Elle s’est ensuite contenté de publier sa réponse, textuellement, sans aucun recul critique: « soyez certaine que j’adapte ma pratique médicale pour qu’il ne nuise pas à mon travail parlementaire ». Incroyable, comme si le travail de député consistait seulement à être présent au parlement lors des périodes de questions, en commission parlementaire et au moment des votes. Alors que c’est aussi (surtout) le travail de comté, la rencontre des citoyens, les dossiers locaux, la représentation, etc.

Encore aujourd’hui, je ne comprends pas cette réaction des journalistes, que je ne peux expliquer que par une certaine forme de cynisme.

Je ne reproche pas seulement aux journalistes de ne s’être pas suffisamment intéressés à la question. Les autres députés aussi, de tous les partis, savaient (ou auraient dû savoir, puisque TVA l’avait rapporté dès 2012) que leur collègue Bolduc travaillait également comme médecin pratiquement à temps plein — et ils n’ont pas davantage dénoncé la situation. Cynisme aussi?

Ce n’est donc que cette semaine où tout a changé, subitement, parce qu’on apprenait que s’était ajouté à ce double emploi une rémunération incitative exceptionnelle de plus de 200 000 $. Le chiffre est gros — on s’y intéresse.

C’est ainsi que ce qui était inacceptable est devenu scandaleux… et que le comportement d’Yves Bolduc, dont la dimension morale n’avait suscité pratiquement aucun écho médiatique, jusque-là soudainement un scandale et mérite articles, chroniques et éditoriaux.

Mais s’il s’était s’agit de seulement 100 000 $? Est-ce que cela aurait été aussi choquant? En aurait-on parlé autant? Et 50 000 $? Ou même 20 000 $. À quel montant est-ce que les comportements d’un élu deviennent assez choquants pour qu’on s’en offusque?

À partir du moment où on ne réagissait pas à l’idée qu’il reçoive une double rémunération alors qu’il était député, pourquoi s’offusquer d’une troisième rémunération? N’avait-il pas lieu d’être plus critique dès le départ? N’aurait-il pas fallu questionner beaucoup plus tôt Yves Bolduc sur ses choix et sur la prétention qu’il avait de pouvoir remplir les responsabilités associées à deux métiers particulièrement exigeants? Et l’interrogeant sur cela, et approfondissant la question sous l’angle moral, n’aurait-on pas eu l’occasion de découvrir l’existence de cette autre rémunération exceptionnelle avant qu’il ne soit trop tard?

J’étais choqué des choix d’Yves Bolduc avant l’élection. Je l’ai été tous les jours pendant l’élection. Et je n’ai pas cessé de l’être après l’élection. Mais je ne suis ni plus ni moins choqué cette semaine que je l’ai été pendant tout ce temps… parce que c’est l’immoralité de son comportement qui me choque depuis le début — bien plus que le montant précis qui a trouvé son chemin jusqu’à son compte de banque. C’est d’autant plus vrai qu’en agissant comme il l’a fait, il compromettait sa capacité à exercer le rôle de député, et maintenant celui de ministre, dont la légitimité repose largement sur l’exemplarité.

Voilà pourquoi, par-delà du cas particulier d’Yves Bolduc j’espère que nous profiterons surtout de cette occasion pour nous interroger collectivement sur la place de la moralité dans notre vie collective et sur l’exigence éthique que nous devons maintenir à l’égard des personnes qui sont élues (et payées) pour nous représenter à l’Assemblée nationale et gouverner l’État en fonction du bien commun.

Notre indignation ne devrait pas être conditionnée par la valeur du larcin, comme ça a été le cas ici.

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