Un, deux, trois, go!

Retour au travail aujourd’hui. Et en pleine forme! Je suis prêt pour les prochaines semaines… qui seront certainement pleines de rebondissements.

J’aborde la campagne électorale comme une occasion de vivre des moments uniques avec des personnes extraordinaires, qui ont choisi de relever un immense défi personnel, au bénéfice du Bien commun. Je trouve ça émouvant. On vit peu de moments comme ceux-là dans une vie. Il faut les savourer. 

C’est une période très intense aussi, bien sûr. Et j’en ai fait assez pour savoir qu’il y a trois choses essentielles qui permettent d’obtenir le succès espéré: 

1. Être en mesure de donner le meilleur de nous-mêmes chaque jour — et, pour ça, réussir à rester en forme, reposé.  

2. Savoir reconnaître ses forces et ses faiblesses, et s’appuyer aussi souvent que nécessaire sur les coéquipiers — parce qu’il n’y a qu’une seule façon de gagner une élection: en équipe. 

3. Finalement, il faut réussir à vivre sereinement avec les imprévus et les contrariétés… parce qu’il y en a tous les jours. Et pour passer à travers, il faut savoir en rire, se r’virer de bord et faire du judo avec les erreurs (qui deviennent parfois de bons coups!).

Le succès d’une campagne électorale ne repose pas tant sur la capacité de gagner la journée, mais bien sûr celle de garder le cap. Le plus important, c’est de ne pas perdre de vue notre Idéal, nos objectifs et notre stratégie — en cultivant notre solidarité.

Tout ça à travers les imprévus, les inévitables faux pas, et les jambettes qui vont nous être faites… parce que ça fait partie de l’exercice!

***

Note: Le retour à l’Hôtel de Ville ne veut pas  dire que ma série de textes sur les objets trouvés est terminée, mais le rythme ralentira certainement. Ça me donne l’occasion de regrouper les vingt premiers dans un document PDF (32 Mo) afin d’en faciliter la lecture.

Immigration et statistiques

C’est un coup de gueule de Taïeb Moalla, sur Facebook, qui m’a amené à lire ce texte de Geneviève Lajoie, dans le Journal de Québec du 14 mars:

Immigrants de 1re et de 2e génération: plus d’un élève sur trois au Québec issu de l’immigration

Extraits:

« Près de 420 000 enfants et adolescents qui fréquentent les écoles primaires et secondaires, sur un total de 1,2 million, sont issus de l’immigration, selon un portrait inédit du ministère de l’Éducation. »

« Pour Québec, un enfant est considéré comme immigrant s’il est né à l’étranger ou si un des deux parents n’est pas né au pays. »

Boum! — Ça veut dire que de ce point de vue, mes enfants sont considérés comme immigrants — parce que leur mère est née en Uruguay et moi au Québec. Alors qu’ils sont tous les trois nés à Québec.

Issus de l’immigration, je veux bien, mais immigrants, ça n’a aucun sens. 

Et même cette nuance apportée, je dis: danger. Qu’est-ce qu’on essaie de dire en utilisant ce genre de statistiques?

Je donne la parole au ministre:

« Soyons clairs, on ne blâme pas du tout les enfants immigrants et leurs parents, mais il faut que les Québécois voient l’impact que les politiques du gouvernement fédéral ont sur nos écoles. On a de plus en plus d’enseignants et de personnel à l’école, mais ça va être difficile d’en venir à bout si le nombre d’élèves immigrants continue d’augmenter comme ça.»

J’accepte l’idée qu’il y a un défi important dans l’intégration rapide d’un grand nombre d’immigrants (au sens réel du terme) dans une société. Je peux aussi accepter l’idée que le Québec est vraisemblablement confronté à ce défi actuellement. Mais il ne faut pas exagérer non plus: il y a bien des enfants nouvellement arrivés au Québec qui posent moins de défis que des enfants nés ici. 

Quoi qu’il en soit, mettre les enfants « issus de l’immigration » (dits « de deuxième génération ») — dans cette analyse, me semble extrêmement dangereux. 

Ça suggère que, quoi qu’ils fassent, ils ne sont pas considérés comme Québécois. Et que leurs enfants pourraient ne pas l’être non plus. Même si ce n’est peut-être pas l’intention, ça envoie un message d’exclusion.

Ça revient en quelques sorte à dire à des personnes immigrantes (au véritable sens du terme), qui se sont installées au Québec (parfois très jeunes) que leurs enfants font porter un poids additionnel aux écoles et aux services publics des « autres Québécois »? Et là, je décroche. Je pense que j’ai même la responsabilité de le dénoncer. 

Ce n’est pas le gouvernement actuel qui a inventé l’idée d’immigrant de deuxième génération. Le ministère de l’Éducation publie des rapports basés sur cette idée depuis de nombreuses années. Mais je pense qu’il est grand temps de s’en défaire.

C’est une idée qui avait peut-être un sens dans un Québec « pur laine » (si une telle chose a déjà existé), dans les années 70, mais ça nous nuit terriblement aujourd’hui. Ça sert à masquer une réalité sociale que certains aimeraient mieux ne pas voir, alors qu’on doit apprendre à l’identifier comme une force. À s’en faire une force.

Un enfant issu de l’immigration, dits, de deuxième génération, ce n’est certainement pas un fardeau dans une classe. Au contraire, c’est un atout. C’est un interprète. C’est une fenêtre sur le monde. C’est quelqu’un qui peut aider à l’intégration des nouveaux arrivants. C’est un catalyseur de l’intégration à la société québécoise.

Si le Québec avait vraiment confiance en lui, s’il était déterminé à protéger son poids démographique dans la fédération canadienne… il ferait tout en son possible pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants à la culture québécoise. Et les enfants et les adultes « issus de l’immigration » feraient partie de ses meilleurs alliés pour arriver à cette fin. De mon point de vue, il ne font pas partie des problèmes, ils font partie de la solution. 

Sans compter que « l’immigrant de deuxième génération » est, dans notre contexte, un concept dont l’utilité va inévitablement tomber en désuétude… parce qu’il ne voudra plus rien dire… parce que, forcément, il génère sa propre croissance…

Parce qu’une adulte née à l’étranger (appelons-la Ana), qui est arrivée au Québec à un an, qui fonde une famille avec un homme, né à Rimouski (appelons-le Clément) et qui ont trois enfants… génèrent pour le ministère de l’Éducation trois « immigrants ». Alors que tout ce beau monde, parents et enfants, ont été scolarisés au Québec et qu’ils sont indiscutablement québécois — de coeur, d’abord et avant tout (parce que c’est le plus important), et bien sûr au sens de la Loi. 

Avec l’immigration que nous avons connue dans les dernières années au Québec (dont une partie répond à des besoins fondamentaux du Québec, rappelons-le, dont le développement ne peut pas se poursuivre sans immigration,  indépendamment des critiques qu’on peut faire au gouvernement fédéral)… le nombre « d’immigrants de deuxième génération » ne pourra que continuer à augmenter, et rapidement.

