Alexandre, Jacques et Miley

Dimanche matin, petite pluie, pas d’obligations: un temps parfait pour un Lapsang Souchong (dans ma tasse Things Could be Worse), un peu de lecture et d’écriture.

La lecture de La Presse+ de ce matin était particulièrement riche et stimulante. On peut bien critiquer les journaux tour à tour pour leurs travers respectifs — il faut quand continuer de remercier ceux qui nous aident tous les jours à réfléchir, qui nous font apprendre et nous émerveillent par leurs textes et leurs images.

Côté politique, plusieurs amis m’ont demandé ce que je pensais de l’arrivée d’Alexandre Taillefer au PLQ. Pour le dire simplement: je m’en réjouis sur le fond, je m’en désole sur la forme.

Je m’en réjouis parce que je trouve que le monde politique québécois manque cruellement de capacité à «penser hors de la boîte» — à faire preuve d’une pensée réellement innovatrice. Je nous trouve collectivement bien embourbé. Je suis convaincu qu’Alexandre contribuera à améliorer ça, et que cela forcera les autres partis à sortir aussi un peu plus des sentiers battus. C’est donc un plus pour tout le monde, je trouve.

Je m’en désole toutefois sur la forme, parce que je trouve absurde qu’il soit nécessaire de faire toutes ces génuflexions (jusqu’à l’absurde!) en guise d’acte de loyauté pour accéder au cénacle d’un parti. Je présume qu’il a jugé que le jeu en valait la chandelle, je respecte ça, et je souhaite qu’il puisse contribuer à changer cette culture partisane malsaine (sans doute pas propre au PLQ, mais particulièrement forte là, à l’évidence!). J’ai l’impression de partager pas mal l’opinion de Marc Séguin, et celle de Boucar Diouf, là-dessus.

L’élection du 1er octobre est importante, certes, mais l’avenir du Québec ne se jouera pas en un seul vote. Et tout ce qui peut contribuer à amener des propositions neuves et stimulante dans nos débats qui ont trop souvent à mon goût des allures obsolètes, m’apparaît positif à plus long terme.

J’ai aussi commencé la lecture du plus récent livre de Jacques Godbout: De l’avantage d’être né, publié par Boréal. Toujours avec l’intention de donner un peu de perspective à mes réflexions.

J’ai aussi retenu de ma lecture du cahier Lire du Devoir d’hier, qu’il fallait que je lise aussi Miley Cyrus et les malheurs du siècle, de Thomas O. St-Pierre, chez Atelier 10.

Bon dimanche.

Photo: Mondrian et Duchamp, oeuvre de Boris Bućan, vue au Musée d’art contemporain de Zagreb à l’été 2017.

Ce que j’ai pensé du livre de Sébastien Proulx

J’ai lu dans les derniers jours Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire. Le livre a suscité quelques réactions positives, mais également de nombreuses critiques assez dures.

J’ai pour ma part apprécié la candeur (un certain abandon des précautions politiques habituelles) avec laquelle le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur s’adresse au lecteur. Je trouve que c’est un choix cohérent avec une phrase importante, qui ne vient que très tard dans le livre: «J’affectionne la philosophie et les gens qui réfléchissent à voix haute».

C’est tout à l’honneur du ministre d’avoir osé réfléchir à son tour à voix haute — en sachant forcément très bien qu’il allait être critiqué pour les incohérences entre le caractère vertueux de son propos et certaines des actions du gouvernement dont il fait partie. Il a osé. Trop peu d’élus le font (et encore moins lorsqu’ils sont ministres). Je pense qu’il faut souligner cela.

Il se trouve des pistes prometteuses dans les propos de Sébastien Proulx, en particulier:

  1. sur l’importance de développer le goût de la lecture au plus jeune âge, de maintenir cet intérêt tout au long de la vie (notamment en valorisant beaucoup plus les auteurs et les autrices)
  2. et sur l’importance de laisser beaucoup plus de latitude aux milieux dans la conduite de l’éducation.

«Le Ministère [doit] mieux soutenir les initiatives du terrain (…) Il doit apprendre à mieux connaître les acteurs et à aller à leur rencontre. Et faire confiance.»

«…il faudra inévitablement s’engager dans une démarche de révision du régime pédagogique, notamment pour y revoir les contenus, mais aussi pour revoir sa structure actuelle, qui ne donne aucune flexibilité au milieu.»

J’ai été par ailleurs étonné par l’importance que l’avènement de l’intelligence artificielle semble prendre dans la réflexion du ministre au sujet de la culture générale. C’est un point sur lequel j’aurais apprécié qu’il développe davantage. Dans un autre contexte peut-être (et pourquoi pas semblable à celui-ci, mais avec un perspective plus «éducative»? une idée pour La Sphère?).

Cela dit, les deux principaux reproches que j’ai envie de formuler à l’auteur sont:

  1. de sous-estimer les conséquences des inégalités socio-économiques en éducation — et le rôle de l’école pour tenter de les surmonter (et, à plus fortes raisons, les ressources que cela exige).
  2. de ne pas suffisamment élaborer (ne serait-ce que sous forme de pistes de réflexion) sur ce que les valeurs et les convictions qu’il plaide pourraient signifier dans la réalité concrète du milieu scolaire. Ça manque d’exemples, de mises en application.

C’est également cette déception (une certaine frustration même) que j’ai eu l’impression de retrouver au cœur du texte publié ce matin dans Le Devoir par deux bibliothécaires scolaires.

