Il faudra plus que des slogans

Ce serait absurde d’élire un gouvernement en 2018 sans savoir comment il compte tenir compte des bouleversements technologiques une fois au pouvoir.

Dans son premier texte de l’année pour Le Devoir, Pierre Trudel revient sur l’affaire Netflix (je refuse d’appeler ça la taxe Netflix parce que ça travestit la nature du débat). Il y dénonce le manque de vision du monde politique devant l’impact du numérique sur la production de contenus culturels originaux:

«L’année 2017 a été marquée par les discussions au sujet de la prétendue « taxe Netflix ». Rarement aura-t-on vu débat aussi surréaliste sur des enjeux pourtant bien réels de politique publique. Cette pathétique controverse en dit long sur ce qui tient lieu de réflexions dans les milieux politiques fédéraux à l’égard des défis posés à nos sociétés par les mutations numériques. (…)

Il faut sortir du jovialisme et réinventer les cadres régulateurs destinés à assurer la disponibilité de l’information essentielle aux délibérations démocratiques. Les données massives utilisées afin d’extraire de la valeur de l’attention des internautes sont une ressource qui appartient à la collectivité. Le droit d’utiliser de telles ressources collectives doit venir avec des contreparties : celles d’assurer la viabilité des activités de production originales.»

Je pense qu’on doit lire son texte comme l’illustration d’un cas particulier dans un phénomène beaucoup plus large. Et, plus encore qu’une incompétence des politiciens (je généralise un peu, mais bon…) pour aborder ces questions c’est leur manque d’intérêt pour les enjeux liés à l’avénement des technologies numériques qui m’apparaît le plus grave.

Je saisis l’occasion pour faire un lien vers un texte que j’ai publié ici le 3 janvier 2015 (il y a trois ans jour pour jour), reprenant les propos d’une conférence prononcée par Monique Simard à ce sujet: Faire l’autruche serait la pire des choses à faire. Elle y posait des questions de façon très concrète.

C’est un texte que je trouve intéressant à mettre en perspective avec un autre article du Devoir de ce matin: Profession: futuristes… et fonctionnaires. On devrait avoir plus de gens comme ça dans les organisations publiques aujourd’hui. Et le fruit de leur travail devrait être public. (Mise à jour: bravo — les documents du Groupe Horizon peuvent être consultés sur ce site).

Je profite aussi de l’occasion pour saluer le travail de Monique Simard comme présidente et directrice générale de la Sodec au cours des quatre dernières années. Son mandat se termine cette semaine.

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Pierre Trudel conclut son texte en disant:

«Que 2018 voie l’amorce d’une réelle re-conception des règles qui régissent les activités transformées par le numérique.».

J’espère que cette attitude arrivera aussi à se frayer un chemin dans la campagne électorale québécoise — qui va s’amorcer rapidement au cours des prochaines semaines.

On ne peut tout simplement pas se permettre une élection «comme si de rien était» en rapport avec le numérique. Et pas que dans le domaine de la culture: en éducation aussi, en environnement, au sujet des données personnelles, et même sur la démocratie dans son ensemble.

Ce serait surréaliste de devoir élire un gouvernement sans savoir ce que ses dirigeants pensent de l’impact des technologies sur les rouages de la société québécoise, et comment ils prévoient en tenir compte lorsqu’ils exerceront le pouvoir.

Pas seulement dans des termes génériques, mais par des propositions concrètes,  portées par des personnes crédibles qui en font manifestement une priorité.

En complément:

Et finalement, le texte d’une proposition que j’ai portée au congrès, qui a été adoptée, mais pas priorisée (et ne se retrouve donc pas dans le programme):

  1. Créer une équipe de choc pour identifier les lois et les règlements qu’il est le plus urgent de mettre à jour pour que l’économie du Québec puisse bénéficier des opportunités offertes par le numérique et de formuler des recommandations précises en prévision de la campagne électorale [et]
  2. Créer un Conseil national du numérique qui relèvera directement de l’Assemblée nationale et qui aura pour mission de rendre publics des avis et des recommandations sur toute question relative à l’impact du numérique sur la société.

Je rappelle en terminant que Dominique Anglade a annoncé le mois dernier la création prochaine d’un Conseil national du numérique, dont on ne connaît pas encore le mandat précis, ni la composition.

Photo: Two-way Bicycle, de Ivan Ladislav Galeta. Vu au Musée d’art contemporain de Zagreb, à l’été 2017

3 réflexions sur “Il faudra plus que des slogans

  1. Merci pour la référence aux travaux d’Horizon. Dans le cadre de mon travail d’élaboration de politique publique, ceux-ci me servent d’inspiration. Oui, les fonctionnaires tentent de déceler ce que l’avenir nous réserve… et de le tourner à l’aventage des citoyens qu’ils desservent.

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