Il n’y aura pas de surprise. C’est écrit ans le ciel: la statistique va continuer d’augmenter. On le sait. La question est donc de savoir ce qu’on va faire dire à ces statistiques? Et là, je dis: danger!

Je crois qu’on devrait tout simplement abandonner ce concept qui est, au mieux, devenu un handicap pour bien identifier les efforts qu’on doit faire pour bien accueillir les véritables immigrants. Et qui, au pire, offre de faux arguments à ceux qui souhaitent que le Québec se replie sur lui-même.

Je suis très fier que mes enfants soient issus de l’immigration — je pense que leur vision du monde s’en trouve élargie. Et je suis convaincu que c’est une richesse dont ils feront profiter la société québécoise. 

Je leur dédie ce texte.

Il faut prendre soin de notre démocratie

On est dans une période complexe, particulièrement imprévisible — donc inquiétante. On vit un choc. On réalise que ce qu’on pensait pouvoir tenir pour acquis est soudainement remis en question. Sans savoir jusqu’où ça ira, et quand ça s’arrêtera.

Mais ce n’est pas la première fois que l’humanité passe par là. C’est le temps de revisiter l’histoire. De se rappeler des erreurs à ne pas reproduire — à commencer par laisser envahir nos esprits par le désordre et perdre de vue ce qu’on a de plus précieux.

À la suggestion d’un ami, j’ai lu dans les derniers jours L’ordre du jour, d’Éric Vuillard. C’est le récit des coulisses de la prise de contrôle de l’Autriche par l’Allemagne, en 1938. Et c’est d’une actualité saisissante. C’est effrayant, certes, mais ça aide aussi à reconnaître les patterns de l’histoire… et ça outille pour ne pas en devenir complices malgré nous.

Je ressors de cette lecture préoccupé par toute l’attention que nous accordons actuellement à l’effondrement de la démocratie états-unienne.

Il va bien sûr falloir s’adapter à une toute nouvelle réalité (défi immense s’il en est un!), mais ce n’est pas de ce qui se passe là-bas dont on devrait se préoccuper le plus, c’est plutôt de l’état de notre propre démocratie et de sa vulnérabilité. Il est indispensable de s’interroger sur les façons de la protéger.

On voit plus clairement que jamais à quel point la démocratie, et les institutions qui l’incarnent sont fragiles. Elles sont essentiellement basées sur des conventions et des normes qui ont pris forme à la fin de la Seconde Guerre mondiale et auxquelles une large majorité des dirigeants nationaux et internationaux se sont volontairement conformés dans le but de favoriser la paix et la prospérité du plus grand nombre.

Je ressors aussi de cette lecture convaincu qu’on est tous responsables de prendre soin des rouages de notre démocratie — et de celles et ceux qui la font vivre.

C’est toute une machine la démocratie. Une machine qui repose sur des institutions, des partis politiques, et plus encore sur des élu.e.s, femmes et hommes, qui ont le courage de débattrent sur la place publique, pour faire avancer les idées auxquelles ils croient. Sur des milliers de bénévoles, aussi, qui soutiennent élu.e.s et candidat.e.s d’une élection à l’autre.

Il faut chérir tout ça. Et, plus que jamais, accepter les débats, même quand ils sont particulièrement vigoureux. Il faut assumer les désaccords et accepter les décisions auxquelles on a pu s’opposer. Parce que c’est tout ça le prix de la démocratie — et que c’est toujours mieux que ce qui est en train de se passer au sud de la frontière.

Je me dis finalement que le plus important dans les prochains semaines et les prochains mois, ce sera peut-être de poser de petits gestes pour souligner ce qu’on a de plus précieux et valoriser ceux qui ont choisi le service public: les élus, de tous les paliers de gouvernements, mais aussi les gestionnaires des institutions qui nous rendent de précieux services, et les fonctionnaires en général.

On devrait prendre le temps d’écrire un mot à toutes ces personnes pour leur dire que leur travail est important, et que, même si on n’est pas toujours d’accord avec elles, on les remercie pour leur engagement en faveur du Bien commun.

Tout ce beau monde va avoir besoin de courage dans les prochaines semaines et les prochains mois. Ils et elles auront tous des décisions difficiles à prendre. Autant leur apporter notre soutien dès maintenant.

Et n’en doutez pas… ça compte, je le vois chaque jour avec les élu.e.s avec lesquels j’ai le privilège de travailler! Un message d’encouragement permet d’atténuer l’effet d’au moins dix messages négatifs, méprisants ou haineux… comme il en pullule malheureusement sur les réseaux sociaux.

Il n’y a peut-être rien de mieux qu’un message d’encouragement pour protéger la démocratie.

Photo: Otto Freundlich, Sem título, 1934 — vu à Lisbonne, février 2024.

Moins de Trump, plus de nous

On a l’impression depuis quelques semaines que c’est le président des États-Unis qui va déterminer notre avenir. On ne parle plus que de lui.

Le président fait tout pour envahir nos esprits. Et les médias, en particulier les médias d’information en continu, le lui rendent bien. Ça fait de la bonne télévision: il y a des rebondissements plusieurs fois par jour, des personnages apparaissent et disparaissent, il y a des bons et des méchants, c’est simple, c’est spectaculaire. Et c’est ce qu’il veut.

Sauf que ce n’est pas vrai.

Il faut se rappeler qu’on maîtrise encore notre destin. On a encore les moyens de déterminer notre avenir.

C’est ce qu’il aimerait qu’on oublie pour se soumettre plus docilement à sa logique.

Bien sûr que les actions du pays voisin conditionnent ce qu’on peut faire. Bien sûr que les tarifs, qui viennent de nous être imposés, vont forcer une transformation en profondeur de notre économie. Mais c’est aussi une opportunité.

Si on fait l’effort d’y rechercher les opportunités — au lieu de se contenter de réagir.

C’est ça qu’on devrait mettre de l’avant dans les prochaines semaines. C’est de ça qu’on devrait parler.

Il faut parler moins de Trump et plus de nous.

Il faut réagir moins et rêver plus.

C’est un moment pour se serrer les coudes. Un moment pour que l’État fasse preuve de souplesse et d’agilité. Il faut oser sortir des sentiers battus et — au risque de répéter ce que je disais dans un texte précédent — éviter de se diviser pour des désaccords secondaires, sur des nuances ou des « ce n’est pas encore assez bien ». On a un défi à relever ensemble, il faut s’unir.

Ce qui est en train de se passer est inédit. Ça comporte plein de risques. Mais le pire n’est jamais certain. Cela peut aussi être un moment extraordinaire… si on ne se laisse pas distraire indument par les frasques du président américain.

Il va falloir s’entraider, tous les jours, pour y arriver.