Je déplore aussi que le livre ne traite pratiquement que de l’éducation «scolaire». On y trouve très peu de choses sur l’éducation tout au long de la vie, et en particulier pendant notre parcours professionnel — même s’il effleure parfois le sujet, comme dans ce passage:

« Nous sommes dans un contexte favorable aux employés mobiles et aptes à se perfectionner et à apprendre rapidement. Hélas, le Québec compte des milliers de personnes qui sont dépendantes de leur emploi actuel et qui sont fragilisées face à la modernité, au numérique et à l’innovation. »

Ça me semble trop peu vu l’importance du sujet — particulièrement dans le contexte des transformations technologiques qu’il évoque (intelligence artificielle, robotisation, etc.), mais aussi des aspirations de la classe moyenne à améliorer son sort, notamment par de meilleurs salaires et des responsabilités plus stimulantes.

***

En conclusion, c’est un livre dont je recommande la lecture sans hésitation parce qu’il invite à la réflexion, suscite des réactions et — plus encore — parce qu’il peut stimuler l’engagement en faveur de l’éducation.

Toutes des choses dont la société québécoise a plus que jamais besoin.

Intelligence artificielle et services publics

J’ai lu ce matin quelques-uns des textes suggérés par Patrick Tanguay dans sa lettre hebdomadaire Sentiers.

Parmi les liens qui ont particulièrement retenu mon attention, celui-ci, co-rédigé par Jean-Noé Landry, de qui j’ai eu le plaisir de faire connaissance dans les dernières semaines:

AI in government: for whom, by whom?

Le texte soulève des questions essentielles au sujet de la place que l’intelligence artificielle est appelée à prendre dans le développement des villes — et des services publics de façon générale.

Après avoir partagé le texte sur Facebook, j’ai reçu un commentaire de Patrick Lozeau qui portait à mon attention un texte qui témoigne de l’avancement de cette réflexion au sein du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

Responsible Artificial Intelligence in the Government of Canada

J’ai trouvé l’introduction de la section Policy, Ethical, and Legal Considerations of AI  particulièrement intéressante.

Et le plus beau dans tout ça… c’est qu’il s’agit d’un document en cours de rédaction (sous format Google Doc) — dont les différentes versions sont décrites en début de document, ainsi que la liste des changements qu’il reste à y apporter. On peut même le commenter. Bravo!

Ça m’a rappelé le neuvième élément de l’ébauche de manifeste que j’avais rédigé en 2011. Plusieurs personnes m’avaient exprimé leur doute qu’on y arrive un jour («est-ce même possible, dans notre système politique?») — eh bien en voilà (enfin!) un bel exemple. Peut-être qu’il en existe de nombreux autres et qu’ils m’avaient simplement échappés?

J’espère que c’est une pratique qui se multipliera rapidement — et pas qu’au gouvernement fédéral!

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Je profite du fait que les lecteurs de ce textes seront probablement particulièrement intéressés par l’intelligence artificielle pour poser à nouveau une question que j’ai soulevée quelques fois au cours des dernières semaines — sans réussir à obtenir une réponse:

Est-ce qu’il existe un répertoire des décisions qui sont prises, en tout ou en partie, sur la base d’un procédé algorithmique dans l’administration des services publics québécois?

Mise à jour: une amie porte à mon attention cette conférence de René Villemure au sujet de l’éthique et l’intelligence artificielle. Condensée en 3 min 32 secondes… c’est parfait comme un premier survol des enjeux.

Revue de presse

Pour le plaisir de partager quelques pistes de réflexion, voici certains des textes qui ont attiré mon attention au cours de la dernière semaine:

La solitude mine la santé psychologique et physique

«Le Royaume-Uni vient de créer un ministère consacré à la solitude, une réalité aujourd’hui considérée comme un problème de santé publique aussi criant que le tabagisme ou la cigarette. (…) L’interaction sociale est la pierre angulaire de l’espérance de vie et a plus d’impact sur la santé que la génétique, l’argent, le type d’emploi ou même le taux de cholestérol. »

Fausse route identitaire: le problème ce n’est pas la Burka, c’est le GAFA

«Notre culture et notre langue sont actuellement davantage menacées par le GAFA que par la burqa. C’est la puissance des géants du GAFA, Google, Apple, Facebook, et Autres géants du web (Amazon, Netflix, Spotify) et l’imposition de leurs contenus culturels américains qui menacent profondément notre identité francophone. (…) Il est là, le principal et plus fondamental enjeu identitaire pour l’avenir du Québec français.»

La commission Parent, œuvre inachevée

«…le retard des Québécois francophones en éducation demeure. (…) On ne veut pas sombrer dans l’alarmisme ou le pessimisme. D’immenses progrès ont été accomplis depuis les années 60. Mais l’utopie derrière le rapport Parent reste inachevée. Ce serait d’ailleurs un beau projet pour un parti qui se cherche un programme électoral…

L’automatisation n’est pas une réponse à la pénurie de main-d’œuvre

«à la réalité démographique vient se greffer la montée de l’automatisation, qui pourrait provoquer « l’élimination, la réduction et la réaffectation partielle ou totale de 1,4 million de postes au Québec d’ici 2030 ». Ainsi, le prochain rapport des inégalités n’opposera plus mieux et moins bien nantis, mais plutôt ceux qui peuvent et ne peuvent pas travailler.»

Mon collègue le robot

«Les travailleurs qui ne s’interrogent pas sur la façon dont leur tâche, leur employeur ou l’ensemble de leur secteur sera affecté pourraient avoir de bien mauvaises surprises. (…) L’éducation doit remonter dans la liste des priorités. (…) Le rapport propose une piste intéressante : un compte individuel permanent pour la formation, dans lequel chaque travailleur pourrait accumuler des épargnes, du financement extérieur et même du temps de son employeur pour se perfectionner tout au long de sa carrière.»

Vers le lobbying automatisé?

«Des outils d’analyse de données, très coûteux, qui se présentent comme un complément du lobbying traditionnel, venant encore un peu mieux armer ceux qui avaient déjà le plus de moyens pour défendre leurs intérêts.»

