Il faut parfois avoir le sens de l’humour pour affronter la critique. J’ai cette chance.
C’est donc avec le sourire que j’ai lu le texte qu’a publié hier le président de la Fondation Fleur de Lys — texte dans lequel il tente de démontrer, par insinuations successives, l’échec de ma précédente mission professionnelle (chez Éditis) et de prédire (à nouveau) l’échec des projets qui m’amènent aujourd’hui à travailler avec plusieurs éditeurs québécois — au sujet desquels j’aurai très bientôt l’occasion de revenir.
Il vaut mieux en rire, certes, et je me suis demandé si je devais en rester là, mais après mûre réflexion, j’ai plutôt choisi de réagir. Voici donc le courriel que j’ai fait parvenir à Serge-André Guay:
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Monsieur Guay,
Vous me prêtez bien trop d’influence! Toute la présence Web d’Editis et des nombreuses maisons d’édition qui composent la société ne peut pas être le fruit de mon travail! N’inventez pas de complot. Respectez plutôt la complexité des entreprises et des milieux humains.
Pensez-y un instant… Editis c’est plus de 2000 personnes, une quarantaine de maisons d’édition dans des lieux différents — avec un mode de gestion très décentralisé (au moins en ce qui concerne le Web) — et près de 800 millions d’euros de chiffre d’affaires au moment où j’ai choisi de quitter l’entreprise pour revenir au Québec. Les sites d’une entreprise comme Editis sont réalisés tour à tour, sur de nombreuses années, par des équipes différentes, qui ont des points de vue et des compétences diverses — et qui travaillent au sein d’équipes qui désirent garder de l’autonomie les unes par rapport aux autres. Est-ce normal? Souhaitable? Peut-être pas. Je n’en sais rien. Mais c’est ainsi.
Dans un tel contexte, quand on a pour mission de faire avancer un groupe sur la voie du numérique, on établit des priorités (et pas seul, c’est un complexe arbitrage collectif!), on tente de les respecter au fil des semaines… on se félicite quand on réussit de bons coups… et on se dit que ce sera mieux la prochaine fois quand ça ne va pas comme on l’aurait souhaité.
Surtout, chaque jour, il faut se retrousser les manches, encore et encore, pour faire avancer les gens, un pas à la fois — en tentant de les garder engagés dans la démarche, parce que c’est à la base de tout changement durable. Bien sûr, parfois on se choque, parfois on est découragé, mais on se retrousse encore les manches et on se répète que c’est un leurre de penser qu’on pourrait aller plus vite en faisant à la place des gens, en se substituant à leur jugement et à leurs actions… « Seul, on va plus vite, mais ensemble on va beaucoup plus loin », me répète souvent un ami. J’en suis profondément convaincu. J’ai pour philosophie de toujours travailler dans le respect des gens — en présumant de leur bonne foi et de leur intelligence; en évitant de les juger, en me répétant que s’ils ne comprennent pas, c’est certainement parce que j’ai mal expliqué ou que je n’ai pas su me faire comprendre.
Bien sûr, certains jours on peste contre les petites entreprises qui vont plus vite que nous — on les envie parce qu’on aimerait être comme elles, plus souple, plus réactif.
D’autres jours, heureusement, on apprécie leur présence et on se félicite qu’elles existent, parce qu’elles nous interpellent, nous bousculent, et parce que leurs avancées nous fournissent de précieux arguments pour faire avancer nos idées et nos projets avec nos équipes.
Continuellement on doit se répéter que le monde du livre est un écosystème complexe, très complexe, avec de gros acteurs et de plus petits; avec des silencieux et des plus baveux. Se convaincre aussi que c’est très bien ainsi — et que c’est ce qui nous offre, collectivement, les meilleures chances de réussir.
Reprochez-moi ce que vous voulez, faites peser tous les soupçons d’incompétences que vous voudrez à mon égard — j’assume complètement mon choix d’accompagner en priorité ceux et celles qui ont choisi d’avancer dans une perspective de transformation de leur métier plutôt que dans une logique révolutionnaire. Les enjeux culturels et économiques me semblent beaucoup trop importants pour les jouer à quitte ou double.
Vous avez plutôt choisi d’œuvrer en marge des systèmes existants — c’est tout à votre honneur.
Vous avez aussi choisi d’agir comme le caillou dans le soulier — c’est évidemment votre droit. Je respecte tout à fait cela — plus encore, c’est un rôle nécessaire et, d’une certaine façon, je vous en remercie.
Je vous avouerai en terminant que j’ai longuement hésité quant à la pertinence de répondre à votre texte — parce que je sais bien que, parfois, il vaut mieux laisser s’éteindre d’elles-même les polémiques inutiles. J’ai finalement opté pour le dialogue, me disant que nous ne gagnerions ni l’un ni l’autre à ignorer le travail et les opinions de l’autre. Je vous invite (je nous invite!) donc à poursuivre cette conversation guidés par le désir de comprendre les motivations, les projets et les contraintes de l’autre plutôt qu’en cherchant à les juger — voire à en faire un procès d’intention.
Cordialement,
Clément
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