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Collage — Le Devoir de ce matin, avant / après.

Il faut résister

Inutile de faire semblant, ce qui se passe aux États-Unis est inquiétant. Très inquiétant.

C’est dans ces moments qu’il est le plus important de porter notre attention aux bons endroits, pour prendre soin de notre état d’esprit, et de celui de nos proches.

Il faut choisir à quoi on accorde de l’attention.

Ce n’est jamais facile, et c’est particulièrement difficile quand on doit composer avec des personnalités qui ont fait de l’outrance une stratégie pour capter et conserver l’attention de tout le monde, tous les jours (heureusement, on a déjà eu un avant-goût de 2016 à 2020 — faut juste s’en rappeler et faire mieux!). C’est encore plus difficile quand les médias n’arrivent pas à mettre les choses en perspectives et que les algorithmes sont de plus en plus malintentionnés.

Mais il faut y arriver!

Se laisser avaler par la vague, c’est capituler.

Il faut résister — garder le contrôle de nos esprits.

Pour ça, il faut éviter de relayer inutilement les outrances autour de nous. Il faut plutôt essayer de partager des nouvelles positives, des sources d’espoirs, de la lumière.

Peut-être plus important encore, il faut aussi qu’on réalise que c’est le moment de s’unir pour faciliter l’amélioration de la société.

Ce n’est pas le moment de se diviser pour des nuances. Il faut que de belles choses se concrétisent parce que c’est ce qui nourrira notre conviction que tout ne va pas mal et qu’on a raison de rester optimistes.

C’est plus facile à dire qu’à faire, je le sais — mais ça reste un défi essentiel, qu’il nous faudra relever dans les prochaines semaines et les prochains mois. Il faut s’élever.

Il faut unir nos forces pour faciliter l’avènement de tout ce qui rend le monde meilleur, même de façon très imparfaite.

On entre dans un moment de l’histoire où le mieux sera, la plupart du temps, l’ennemi du bien.

Image: Collage, à partir du New Yorker du 7 août 2017.

Le numérique à l’école: pour quels résultats?

Je ne suis pas un grand utilisateur de LinkedIn, j’y jette seulement un coup d’œil de temps en temps. Je suis tombé ce matin sur une question de l’ami Gilles Herman qui m’a fait réagir. Et pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai eu spontanément envie de répondre, directement là, sous la question.

Alors j’ai pris le temps de rédiger ma réponse… mais au moment de la publier: « limite de caractères dépassés (-195) ». Question complexe, espace réduit pour répondre. Frustrant. 

Alors, comme je trouve que la réflexion qu’il propose mérite d’être faite, je publie ma réponse ici. À suivre.

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La question de Gilles Herman:

« Alors que les analyses des 25 premières années du nouveau millénaire abondent, voici la question que je me pose :

Nous avons dépensé une fortune pour introduire le numérique dans nos classes. Quels sont les usages qui ont réellement amélioré les apprentissages de bases des élèves du primaire et du secondaire, en excluant les élèves présentant des difficultés particulières ?

Autrement dit, que fait-on de mieux avec du numérique que nous ne faisions pas il y a 25 ans ? »

Ma réponse:

Déjà, de préciser « en excluant les élèves présentant des difficultés particulières », ce n’est pas une petite affaire — parce qu’il s’agit d’une des missions importantes de l’école. 

Autre chose qui m’étonne dans la façon dont tu formule la question, tu évoques « les apprentissages de base ». Je présume que tu fais référence à la lecture, l’écriture et l’arithmétique? Il ne me viendrait évidemment pas à l’esprit de contester que ce sont des apprentissages essentiels. Mais n’y a-t-il pas d’autres apprentissages, qui sont aussi devenus essentiels dans un univers aussi « médiatisé » / « numérique » que celui d’aujourd’hui, et pour lesquels l’école aurait faillit si on n’y avait pas fait les investissements dont tu parles?

Est-ce qu’aujourd’hui, les compétences des gens qui postulent pour un poste dans une maison d’édition correspondraient aux attentes s’il n’y avait pas eu d’ordinateurs dans les écoles? 

Et est-ce que les inégalités entre les familles s’en seraient trouvées accrues? 

Et, par ailleurs, quand on dit qu’on y a investi des fortunes — est-ce si vrai? En comparaison avec quoi, par exemple?

Attention, je suis loin de dire que nous avons bien réussi l’intégration des « nouvelles technologies de l’information » dans les écoles. Je suis critique à bien des égards, mais de là à suggérer qu’on aurait pu éviter de le faire? C’est une question confortable, mais je trouve qu’elle fait l’impasse sur une grande partie de la mission de l’école. 

Gymnastique mentale pour 2025

À l’approche de 2025, dans le calme de l’entre-deux-fêtes, je m’accorde un peu de temps pour réfléchir au quart de siècle qui se terminera dans quelques jours. 

Qu’en retenir? Et, surtout, quel espoir en tirer?

C’est un exercice personnel, sans prétention, qui est facilité par le fait que j’avais pris le temps de faire, il y a cinq ans, une rétrospective de 1989 à 2019 — que j’ai pris le temps de survoler ce matin. Ça m’a rappelé à quel point la mémoire est une faculté qui oublie — ou plutôt « qui sélectionne ».

C’est un constat qui fait un amusant écho au superbe roman de Patrick Modiano dont je viens de terminer la lecture: Encre sympathique

« Je n’ai jamais respecté l’ordre chronologique. Il n’a jamais existé pour moi. Le présent et le passé se mêlent l’un à l’autre dans une sorte de transparence… »

J’ai été surpris par plusieurs choses que j’ai relues dans mon histoire personnelle du Québec: je ne me souvenais pas à quel point il n’a pas été facile pour le moral ce quart de siècle…

Et encore, il est important de se rappeler qu’on est infiniment chanceux de vivre ici — bien des régions du monde ont vécu d’épouvantables drames au cours de la même période. Il faut savoir relativiser.

*** 

Tout ça pour dire que je retiens trois principaux événements marquant, collectivement, dans les vingt-cinq dernières années — de mon point de vue, ici, au Québec.

  • En 2001, les attentats du 11 septembre.
  • En 2020, la pandémie de Covid 19.
  • Et, entre les deux, en 2007 — que j’estime encore plus marquant: l’avènement des téléphones intelligents et des réseaux sociaux.

Thomas L. Friedman disait en 2016, dans Thank You for Being Late, que l’année 2007 avait marqué un point tournant dans l’histoire de l’humanité. Développement du iPhone, de Facebook, de Twitter, de AirBnB, de GitHub, acquisition de YouTube par Google, dévoilement d’Androïd, lancement du Kindle, et présentation de Watson, le premier ordinateur à allier machine learning et intelligence artificielle — pour ne nommer que quelques exemples. Pour lui, cela marque le début d’une accélération des changements technologiques qui dépasse la capacité d’adaptation de l’être humain.