La politique autrement

«Si vous voulez faire de la politique autrement, cessez de parler contre les autres. (…) Dites-nous ce que vous avez à nous proposer, expliquez-nous vos compétences, donnez-nous de l’espoir. (…) Si les politiciens veulent que le peuple les respecte, qu’ils commencent par se respecter entre eux. Ce n’est pas en passant son temps à démontrer que tous les autres sont des croches, que vous allez nous convaincre que vous n’en êtes pas un. (…) Vous trouvez ça utopique ? Ce l’est. Mais le rêve devient réalité quand la réalité n’a plus le choix. Et on est rendu là.»

Le canari dans la mine (sur le mont Royal)

«On aurait tout avantage à considérer les patinoires comme les canaris dans la mine du dérèglement climatique. Ces oiseaux dont la mort, jadis, prévenait les mineurs qu’ils étaient en danger. (…) La Ville de Montréal (…) ne doit pas uniquement lutter contre les changements climatiques (…) elle doit aussi, avec empressement, chercher à s’y adapter.»

Endormis?

Il y a quelques jours Marc Saint-Pierre m’a interpellé sur Facebook pour savoir ce que je pensais du texte de Naja Vallaud-Belkacem, Éloge de l’imperfection en politique, qui a été publié dans le Nouveau Magazine Littéraire du 17 décembre 2017.

Il me suggérait d’en faire une lecture québécoise en remplaçant les références au Parti socialiste par des références au Parti québécois; de même pour Mitterand, avec René Lévesque, par exemple.

Matière à réflexion, disait-il. Je préfèrerais personnellement en faire un appel à l’action. On a la chance de s’interroger ici sur tout ça neuf mois avant l’élection plutôt qu’au lendemain d’une défaite. Il faudrait en profiter. Et je suis sûr qu’on en a la capacité — si on s’y met. Rapidement.

Je vous invite donc à mon tour à lire le texte de l’ancienne ministre de l’Éducation nationale, idéalement dans sa version complète, même si j’en ai préparé une version courte en sélectionnant quelques extraits.

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Éloge de l’imperfection en politique

Par Najat Vallaud-Belkacem

Contre les vents d’une époque que l’on dit promise [à la droite] je le confesse volontiers : je suis, je reste sociale-démocrate. […] Les commentateurs la proclament morte ? Je veux la faire vivre.

Certes, je ne suis pas aveugle. […] Je cerne nos erreurs, nos divisions, nos renoncements. En silence jusque-là. Notre débâcle n’est pas qu’une affaire de pédagogie ratée ou de communication mal gérée. Elle ne s’explique pas non plus par la force des réseaux conservateurs. Elle a des causes plus profondes. Le divorce entre une large majorité de nos concitoyens et la gauche dans laquelle je me reconnais est indéniable.

Nos idées sont devenues minoritaires, et il nous incombe à tous de chercher à comprendre pourquoi. De réfléchir. De sortir, donc, de la société du spectacle. Les innombrables batailles [que nous avons perdues] ont creusé une faille qu’aucune agence de communication, aucune synthèse interne et aucun plan média ne sauraient combler. Nous avons perdu la plupart de ces batailles faute de les avoir menées. Tout simplement. Nous nous sommes embourgeoisés. Endormis.

Qui donc est responsable de cette inversion des rapports de force culturels en France et ailleurs? Nous. À rester dans notre zone de confort intellectuel, à entonner sans cesse le refrain des certitudes, à préférer la rengaine des slogans à l’exigence de reformulation et à l’invention de nouveaux concepts, à préférer la com à la pensée tout simplement, nous avons nous-mêmes altéré l’éclat de nos idées, de nos mots, de nos principes. (…)

Ce n’est pas un cycle électoral de cinq, dix ou même vingt ans qui s’achève sous nos yeux, mais une ère idéologique et culturelle de près de cinquante ans (…) Si nous voulons donner une chance à la refondation en profondeur de la social-démocratie, et non pas simplement repousser l’échéance d’un terminus ultime d’un appareil partisan, ne nous laissons pas enfermer dans le confessionnal beaucoup trop étroit du quinquennat de François Hollande.

En 1971, François Mitterrand ouvrait un chemin nouveau en resserrant les rangs autour d’une ligne politique célèbre, celle de la rupture avec l’ordre établi. Celui qui ne consentait pas à cette ligne de rupture, disait-il, ne pouvait pas être adhérent du Parti socialiste. Plus jamais par la suite nous n’avons exprimé cette exigence de clarté et de radicalité dans ce que nous sommes, ce que nous défendons et ce que nous voulons, sans fléchir d’une manière ou d’une autre devant la puissance supposée de l’opinion dominante (…)

À nous aujourd’hui de redéfinir précisément ce avec quoi nous voulons rompre : la perspective d’un monde devenu inhabitable du fait d’un mode de croissance qui épuise les ressources de la planète et invivable du fait de l’explosion des injustices et des inégalités jusqu’à l’insoutenable. Le moment est venu de renouer avec ce geste politique, non pas en nous retournant sur nous mêmes ou en jouant aux gardiens de musée, mais en tendant la main à la génération qui vient, celle qui inventera le socialisme de demain. (…)

C’est ainsi que nous regagnerons ces batailles culturelles que nous avons perdues, et, au passage, c’est ainsi que nous préparerons l’avenir, car, à titre personnel, je n’ose imaginer un monde dans lequel, face aux grands défis qui s’annoncent autour de l’intelligence artificielle, de l’homme augmenté ou des sciences prédictives, les seules réponses politiques apportées seraient celles du tout-libéralisme, du tout-populisme ou encore du tout-« a-politisme » dans lequel l’opportunisme l’emporte sur le rêve d’une société émancipatrice. Plus juste. Plus solidaire.

***

D’un côté, c’est bon de constater que nos problèmes sont partagés — qu’il y a quelque chose d’un peu plus universel dans les difficultés que nous rencontrons actuellement.