Résumé autrement: 

  • En 2001, on découvre avec stupéfaction que même ce qu’on croyait impossible peut arriver. 
  • En 2007, tout s’accélère sous l’influence de la technologie, ça en est essoufflant.
  • En 2020, tout s’arrête subitement avec la pandémie. L’impossible se manifeste à nouveau.

Il apparaît évident d’évoquer aussi une recrudescence de l’anxiété quand on parle de cette période — une anxiété qui m’apparaît pouvoir s’expliquer, au moins en partie, par la déconnexion entre le rythme des changements technologiques et celui d’autres aspects de la société. 

En effet, on a très souvent eu l’impression dans les dernières années que « la société ne suivait pas », que tout était trop lent. Les plus jeunes, en particulier, qui sont nés avec le Web, qui sont arrivés à l’école au tournant de 2007, ont dû avoir l’impression que « tout va super vite », mais qu’en comparaison, le monde tangible, notre société, est terriblement immobile. 

L’urgence de faire face aux changements climatiques, par exemple, est partout sur le Web, mais dans la réalité… les actions tardent à se manifester. On a l’impression du Titanic qui fonce dans l’iceberg. Et pour amplifier tout ça, les médias couvrent abondamment le domaine de l’instantanéité et s’intéressent assez peu aux mouvements de fonds — à ce qui prend du temps — qui devient imperceptible. 

Devant tout ça il apparaît normal de se sentir désemparé, de conclure « qu’il n’y a rien à faire, on n’y arrivera pas ». Ou de croire que « c’est la faute de l’autre », alors que le problème est plutôt à chercher dans notre psychologie collective. 

Cette dissociation entre le rythme avec lequel évolue « l’univers numérique » et « l’univers tangible » peut vraisemblablement être considéré comme un des faits marquants du premier quart du XXIe siècle. 

Ce serait très inquiétant s’il fallait que cela continue ainsi encore longtemps, mais je suis optimiste. 

Je crois qu’on est, heureusement, sur le point de passer à une autre étape, qui sera plus sereine: moins dans le désemparement, plus dans l’empowerment.  

On est loin d’en être sorti, bien sûr — je ne suis pas naïf. On subira encore pendant un certain temps — plusieurs années — les effets de cette « perte de contrôle », mais si on aborde ça avec un peu plus de perspective, je crois qu’on peut déjà percevoir quelques signes encourageants.

***

J’observe qu’on commence, individuellement, à se laisser bousculer un peu moins facilement par les changements technologiques (pour reprendre un peu de pouvoir sur le rythme). Il était normal d’être ensorcelé par des technologies qui sont, véritablement, extraordinaires. Mais on est maintenant capable de les critiquer, voire de s’en émanciper. On se sent de plus en plus libres de les abandonner sans risque d’être ostracisé.

J’observe aussi que les « gouvernants », semblent commencer à mieux comprendre qu’il est essentiel de redonner de l’agilité à la société. Qu’on doit arriver à sortir du « tout est très compliqué » pour retrouver la capacité de poser des gestes dont les effets sont perceptibles rapidement — parce que c’est ce qui va nous aider à retrouver la confiance dans notre capacité à agir sur la réalité (la droite semble mieux comprendre actuellement, ce qui est inconfortable, mais j’ai confiance que la gauche, et le centre, le comprennent de mieux en mieux aussi).

J’ai donc bon espoir que les prochaines années seront marquées par des propositions politiques (par des partis, mais aussi des groupes de diverses natures) qui s’articuleront autour d’actions plus simples, qui peuvent donner des résultats rapides — pour lesquelles on peut oser plus facilement, au risque de se tromper et de corriger par la suite. 

Des propositions plus accueillantes aussi — au sens où elles stimuleront davantage l’engagement de chacun, où elles donneront envie aux gens de s’impliquer et de mettre la main à la pâte, et pas que sur Internet. Parce qu’il n’y a rien comme voir des résultats et partager des sourires pour se laisser convaincre que tout ça sert à quelque chose — et retrouver confiance dans l’action collective.

Si on y croit et qu’on veut soutenir ce changement, il faudra, chacun de notre côté, se rappeler « qu’un tien vaut mieux que deux tu l’auras » et que « le mieux est souvent l’ennemi du bien ». Il faudra accepter d’appuyer des gens imparfaits, ou avec lesquels on n’est pas 100% en accord. Parce qu’il faut avancer. Il faudra aussi arrêter de s’obstiner pour tout et pour rien. Il faudra chaque fois que possible privilégier le mouvement, aux débats qui nous empêchent d’avancer.. 

Je ne peux évidemment pas dire tout ça sans exprimer aussi la conviction que le monde municipal est un espace extraordinaire pour réapprendre tout ça, collectivement. Je pense que ce peut être le lieu privilégié d’une petite révolution démocratique: pour inventer de nouvelles façons de faire et pour permettre à des hommes et des femmes politiques de se révéler.  

Il faut s’intéresser au monde municipal: je crois que c’est l’endroit privilégié, aujourd’hui, pour apprendre à changer le monde et avoir du plaisir à le faire.

***

Alors, qu’est-ce que je retiens des 25 dernières années? Surtout qu’on s’est pas mal laissé brasser par les génies de la Silicon Valley — pour le meilleur et pour le pire. 

Et quel espoir est-ce que j’en tire pour les 25 prochaines années? Je crois possible quelque chose comme une grande corvée collective pour sortir de l’inertie — réelle ou perçue — dans laquelle tout ça nous a placés et retrouver du même coup la confiance pour innover socialement.

Il me semble tout à fait possible qu’en 2050 on se dise que le second quart du XXIe siècle a été celui d’un grand réveil démocratique, qui a permis de transformer en profondeur l’organisation de notre société: une sorte de deuxième révolution tranquille — de laquelle on émergera beaucoup plus confiant dans l’avenir.

Je formule cet espoir comme un homme de (presque) 52 ans, qui a la chance d’être au cœur du pouvoir, mais je crois observer que beaucoup de « plus jeune que moi » partagent un espoir semblable. Je me réjouis en pensant qu’ils sont encore mieux outillés que ma génération l’était pour surmonter les obstacles qui séparent ce rêve de la réalité.

Je pense que la meilleure façon d’être optimiste à cette étape de notre histoire, c’est de faire confiance le plus rapidement possible aux plus jeunes. Il faut pour ça leur ouvrir le chemin, et leur offrir un accompagnement bienveillant, tout en évitant de leur dire quoi faire — et encore moins de leur imposer ce qu’on aurait fait si on avait été à leur place.

***

Tout ça pour dire que la conclusion de ma réflexion, c’est que la meilleure façon de tourner la page du premier quart du XXIe siècle, c’est d’accepter sereinement que c’est (déjà) le tour des plus jeunes d’assumer le leadership, et de leur offrir tout notre appui pour le faire.

Le plus vite possible

Vue de la fenêtre de mon bureau à l’Hôtel de ville de Québec

3 février, déjà!… Il n’y a pas à dire, l’année 2024 est repartie sur les chapeaux de roues. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose d’effréné dans l’air. Quelque chose dont on devrait se méfier.

Alors par ce beau samedi matin, je prends le temps d’y réfléchir un peu — et je me réjouirai si les commentaires de lecteurs venaient nourrir ma réflexion.

***

Il est plus évident que jamais que nous faisons face, comme société, à d’immenses défis: de profondes transformations économiques, l’adaptation aux changements climatiques et la crise du logement, entre autres choses. À l’évidence, aucun de ces défis ne pourra être réglé d’un coup de baguette magique. Aucun geste isolé ne peut offrir une solution suffisante. Il va falloir coordonner un vaste ensemble d’actions et faire preuve de détermination dans leur mise en œuvre. C’est une période exigeante et complexe pour exercer le pouvoir. Très stimulante aussi, heureusement!

Il faut aussi constater à quel point l’action politique se réalise aujourd’hui dans un environnement médiatique qui, pour toutes sortes de raisons, impose un rythme élevé et qui nourrit plus facilement les controverses qu’il ne met en valeur les délibérations, la collaboration et les compromis qui en découlent — qui sont pourtant les indispensables rouages de la démocratie. Les médias ne sont pas des observateurs neutres de la dynamique politique, ils en sont aussi des acteurs — et leurs choix influencent le cours des choses. Il faut en être conscient, et s’adapter à cette réalité. Parce que ça fait partie de la game…

Dans ce contexte, il me semble plus déterminant que jamais que les acteurs politiques cultivent des espaces-temps propices à la réflexion et qu’ils privilégient une communication qui vise à susciter l’adhésion plutôt que de souffler sur les divisions. Ce n’est pas toujours facile, notamment parce qu’il faut, pour ça, accepter de prendre un peu de recul avant de réagir, alors que tout le monde attend une réaction, maintenant, tout de suite.

Ce matin, je me dis que ce début d’année frénétique est un bon moment pour se rappeler l’humilité qui devrait habiter les politiciennes et les politiciens: ils ne peuvent pas réaliser seuls les changements qu’ils initient. Le succès de leurs actions reposent surtout sur les citoyennes et les citoyens — et les entreprises et organismes dans lesquels ils travaillent et s’engagent.

Le premier rôle des hommes et des femmes politiques c’est de créer les conditions favorables au changement. C’est de réunir des conditions qui permettent à tout le monde d’avoir confiance que leurs actions comptent et peuvent faire la différence. Ils peuvent le faire en adoptant un discours fort, inspirant et déterminé, ils peuvent aussi le faire adoptant des lois et des règlements, mais le moyen le plus efficace reste probablement de valoriser l’engagement du plus grand nombre. Parce que si on ne le fait pas, et qu’on prive les gens de leur influence, comment s’étonner qu’ils se réfugient dans la protestation?

Pour cette raison, je pense que quand on a le privilège d’exercer le pouvoir politique, notre plus grande responsabilité c’est de nourrir la confiance dans la démocratie — en valorisant le dialogue, en créant des conditions favorables aux débats et en privilégiant des processus qui permettent de faire des essais et d’apprendre des erreurs. Il faut garder à l’esprit que c’est de cette façon qu’on pourra identifier et mettre en œuvre le plus vite possible des solutions.

En démocratie, l’objectif ne peut pas être l’unanimité, ni même le consensus. L’objectif c’est que les décisions nécessaires se prennent aussi rapidement que possible, dans le cadre de processus qui visent à susciter l’adhésion.

Je nous souhaite à tous cette sagesse en 2024 — parce qu’autrement, il y a plus de chances que les prochains mois nous essoufflent qu’ils nous permettent d’avancer vers un monde meilleur.

De quoi ce moment est-il l’occasion?

À la recherche d’un fil conducteur pour mon année 2024 (au lieu d’une simple résolution — merci Ana pour la suggestion!), j’ai lu aujourd’hui Avoir le temps, essai de chronosophie, de Pascal Chabot (présentation vidéo ici).

L’auteur fait dans ce livre un survol de quatre grands rapports au temps: le Destin, le Progrès, l’Hypertemps et le Délai — avant d’en proposer une cinquième, qu’il propose comme une forme de synthèse: l’Occasion.

Le Destin nous place dans un rapport de fatalité essentiellement déterminé par le passé.
Le Progrès nous place dans un rapport ouvert avec le futur en faisant une plus grande place à liberté.
L’Hypertemps se manifeste comme une présentification de l’histoire marquée par l’omniprésence du temps à travers les écrans, les horaires et le phénomène du crédit (en mobilisant aujourd’hui les ressources du futur).
Et le Délai, dont l’essence est d’analyser sous l’angle « du temps qui reste », à la manière d’un un compte à rebours qui nous approche d’une fatalité.

Ce quatrième rapport au temps, de plus en plus présent dans l’inconscient collectif, notamment dans le contexte des changements climatiques, pose particulièrement problème à Pascal Chabot:

« La récente prise de conscience du Délai fait naître des sentiments inédits. (…) J’aimerais par exemple nommer afuturalgie la douleur de se sentir privé de futur. Le Délai (…) a un retentissement émotionnel et affectif profond, qui peut s’accompagner d’angoisse ou de découragement. (…)

« Quel retournement curieux, que de voir des adolescents qui n’ont même pas eu le temps d’éprouver quelque nostalgie, faire déjà profession de foi afuturalgique! Avoir le sentiment de n’avoir pas de futur quand on n’a pourtant que cela, voilà la grande perversité de l’époque, qui doit nous rendre très prudents et même sceptiques dans la manière d’user de cette catégorie.

« Le plus élémentaire des devoirs envers la jeunesse est de ne pas lui livrer un manque d’avenir, ni concrètement – ce qui signifie qu’il faut agir –, ni intellectuellement, ce qui nous oblige à déboucher l’horizon, à investiguer pour savoir si d’autres schèmes temporels peuvent naître, car le Délai ne peut être le dernier mot.