D’un autre côté, ça ne fait qu’accroître l’importance d’arriver à s’en sortir. Et à faire ce qu’il faut pour y arriver… parce que je suis sûr qu’on peut y arriver!

Alors qu’est-ce que ça signifie pour nous, ici, au Québec, en janvier 2018?

Mise à jour: On peut évidemment aussi lire ce texte en parallèle avec cet autre texte, publié hier dans Le Devoir: Penser la gauche autrement.

Parodie

Fin de journée. Train de Montréal vers Québec. Je survole l’actualité sur mon iPad quand je tombe sur cette chronique de Denise Bombardier: En attendant la fin. Je lis. Je soupire. C’est bièredredi. Après une gorgée, j’opte pour m’amuser à en faire une parodie plutôt que de m’indigner en vain. Voilà ce que ça a donné:

APRÈS MOI LE DÉLUGE

Rien ne nous sera épargné dans cette insupportable description de la société québécoise. Trop de chroniqueurs qui radotent en bafouillant des explications anecdotiques, qui ne tiennent pas la route. Car c’est l’usure qui les fait écrire et la plupart sont dans le décompte de leur propre carrière. Ils ont lutté, ont connu des exaltations, mais leur coeur nostalgique souffre désormais d’arythmie.

Il faut comprendre ces chroniqueurs qui radotent sur le bon vieux temps, cette époque aux ambitions inégalées, plutôt que de faire l’effort d’imaginer un avenir qui n’existe pas. Ces chroniqueurs ne sont pour rien dans l’impasse dans laquelle le Québec se trouve.

Ils font de leur mieux ces pauvres chroniqueurs pour commenter l’actualité d’un Québec à l’agonie où les jeunes ne rêvent qu’à boire de la sangria. Un Québec où les jeunes sont tellement ingrats qu’ils ont renoncés à accomplir les rêves de leurs parents. Plus le temps passe plus la population est composée de gens ne comprennent rien à rien. Ça s’explique: quand on n’a pas connu les années soixante on ne fera jamais vraiment partie de la gang.

Les médias d’outre-tombe

Personne ne devrait se fier aux réseaux sociaux. Les journaux veillent sur nous grâce à des équipes exceptionnelles et compétentes. Certains chroniqueurs ont écrit plusieurs livres et même été honorés de l’Ordre du Canada. Visionnaires, ils sont réalistes et pragmatiques. Ils forment une élite morale et politique.

Nous nous moquons parfois de ces éclaireurs, sans doute intimidés par leur clairvoyance dans un réflexe humainement compréhensible. Heureusement pour eux, notre complexe d’infériorité finit toujours par nous rattraper.

Nous avons parfois le réflexe de vouloir faire confiance à l’avenir mais ils ont tôt fait de nous rappeler que tout était mieux avant. Comme disait cette attachante chroniqueuse, agacée par l’idée que le futur puisse nous réserver quelque chose de bon: « C’est nous qui avons inventé le Québec moderne, on ne va pas vous laisser en inventer un autre».

« Yes…terday »

Indéniablement, c’est aussi ce que souhaitent ceux qui tirent profit de la déliquescence de la société québécoise en s’en mettant plein les poches pendant qu’on s’indignent sur tout et sur rien. En détournant notre attention, ces chroniqueurs aigris et pontifiant nous évitent de cultiver des rêves inutiles, quoi qu’en disent les idéalistes naïfs.

« Est-ce difficile d’être méprisant ? », ai-je demandé un jour à ma belle-mère. « Oui, parce qu’il faut faire semblant qu’on s’intéresse au sort des gens. » Au mari d’une chroniqueuse éminente, j’ai posé la question : « Pourquoi votre épouse continue-t-elle d’écrire toutes les semaines ? » « Parce qu’elle a peur que quelqu’un prenne sa place avec une vision plus optimiste de l’avenir», a-t-il répondu.

C’est à une impasse qu’ils nous font croire. L’impasse de tout espoir, d’une époque, d’une génération, du seul Québec auquel il aura été noble de rêver. L’espoir ne serait plus d’aucun recours. La fin du monde est devenue inévitable parce que les jeunes ne vivent plus que dans une réalité virtuelle, chacun pour soi, perdus dans Facebook, Twitter et Snapchat pendant qu’ils essaient de sauver WordPerfect. Il faut continuer à les lire. Ça nous évite de réfléchir.

L’égalité, pourquoi?

Soirée de lecture. Trois numéros du New Yorker et plusieurs textes sur des sujets très variés que j’avais mis de côté au cours de la semaine (merci Instapaper!).

Les vœux de Normand Baillargeon pour 2018, dans Voir, m’ont beaucoup intéressés:

Éducation: une commission Parent 2.0

Politique: un mode de scrutin proportionnel

Art: à l’abri de la rectitude politique

Économie: plus d’égalité, pour la démocratie

Littérature: un Nobel québécois — et pourquoi pas Michel Tremblay?*

Son souhait en faveur de plus d’égalité a particulièrement attiré mon attention parce qu’il fait écho à un autre des textes que j’ai lu dans le New Yorker: Feeling low (titre de la version imprimée) ou The Psychology of Inequality (titre de la version en ligne).

Elizabeth Kolbert y explore les impacts psychologiques associés aux inégalités économiques à partir d’exemples et d’un survol de nombreuses études.

Les conclusions de la plupart des études qu’elle cite montrent bien que les inégalités ont des impacts psychologiques négatifs sur les plus pauvres (on s’en doutait), mais surtout qu’elles n’ont aucun impact positif pour les plus riches (ce qui est un peu moins évident).

«…the experiment also suggests a larger, more disturbing conclusion. In a society where economic gains are concentrated at the top—a society, in other words, like our own—there are no real winners and a multitude of losers.»

«Inequity is, apparently, asymmetrical. For all the distress it causes those on the bottom, it brings relatively little joy to those at the top.»