« La responsabilité morale des intellectuels est ici engagée. Il y a comme un crime contre la jeunesse que de lui répéter qu’elle est la génération des tard-venus, des héritiers du monde de l’abondance qui n’en profiteront pas, ou encore des avant-derniers. »

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Pascal Chabot rappelle d’ailleurs tout au long du livre, de diverses façons que « des rapports divers à la liberté, à l’égalité et à la qualité sont en jeu derrière [ces différents rapports au temps], et [qu’il] est important de savoir choisir et favoriser. »

Dans le dernier chapitre, il porte notre attention sur le fait que le Destin, l’Hypertemps et le Délai sont en fait trois images de la fatalité, à la différence du Progrès, qui n’y participe pas. Et tout en reconnaissant que le Progrès n’est pas non plus une panacée, « ayant été la matrice d’une lecture triomphale de l’Histoire dont on a souligné la violence », il plaide « qu’il est essentiel de souligner que les qualités humanistes qu’il porte sont précieuses et doivent être cultivées. »

La question, « cruciale pour qui n’accepte pas la fatalité », devient alors de trouver « Comment réactiver le Progrès en le réorientant ? Comment sauver le Progrès de ses errements sans le sacrifier sur l’autel des culpabilités passées ? ». Ou, dit autrement « comment faire progresser notre conception du progrès ? »

Et c’est là qu’intervient à son avis le rôle de la philosophie — de la chronosophie — dont le mode de pensée doit être l’Occasion:

« L’Occasion est le moment opportun, que les Grecs appelaient kaïros. Ils avaient compris que si l’Occasion est un schème temporel, car rien ne concerne autant la chronosophie que de savoir comment agir et à quel moment, elle n’est en rien comparable au passé, au présent ou au futur. L’Occasion est comme une sortie du temps. C’est pour cela qu’elle est le temps philosophique par excellence : elle suppose le surplomb que la philosophie peut lui donner. (…)

« L’Occasion, c’est le temps philosophique de la résolution. La prise de conscience d’une fenêtre d’opportunité, qui signifie qu’il faut agir. »

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La lecture de Avoir le temps m’a donné envie de prendre un engagement envers moi-même.

Celui de me demander, aussi souvent que possible, de quoi le moment présent pourrait être l’occasion? — comme une façon d’éviter que le rythme du quotidien détermine à lui seul mon emploi du temps.

Conclusion de tout ça: le fil conducteur de mon année 2024 sera le désir de cultiver une conscience de l’Occasion.

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Photo: un ex-libris fabriqué pour moi par Capucine Baz-Laberge

Un pas à la fois

Près de Kamouraska, août 2023

Je prends quelques minutes pour lire chaque matin, avant même de me lever. Au cours des derniers mois, l’actualité a pris trop de place dans ce rituel.

Depuis le début de l’été, je tente de trouver un meilleur équilibre avec des textes plus nourrissants, qui permettent d’ancrer la journée à venir dans une démarche, plutôt que d’en faire une réaction aux événements.

Le dimanche est mon matin préféré pour ça, notamment parce que je reçois ce jour-là l’infolettre The Marginalian, de Maria Popova, et Sentiers, de Patrick Tanguay: deux extraordinaire sources de textes stimulants.

L’édition de ce matin de Sentiers était particulièrement riche. Elle mérite de s’y attarder longuement.

Un des textes suggérés par Patrick a particulièrement attiré mon attention: celui de Rebecca Solnit, dans The Guardian: We can’t afford to be climate doomers.

« Some days I think that if we lose the climate battle, it’ll be due in no small part to this defeatism among the comfortable in the global north, while people in frontline communities continue to fight like hell for survival. Which is why fighting defeatism is also climate work. »

Je crois, comme elle, qu’il est plus important que jamais de lutter contre le défaitisme en proposant des récits positifs, stimulants, qui permettent d’illustrer qu’aucun de nos gestes est inutile.

Il a aussi attiré mon attention parce que je me rappelais d’avoir lu d’autres textes de Rebecca Solnit.

J’ai donc fait une recherche dans mes archives.

Et là, bingo! La cascade de coïncidences. Les oiseaux du hasard se sont posés sur mon épaule, comme le dit si bien Milan Kundera (dont je suis en train de parcourir l’œuvre).

Dans un des plus récents textes publiés, Le rôle de l’imagination, (c’était il y a plus de six mois! — j’ai malheureusement publié trop peu ici en 2023), je faisais référence à un texte de Rebecca Solnit, encore une fois découvert dans Sentiers.

Le texte s’intitulait If you win the popular imagination, you change the game, et insistait sur la nécessité d’inventer de nouveaux récits pour stimuler notre capacité à faire face à la crise climatique.

« We are sadly lacking stories in which collective actions or the patient determination of organisées is what change the world. »

J’évoquais dans le texte que que les propos de Rebecca Solnit me rappelaient ceux de Cyril Dion dans son Petit manuel de résistance contemporained’abord lu en 2018 et que j’ai entrepris de relire au cours des derniers jours!

J’éprouve d’ailleurs la même impression en le relisant: l’essentiel est là, la clé pour la suite se trouve dans notre capacité à créer des récits stimulants, qui donnent envie aux gens de se mobiliser en collaborant pour faire face aux défis qui nous attendent.

C’est un livre dont la lecture me semble plus importante que jamais.

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Les réflexions de Rebecca Solnit et de Cyril Dion rappellent également l’importance de réussir à identifier les opportunités qui se cachent à travers ces défis, à venir ou immédiat, dans certains cas, particulièrement dramatiques, comme à Laihaina, sur l’île de Maui.

Une entrevue avec Kaniela Ing (que j’ai aussi lue ce matin, dans Heated), illustre d’ailleurs remarquablement tout ça, je trouve:

« I know it can sound a little wonky or too aspirational. But I was walking through the main evacuation facility yesterday, talking to folks and helping move goods, and they were telling me that exact thing. They’re like, “I just want to get back and start building houses, helping my neighbors.” They’re like, “What if we could just raise some money, buy back some of the land, and control it ourselves?” It’s intuitive. (…) I think this is an opportunity to build community in a way that it’s harder to do normally. »

Là aussi, l’existence d’un récit positif de la suite des choses apparaît aussi essentielle qu’urgente. Je pense même qu’il s’agit d’une condition à la réussite de la reconstruction.

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Il y avait une autre référence à Rebecca Solnit dans les archives de mon blogue. Le texte, daté du 7 janvier 2021, fait référence à un livre, reçu en cadeau, par la poste, de façon anonyme (le mystère demeure d’ailleurs entier à ce jour). Il s’agit de L’art de marcher, de… Rebecca Solnit!

C’est d’autant plus amusant que j’avais reçu ce livre à l’occasion de la fin d’une série de textes que je m’étais donné le défi d’écrire à la suite de courtes marches matinales (qui sont devenus Mon théâtre matinal). Alors que je m’apprête à conclure un projet d’écriture estival intitulé Des gens merveilleux.

Et pas que ça… parce que je me suis mis de plus en plus sérieusement à la marche en 2021, après mon théâtre matinal et la lecture de Rebecca Solnit, et que je me prépare à faire la semaine prochaine un grand défi de marche: 80km en deux jours, si tout va bien.

Une aventure qui, dans ce cas, me ramènera plutôt à la lecture de l’Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, de Haruki Murakami (lu en 2012).

La conclusion (encore préliminaire!) de mes vacances: la marche et l’écriture seront certainement deux piliers de mon automne.

Entre l’ombre et la lumière

Je participais hier au colloque de l’AEESPUL qui se déroule sous le thème « Regards sur le Québec de demain ».