Le texte rappelle aussi que les inégalités ont non seulement des impacts individuels importants, mais aussi des effets sur la perception générale que nous avons de l’état de la société dans laquelle nous vivons:

«In terms of per-capita income, the U.S. ranks near the top among nations. But, thanks to the growing gap between the one per cent and everyone else, the subjective effect is of widespread impoverishment.»

Elizabeth Kolbert nous invite en terminant à analyser sous cet angle les effets des réductions de taxes et d’impôts — en prenant exemple sur celles que vient de décréter Donald Trump:

«Supporters insist that the measure will generate so much prosperity that the poor and the middle class will also end up benefitting. But even if this proves true—and all evidence suggests that it will not—the measure doesn’t address the real problem. It’s not greater wealth but greater equity that will make us all feel richer.»

On est donc pas ici dans la poursuite de l’égalité sur la base d’un principe, mais plutôt de façon très utilitaire, comme une façon d’assurer une plus large atteinte du bonheur — tant chez les plus riches que chez les plus pauvres.

Cela s’ajoute à la dimension démocratique que soulève Normand Baillargeon dans son texte:

«Si vous avez de trop grandes inégalités, il vient en effet un moment où, à proportion, vous n’avez plus de substantielle démocratie, puisque celle-ci suppose que des gens échangent, se rencontrent, ont entre eux des liens et partagent des intérêts communs, qui les unissent.»

***

La perspective psychologiques sur les inégalités économiques m’a par ailleurs permis de mieux comprendre, je pense, la place de la «crise de santé mentale» dans les repères fondamentaux de l’Initiative — nouveau parti politique suédois auquel j’ai fait référence il y a quelques jours.

* Mise à jour du 14 janvier à 8h30: Il est amusant de constater qu’il est aussi question du Nobel de littérature dans Le Soleil de ce matin, évoquant Marie-Claire Blais comme «la plus nobélisable de nos écrivains».

La génération X et la politique

À la suggestion d’un ami, je viens de relire le texte qu’Alec Castonguay signait dans l’Actualité de novembre 2017: La revanche de la génération X.

Je fais partie de cette génération qui serait à la fois cynique et en colère (drôle de mélange!) si on en croit le sondage sur lequel s’appuie le journaliste. Je m’interroge toutefois: est-ce que ce sentiment s’explique surtout par une situation économique récente, ou par une perspective historique et sociologique un peu plus large?

Citations et extraits:

«83% des X pensent que les choses sont pareilles ou pires qu’il y a dix ans au Québec.»

« 74% pensent que la situation va se stagner ou continuer à se détériorer dans les dix prochaines années.»

«La même proportion affirme que les systèmes économiques et politiques ne travaillent pas en leur faveur.»

«Ils en ont bavé pour se faire un chemin, et là, ils sont choqués de penser que leurs enfants vont aussi en baver. Ils se demande ce qui pourra les aider.»

«Plus on s’éloigne du centre de Montréal et de Québec, plus la volonté de changement est flagrante.»

«Je regarde la robotisation, l’automatisation du travail, et je me demande (…) comment le gouvernement va-t-il pouvoir aider mes enfants avec la nouvelle révolution industrielle?»

«On dirait que les politiciens ne font rien pour améliorer le sort des Québécois.»

«Ils veulent donner un grand coup de pied dans la “canisse” politique.»

L’article fait essentiellement référence à la situation personnelle et professionnelle des personnes qui composent la génération X pour expliquer leur colère actuelle. Je ne nierai certainement pas qu’il s’agit de facteurs importants.

Mais je pense que l’image que nous avons eue de la politique québécoise, et le fait qu’elle a donné vraiment très peu de résultats depuis notre entrée dans le monde adulte (il y a environ 25 ans) est probablement aussi un facteur important dans cette impression d’être, depuis toujours, dans une impasse.

Un problème qui irait bien au-delà de dynamique électorale actuelle donc.

Qu’en pensez-vous?

Une nouvelle forme de parti politique

Est-ce qu’on doit avoir une opinion sur tout? Mathieu Charlebois pense que non. Je le pense aussi.

Est-ce qu’un parti politique doit avoir une opinion sur tout? Je pense que non. Michael Wernstedt le pense aussi.

Michael Wernstedt, c’est le co-fondateur d’un nouveau parti politique suédois, l’Initiative, que le New Yorker m’a récemment fait découvrir.

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que l’Initiative a été lancé sans avoir de programme politique précis — du moins au sens où on l’entend généralement. Les fondements du parti se limitent plutôt à deux courtes listes:

Une liste de six valeurs: courage, ouverture, compassion, optimisme, co-création et dynamisme (actionability).

Et une liste de trois enjeux jugés critiques: la crise de confiance dans la démocratie, la crise environnementale et la crise de la santé mentale.

C’est seulement dans l’action que le parti sera amené à formuler des propositions de manière à répondre aux trois crises, dans le respect des six valeurs fondatrices. Chacune des propositions devra donc pouvoir être expliquée en fonction de ces neufs éléments essentiels.

Les fondateurs de l’Initiative suédoise (et de l’Initiative danoise) s’inspirent largement des travaux de Emil Ejner Friis et Daniel Görtz, qui publient ensemble depuis quelques années sous le pseudonyme d’Hanzi Freinacht — un philosophe, historien et sociologue imaginaire qui vivrait reclus dans les Alpes suisses.

Pour Freinacht, à notre époque un parti politique ne devrait plus prétendre dire aux gens ce qui est bon et ce qui est mal pour eux. Un parti politique devrait plutôt être perçu un véhicule pour porter leurs besoins et leurs désirs.

C’est ce qui lui fait dire qu’un parti ne devrait plus se déployer autour d’un programme précis («it’s a party about nothing») mais plutôt s’appuyer sur l’acceptation par ses membres d’un processus délibératif continu qui s’appuie sur de courtes listes de valeurs et de priorités.