La table ronde à laquelle j’avais le plaisir de prendre part avait pour titre « Les acteurs de l’ombre ». Elle regroupait Martin Koskinen, directeur de cabinet du Premier ministre, Julie White, avocate, ancienne directrice de cabinet du ministre Gaétan Barrette, maintenant directrice chez TACT, et moi, à titre de directeur de cabinet du maire de Québec (représenté sur l’image par une vieille photo de 2014!).

Ça a vraiment été un très bel échange de plus de 90 minutes, avec des étudiantes et des étudiants très attentifs. Ça finissait bien la semaine — en marge du rythme un peu fou des autres jours.

Ça a été une belle occasion aussi pour faire une réflexion sur plusieurs aspects du rôle de directeur cabinet, et aux différentes façons de l’exercer. À trois, on pouvait témoigner d’une belle variété d’expériences.

Les réponses à la question « comment a été votre premier journée comme directeur / directrice de cabinet? » en a rapidement donné un bel aperçu. Pour Martin c’était au terme d’une longue période avec M. Legault. Pour Julie, une arrivée dans un cabinet pré-existant, pour moi, une invraisemblable journée avec tout à inventer.

Au sujet de la réalité des femmes dans le milieu politique — Julie a pu témoigner des défis variés, certains évidents, d’autres moins, par-delà les clichés. Martin a témoigné de l’impact de la parité dans les débats et arbitrages même (surtout?) au plus haut niveau. J’ai évoqué de mon côté des efforts à faire pour repenser certains mécanismes de la démocratie si on veut faciliter la participation de tout le monde. Quand on fait les consultations publiques toujours au mêmes heures, avec les mêmes contraintes, il ne faut pas s’étonner d’y voir toujours le même monde. Une plus grande diversité dans les moyens favorise aussi la diversité dans les participants. Ce n’est qu’un exemple. Il faut travailler aussi sur le fonctionnement des conseils municipaux et vraisemblablement de l’Assemblée nationale. Julie a eu raison de terminer ce segment en disant que malgré les défis, c’est un univers extraordinaire que les femmes doivent continuer d’investir avec vigueur. Les choses s’améliorent, il faut continuer.

Sur les aptitudes nécessaires pour un directeur ou une directrice de cabinet — Martin a spontanément évoqué la capacité d’offrir des conseils, avec humilité, pour que les personnes que nous servons puissent prendre la décision la mieux éclairée possible. Julie a insisté sur l’importance de la confiance: savoir faire confiance, et obtenir la confiance. J’ai ajouté le besoin d’avoir une lecture stratégique du temps et du rythme, parce qu’on ne peut pas tout faire en même temps, on ne peut pas toujours avoir la pédale au fond… il faut savoir doser, ralentir parfois certaines choses, pour faire du temps pour autre chose qui doit être accéléré, puis réajuster.

Martin s’est fait questionner sur une phrase de sa description sur Twitter: « Autodidacte assumé ». Ça a donné lieu à un bel échange sur l’importance des profils « généralistes ». J’ai dit que j’aimais beaucoup le paradoxe autodidacte assumé, parce qu’il suggère une humilité devant les experts, mais une confiance dans son jugement. On était tous les trois d’accord pour dire que les questions naïves ont souvent un rôle essentiel pour identifier des propositions politiques nouvelles.

En réponse à une question évoquant le fait que les directeurs et directrices de cabinet étaient souvent perçues comme des personnes cérébrales, les éminences grises d’un cabinet, Julie a spontanément souligné que ce n’était pas suffisant. Elle a souligné l’importance de la sensibilité et de la créativité. Ça me semble très juste. La capacité de sentir les choses et d’identifier la tendance un peu avant tout le monde, est effectivement cruciale. On ne peut pas réussir à chaque fois… mais quand on y arrive, c’est précieux.

Comment organiser le fonctionnement d’un cabinet? Quel équilibre trouver entre la centralisation et la distribution des responsabilités? D’où vient l’autorité du chef de cabinet? Nous nous entendions pas mal tous pour dire qu’il faut de l’agilité. J’ai évoqué le besoin d’accepter se remettre en question, de s’interroger sur le fonctionnement d’autres cabinets, de ceux qui nous ont précédés. Être leader, c’est aussi être capable de faire preuve d’humilité. Ne pas juger les autres, s’en inspirer plutôt.

Comment on fait pour garder une objectivité dans les conseils qu’on prodigue sans tomber dans la partisanerie? Nous étions pas mal d’accord pour dire qu’il ne faut pas voir la partisanerie comme quelque chose de négatif. J’ai soumis à la réflexion qu’un parti politique, c’est aussi un groupe de personnes qui se rassemblent parce qu’elles adhèrent à une certaine vision du monde, et sur la façon de faire de la politique. Et que quand on a ça en tête, intégrer une dimension partisane dans l’analyse des situations, c’est aussi se référer à cette vision du monde et de l’action politique. Je pense que n’est pas contradictoire avec l’objectivité, ça peut même être une forme de cohérence.

Qu’est-ce qui nous amène à accepter des boulots aussi exigeants? — Unanimement: la volonté de réaliser des projets, de changer quelque chose dans la société. Mon résumé: le désir et le plaisir de rendre possibles des choses improbables.

C’est d’ailleurs un critère de priorisation pour moi, au quotidien: les changements qui arriveraient de toute façon, qu’on soit là ou pas, quels qu’aient été les résultats de la dernière élection, ne devraient pas trop nous occuper… C’est ce qui n’arriverait pas, ou qu’on croit nécessaire de faire arriver plus vite, qui doit mobiliser nos ressources. Je pense que c’est nécessaire d’être conscient de ça si on veut faire avancer les questions les plus essentielles.

***

Merci à mes deux copanélistes: nos échanges ont été vraiment très agréables.

Et surtout, un très grand merci aux étudiantes et aux étudiants pour nous avoir offert cette belle occasion de réflexion et de partage. J’espère que vous avez apprécié le résultat autant que moi (et Julie, et Martin, je pense!).

Soyez certaines et certains que le monde politique vous attend avec impatience!

Conclusion

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

Dernier jour des vacances, déjà! — Mais que ça a fait du bien!

Par-delà les rencontres, toujours très agréables, les obligations et les imprévus, il y a eu de belles heures de popote, de jeux, quelques films (ce n’est pas là qu’on a eu le plus de flair!). De belles heures de lecture et d’écriture aussi.

J’ai commencé les vacances avec D’images et d’eau fraîche, de Mona Chollet, qui m’a donné l’idée d’écrire une série de textes sur les photos qui se trouvent dans mon iPhone.

J’ai poursuivi avec plusieurs récits de Sylvain Tesson, dont j’avais beaucoup apprécié Dans les forêts de Sibérie, il y a quelques années. J’ai d’abord lu S’abandonner à vivre — de courtes nouvelles — puis Blanc, puis Sur les chemins noirs et finalement La panthère des neiges — trois récits d’aventures.