Freinacht nous invite à repenser également le rôle de l’état, qui, aujourd’hui devrait non seulement être de répondre aux besoins essentiels de la population (à la manière de l’état providence) mais également tout mettre en oeuvre pour être concrètement à l’écoute des citoyens (aspirer à être une «listening society»).

Je ne sais pas ce que vous en pensez. Moi, j’aime plutôt ça.

Beaucoup même.

Il faudra plus que des slogans

Ce serait absurde d’élire un gouvernement en 2018 sans savoir comment il compte tenir compte des bouleversements technologiques une fois au pouvoir.

Dans son premier texte de l’année pour Le Devoir, Pierre Trudel revient sur l’affaire Netflix (je refuse d’appeler ça la taxe Netflix parce que ça travestit la nature du débat). Il y dénonce le manque de vision du monde politique devant l’impact du numérique sur la production de contenus culturels originaux:

«L’année 2017 a été marquée par les discussions au sujet de la prétendue « taxe Netflix ». Rarement aura-t-on vu débat aussi surréaliste sur des enjeux pourtant bien réels de politique publique. Cette pathétique controverse en dit long sur ce qui tient lieu de réflexions dans les milieux politiques fédéraux à l’égard des défis posés à nos sociétés par les mutations numériques. (…)

Il faut sortir du jovialisme et réinventer les cadres régulateurs destinés à assurer la disponibilité de l’information essentielle aux délibérations démocratiques. Les données massives utilisées afin d’extraire de la valeur de l’attention des internautes sont une ressource qui appartient à la collectivité. Le droit d’utiliser de telles ressources collectives doit venir avec des contreparties : celles d’assurer la viabilité des activités de production originales.»

Je pense qu’on doit lire son texte comme l’illustration d’un cas particulier dans un phénomène beaucoup plus large. Et, plus encore qu’une incompétence des politiciens (je généralise un peu, mais bon…) pour aborder ces questions c’est leur manque d’intérêt pour les enjeux liés à l’avénement des technologies numériques qui m’apparaît le plus grave.

Je saisis l’occasion pour faire un lien vers un texte que j’ai publié ici le 3 janvier 2015 (il y a trois ans jour pour jour), reprenant les propos d’une conférence prononcée par Monique Simard à ce sujet: Faire l’autruche serait la pire des choses à faire. Elle y posait des questions de façon très concrète.

C’est un texte que je trouve intéressant à mettre en perspective avec un autre article du Devoir de ce matin: Profession: futuristes… et fonctionnaires. On devrait avoir plus de gens comme ça dans les organisations publiques aujourd’hui. Et le fruit de leur travail devrait être public. (Mise à jour: bravo — les documents du Groupe Horizon peuvent être consultés sur ce site).

Je profite aussi de l’occasion pour saluer le travail de Monique Simard comme présidente et directrice générale de la Sodec au cours des quatre dernières années. Son mandat se termine cette semaine.

***

Pierre Trudel conclut son texte en disant:

«Que 2018 voie l’amorce d’une réelle re-conception des règles qui régissent les activités transformées par le numérique.».

J’espère que cette attitude arrivera aussi à se frayer un chemin dans la campagne électorale québécoise — qui va s’amorcer rapidement au cours des prochaines semaines.

On ne peut tout simplement pas se permettre une élection «comme si de rien était» en rapport avec le numérique. Et pas que dans le domaine de la culture: en éducation aussi, en environnement, au sujet des données personnelles, et même sur la démocratie dans son ensemble.

Ce serait surréaliste de devoir élire un gouvernement sans savoir ce que ses dirigeants pensent de l’impact des technologies sur les rouages de la société québécoise, et comment ils prévoient en tenir compte lorsqu’ils exerceront le pouvoir.

Pas seulement dans des termes génériques, mais par des propositions concrètes,  portées par des personnes crédibles qui en font manifestement une priorité.

En complément:

Et finalement, le texte d’une proposition que j’ai portée au congrès, qui a été adoptée, mais pas priorisée (et ne se retrouve donc pas dans le programme):

  1. Créer une équipe de choc pour identifier les lois et les règlements qu’il est le plus urgent de mettre à jour pour que l’économie du Québec puisse bénéficier des opportunités offertes par le numérique et de formuler des recommandations précises en prévision de la campagne électorale [et]
  2. Créer un Conseil national du numérique qui relèvera directement de l’Assemblée nationale et qui aura pour mission de rendre publics des avis et des recommandations sur toute question relative à l’impact du numérique sur la société.

Je rappelle en terminant que Dominique Anglade a annoncé le mois dernier la création prochaine d’un Conseil national du numérique, dont on ne connaît pas encore le mandat précis, ni la composition.

Photo: Two-way Bicycle, de Ivan Ladislav Galeta. Vu au Musée d’art contemporain de Zagreb, à l’été 2017

Le monde a tellement changé

L’horaire du temps des Fêtes étant plus bohême… et les heures de sommeil beaucoup moins régulières, je me suis retrouvé à lire un livre au beau milieu de la nuit: Petite Poucette, de Michel Serres, publié en 2012

C’est un livre qui fait du bien. Un livre optimiste qui fait confiance aux nouvelles générations et à leur capacité de tirer profit des technologies pour construire un monde meilleur. Un monde qui sera forcément très différent — et c’est là tout le défi de ceux qui souhaitent accompagner son avènement.

Quelques passages que j’ai surlignés au cours de ma lecture:

«Je voudrais avoir dix-huit ans, l’âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout est à refaire, puisque tout reste à inventer.»

«Petite Poucette apostrophe ses pères: Me reprochez-vous mon égoïsme, mais qui me le montra? Mon individualisme, mais qui me l’enseigna? Vous-même, avez-vous su faire équipe? Incapable de vivre en couple, vous divorcez. Savez-vous faire naître et durer un parti politique? Voyez dans quel état ils s’affadissent…»

«Vous vous moquez de nos réseaux sociaux (…) Vous redoutez sans doute qu’à partir de ces tentatives apparaissent de nouvelles formes politiques qui balaient les précédentes, obsolètes.»

«[Certaines] grandes institutions (…) ressemblent aux étoiles dont nous recevons la lumière, mais dont l’astrophysique calcule qu’elles moururent voici longtemps.»

«Concentrée dans les médias, l’offre politique meurt; bien qu’elle ne sache ni ne puisse encore s’exprimer, la demande politique énorme se lève et presse.»

«Petite Poucette — individu, client, citoyen — laissera-t-elle indéfiniment l’État, les banques, les grands magasins, s’approprier ses données propres, d’autant qu’elles deviennent aujourd’hui une source de richesse? Voilà un problème politique, moral et juridique dont les solutions transforment notre horizon historique et culture. Il peut en résulter un regroupement des partages socio-politique par l’avènement d’un cinquième pouvoir, celui des données, indépendant des quatre autres, législatif, exécutif, judiciaire et médiatique.»

«Comment transformer […]? Réponse: en écoutant le bruit de fond issu de la demande, du monde et des populations, en suivant les mouvement nouveaux des corps, en essayant d’expliciter l’avenir qu’impliquent les nouvelles technologies.»

«Pourquoi ces nouveautés ne sont-elles pas [encore] advenues? Je crains d’en accuser les philosophes, dont je suis, gens qui ont pour vocation d’anticiper le savoir et les pratiques à venir et qui ont, ce me semble, failli à leur tâche. Engagés dans la politique au jour le jour, ils n’entendirent pas venir le contemporain.»

Il ne s’agit donc pas de changer le monde, il a déjà changé. Il nous reste toutefois «à réinventer une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d’être et de connaître…»

Merci à Yves William pour m’avoir suggéré ce livre.

Je vous le recommande à mon tour.

Le monde politique devant le numérique

C’est en janvier 2016 que Dominique Anglade a été nommée ministre responsable de la Stratégie numérique.

C’est finalement ce matin que la ministre a dévoilée cette stratégie.

Je trouve que le document témoigne d’une démarche sincère en rapport avec les enjeux numérique au sein du gouvernement et des différents ministères. C’est un document qui, comme tout énoncé de politique, peut évidemment être critiqué. C’est normal et c’est même souhaitable vue l’importance du sujet.

Or, je constate qu’aucun parti d’opposition ne s’est encore donné la peine de le faire. Ça me surprend et ça me déçoit. Je suis bien prêt à croire que c’est dans le but de bien analyser le document et les propositions qu’il contient (même s’il faut bien reconnaître est assez rare qu’ils adoptent aussi unanimement cette attitude pour d’autres sujets… surtout quand il est question d’une annonce de plus d’un milliard de dollars).

On ne le répètera jamais assez: l’avènement du numérique (depuis bientôt 25 ans!) soulève des enjeux absolument essentiels pour l’avenir de la société québécoise. Tout autant que la langue, la culture, l’éducation, la santé, l’emploi et l’économie, à titre d’exemples. Le numérique s’est irréversiblement introduit dans tous ces sujets, et de façon déterminante.

On le constate tous les jours: il n’est plus possible d’aborder de façon crédible les questions de langue, de culture, d’éducation, de santé, d’emplois et d’économie sans tenir compte de l’impact des bouleversements numériques.

Pour cette raison, il m’apparaît essentiel que tous les partis politiques s’expriment clairement au sujet de la stratégie numérique qui a été présentée aujourd’hui.

Ça peut attendre en janvier, bien sûr, mais c’est absolument indispensable qu’ils le fassent.

Apprivoiser la bête

Dans une chronique particulièrement alarmiste publiée le 11 décembre dans Le Devoir, Louise Beaudoin appelle à des interventions vigoureuses de l’État afin de protéger la diversité culturelle et linguistique, qui serait gravement menacée de disparition au cours des cinq prochaines années. Comme les baleines noires.

Le problème c’est que les actions qu’elle propose afin de répondre à cet imminent danger risquent de se révéler inefficaces si elles ne tiennent pas compte de l’ADN du numérique, c’est-à-dire des mécanismes sur lesquels il s’appuie.

À titre d’exemple, on ne peut plus se contenter de dénoncer que «la tuyauterie et les algorithmes des multinationales américaines déterminent déjà largement ce que nous regardons et écoutons.» Il faut aussi s’interroger sur les raisons qui expliquent cette situation. Et quand on le fait, on est rapidement forcé de constater que les industries culturelles québécoises ont aussi leur responsabilité dans cette situation.

En effet, à défaut de fournir aux algorithmes qui organisent le web des renseignements adéquats sur nos productions culturelles (des métadonnées de qualité) il ne faut pas s’étonner qu’elles restent inconnues. Elles sédimentent naturellement au fond des disques durs de la Silicon Valley, sans aucune découvrabilité. Il n’y a pas de complot là-dedans, c’est le résultat logique d’un manque d’information. Et cela décrit malheureusement assez bien la situation actuelle. L’Observatoire de la Culture et des Communications du Québec a d’ailleurs consacré un rapport à cette question il y a quelques mois.

La réalité c’est que même si on exigeait dès demain un quota de pièces musicales québécoises sur la page d’accueil de iTunes, Apple ne serait probablement pas en mesure de le faire. Pas parce que Goliath ne le veut pas, mais parce que les métadonnées qui accompagnent les fichiers musicaux sont trop pauvres. Elles ne permettent souvent même pas de savoir s’il s’agit d’une chanson québécoise. — Ben t’sé, franchement, Pierre Lapointe, c’est évident que c’est un québécois! — Ben non… pas pour un algorithme! Il faut savoir le dire dans le langage des ordinateurs, à partir de normes et des standards internationaux. Et c’est souvent là que le bât blesse.