Dans Les forêts de Sibérie, l’auteur a choisi de s’encabaner.

Dans Blanc et dans Sur les chemins noirs, l’auteur part à l’aventure, en skis dans les Alpes, dans un cas, et à pieds à travers la France rurale, dans l’autre.

Dans La panthère des neiges, que j’ai terminé hier soir (et que j’ai préféré à tous les autres!), l’auteur tente d’observer un animal. Dans ce cas, l’aventure ne consiste pas à atteindre une destination, mais plutôt à réussir à être à la bonne place au bon moment.

C’est le roman de l’affût, « ce luxe de passer une journée entière à attendre l’improbable».

C’est en lisant ça que toutes sortes d’associations imprévues sont apparues entre mes lectures et mes activités d’écriture des derniers jours.

Sinuosités, écrit le 3 janvier, est évidemment dans l’esprit de Blanc et Sur les chemins noirs.

Mais ce sont certains passages de La panthère des neiges qui m’ont particulièrement interpelés:

À la page 123:

« Je me jurais, une fois rentré en France, de continuer à pratiquer l’affût. Nul besoin de se trouver à 5 000 mètres dans l’Himalaya. La grandeur de cet exercice partout praticable était de toujours procurer ce qu’on exigeait de lui. À la fenêtre de sa chambre, sur la terrasse d’un restaurant, dans une forêt ou sur le bord de l’eau, en société ou seul sur un banc, il suffisait d’écarquiller les yeux et d’attendre que quelque chose surgisse. On ne l’aurait jamais noté si l’on ne s’était pas maintenu aux aguets. Et si rien n’arrivait, la qualité du temps passé s’était trouvée accrue par l’attention portée. »

Ça décrit bien le point de départ de l’exercice de relecture de mes photographies — et plus encore, l’esprit du texte Ma fenêtre, écrit le 27 décembre, et de la suggestion de lecture complémentaire, que m’a faite Luc Jodoin: Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, auquel j’ai fait référence dans En temps réel, le lendemain.

À la page 70:

« Avec Munier, je commençais à saisir que la contemplation des bêtes vous projette devant votre reflet inversé. Les animaux incarnent la volupté, la liberté, l’autonomie : ce à quoi nous avons renoncé. »

Comment ne pas y voir un lien avec le texte Miroir animal, écrit le 4 janvier?

À la page 38:

« Si quelque chose advient ce sera la récompense. Si rien n’arrive, on lèvera le camp, décidé à reprendre l’affût, le lendemain. Alors, si la bête se montre, ce sera la fête. Et l’on accueillera ce compagnon dont la présence était sûre, mais la visite incertaine. L’affût est une foi modeste. »

Et à la page 181:

« Attendre était une prière. Quelque chose venait. Et si rien ne venait, c’était que nous n’avions pas su regarder. »

Quelques phrases que je reçois comme un rappel de l’importance d’avoir continuellement une attention active à ce qui se passe autour de soi — de ne jamais se laisser absorber par le quotidien — pour être en mesure de déceler l’improbable, et les curiosités, comme celles auxquelles j’ai fait référence le 1er janvier.

***

C’est avec ce texte que je conclus la série Les images qui restent… et, du même coup, les vacances de fin d’année!

Demain, les contraintes de la vie quotidienne vont rapidement reprendre leurs droits… mais je vais tenter de rester à l’affût, tous les jours.

Ce sera ma résolution pour 2023.

Pauses

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

J’ai ressenti un grand bien-être en retrouvant aussi plusieurs photos qui témoignent de courts moments d’écriture. Des moments assez spéciaux pour que je sente spontanément qu’il fallait en conserver une trace — pour m’en rappeler… et m’inciter à les multiplier.

Ce sont généralement des moments où j’aurais dû être en train de faire autre chose… mais que j’ai décidé de réclamer au quotidien. Des moments à contre-temps, pour casser le rythme.

Arrêt pour un café à la boulangerie en fin d’avant-midi le samedi — moment qui est progressivement devenu un rituel.

Très rare arrêt pour un drink dans un resto du Vieux-Port, question de faire le point au terme d’une journée particulièrement exigeante.

Pause dans le divan de la maison, dos à la fenêtre et au soleil de fin d’après-midi.

Samedi après-midi lecture et écriture d’un bilan de la semaine, dans le vieux fauteuil du chalet.

Rare dîner seul dans la cour d’un café près de l’Hôtel de ville, parce que si je ne le fais pas un vendredi au milieu de l’été, quand est-ce que je le ferai?

Court moment de recueillement avant d’ouvrir le cahier de note #1, à ma première journée dans le bureau du directeur de cabinet.

J’espère pouvoir multiplier ces courts moments d’écriture dans la prochaine année.

Miroir animal

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

Quels liens entre les animaux qui se trouvent dans les photos de mon iPhone? Je pense que le plus probable, c’est la lenteur.

Les taquins me diront que c’est parce que ce sont les seuls que j’arrive à saisir.

Je pense que c’est plutôt parce qu’ils se trouvaient à réfléter mon état d’esprit au moment où nos routes se sont croisées. On s’est reconnus.

Est-ce que j’ai vu ces animaux lents parce que j’étais calme? Ou c’est leur lenteur qui a nourri mon calme? J’ose croire que c’est un peu des deux.

Il reste que ce n’est probablement pas un hasard si ces cinq photos ont été prises la fin de semaine.

Est-ce que j’aurais vu l’escargot sur ma route un jour de semaine?

Est-ce que j’aurais pris le temps de m’asseoir pour inviter le canard à s’approcher?

Est-ce que que je me serais interrogé sur la capacité des chats à apprécier un coucher de soleil?

Exception, peut-être, cet écureuil qui a l’air de me dire: « ne te trompe pas, c’est moi qui t’ai vu en premier! »

Pour voir un animal lent il faut être calme.

***

L’escargot est naturellement héroïque: l’escargot ne recule jamais.

— Alexandre Vialatte

Sinuosités

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

J’ai aussi retrouvé dans mon iPhone de nombreuses photos de chemins sinueux. Des voies ferrées, des chemins sur pilotis, des sentiers, des trottoirs, des côtes — autant en nature qu’en ville.

Certaines photos ont été prises au moment où je parcourais ces chemins. Je sais où ils mènent, j’ai le souvenir de ma destination. D’autres sont restés inaccessibles, mystérieux — ils restent des invitations.

Les chemins que je préfère sont ceux qui nous font oublier ce qui explique leurs méandres. Ceux dont les obstacles disparaissent dans l’élégance de leurs courbes.

Je pense que je prends spontanément des photos de ce type de chemins parce que leur beauté me rappelle à quel point il est important de savoir apprécier les détours que la vie nous impose parfois.