Est-ce que de meilleures métadonnées régleront tout, certainement pas. Mais elles apparaissent de plus en plus comme une condition préalable à toute ambition dans le monde culturel numérique. Tout le monde doit bien le comprendre, et en tout premier lieu les producteurs, qui ont la responsabilité de produire ces métadonnées, et les pouvoirs publics qui soutiennent la production culturelle. C’est heureusement de plus en plus le cas.

L’évolution du droit d’auteur, la transformation des circuits de diffusion, la dissolution des produits culturels dans diverses formes d’abonnement à des services culturels et l’apparition de puissants outils d’auto-production sont aussi des éléments essentiels de la nouvelle dynamique culturelle. On ne peut plus réfléchir les enjeux de la diversité culturelle sans en tenir compte.

Je suis tout à fait d’accord avec Louise Beaudoin quand elle dit qu’il est urgent de réguler la mondialisation culturelle. Sauf que pour réussir à le faire efficacement il faudra tenir compte des particularités de ces nouveaux espaces culturels. Il faudra d’abord apprivoiser la bête.

Photo: extrait d’une oeuvre de Pascale Marthine Tayou, vue au Musée de la Fondation Louis Vuitton, à Paris, à l’été 2017.

La globalisation, oui mais…

Dans un texte intitulé L’avenir de la culture, Simon-Pierre Savard-Tremblay exprimait hier son inquiétude au sujet de l’avenir des expressions culturelles devant le rouleau-compresseur de l’American Way of Life.

«…l’empire américain a envahi les ondes et les écrans et règne sans partage. Il arrive cependant que des industries culturelles d’autres pays parviennent à exporter leurs produits culturels à condition qu’ils soient pensés et mis en marché à travers le prisme de la standardisation américaine.»

SPST reconnaît néanmoins que certaines industries culturelles réussissent pourtant à s’exporter efficacement:

«Il arrive cependant que des industries culturelles d’autres pays parviennent à exporter leurs produits culturels à condition qu’ils soient pensés et mis en marché à travers le prisme de la standardisation américaine.»

Ainsi, pour lui, c’est le mimétisme qui serait dorénavant le secret du succès (commercial?) des productions culturelles.

Je ne nie pas que ça puisse être un élément du succès, mais je pense que c’est une explication nettement insuffisante. Une explication qui, surtout, passe à côté de l’essentiel: la transformation des mécanismes de diffusion de la culture.

Les circuits traditionnels de diffusion de la culture sont en train de se transformer en profondeur. La télé n’est plus ce qu’elle était, la radio non plus. Le Web bouffe les intermédiaires. Les acteurs ont changé.

Dans ce nouvel espace, les états-uniens ne gagnent pas seulement parce que leurs productions culturelles sont attrayantes. Ils gagnent aussi parce qu’ils ont inventé les règles du jeu et qu’ils ont (donc) été les premiers à les maîtriser.

Au coeur des nouveaux circuits de diffusion, il y a les métadonnées qui accompagnent les productions culturelles, c’est à dire les informations qui permettent aux ordinateurs de bien connaître les fichiers qui circulent. Il s’agit d’informations précises, destinées à être comprises par des ordinateurs, dans le but de leur permettre de les organiser adéquatement, de les décrire et les recommander aux personnes intéressées et aux consommateurs.

Si on ne fournit pas ces informations aux ordinateurs, avec le bon vocabulaire et dans la bonne forme, il ne faut pas s’étonner que nos productions restent inconnues. Normal: les ordinateurs par lesquels elles transitent ne pourront pas les mettre en valeur parce qu’ils ne les connaîtront pas suffisamment. Résultat… ces oeuvres mal décrites (ou pas du tout) vont naturellement sédimenter, oubliées par tous les algorithmes qui structurent désormais le Web. Pas de fatalité globalisante là-dedans, juste une mauvaise compréhension des mécanismes techniques qui président aujourd’hui à la diffusion de la création.

S’inquiéter de l’impact de la globalisation et de l’omniprésence des productions culturelles américaines c’est bien. Et c’est sans doute nécessaire. Mais c’est aussi nettement insuffisant.

Par-delà les dénonciations, il va aussi (surtout!) falloir être pragmatique et réclamer haut et fort des investissements publics et privés pour décrire adéquatement le travail de nos créateurs — parce que c’est devenu une condition sine qua non à leur rayonnement.

J’aime Hydro

Hier soir je suis allé voir J’aime Hydro à la Bordée. J’en suis sorti émerveillé.

3h40 de théâtre documentaire intelligent, sensible, drôle. Une véritable prouesse.

Christine Beaulieu a amplement mérité le Prix Michel-Tremblay pour ce texte.

Et quel jeu! De Christine Beaulieu elle-même, bien sûr — elle incarne parfaitement son texte! — mais aussi de Mathieu Gosselin (qui interprète pas moins que 28 personnages!).

Je crois (j’espère?) qu’avec le recul, dans vingt ans, on dira que cette pièce a marqué un moment important dans l’histoire du Québec; qu’elle aura été un des révélateurs d’une prise de conscience et d’un changement d’état d’esprit qui étaient nécessaires pour entreprendre une nouvelle révolution tranquille.

***

Il ne reste malheureusement pas de billets pour Québec (et apparemment bien peu pour les représentations annoncées ailleurs au Québec), mais il est possible d’acheter le texte, publié par Atelier 10 (ce que j’ai évidemment fait dès la sortie de la salle!).

Et, croyez-le ou non, il est aussi possible d’écouter la retransmission en direct (audio) de la pièce chaque fois qu’elle est jouée en salle (oui oui!).

À défaut d’avoir des places pour voir la pièce, ne vous privez pas de ce plaisir.