Ma fille aînée aura 20 ans au moment de la prochaine élection au Québec. Mon fils aura 18 ans. Tous deux exerceront donc pour la première fois leur droit de vote à des élections provinciales. Leurs groupes d’amis aussi.
Partant de l’hypothèse que c’est autour de 15 ans qu’on commence à s’intéresser davantage à la chose politique, je me suis interrogé sur ce qu’ils auront eu comme expérience de la politique québécoise. À partir de quels événements auront-ils construit leur conception de l’utilité de la politique et des raisons de s’y intéresser (ou pas)? De l’intérêt de faire du Québec un pays, aussi, évidemment.
Il y aura eu:
- Le printemps érable — et le refus du gouvernement d’entrer en dialogue avec les jeunes.
- La fragilité du gouvernement minoritaire de Pauline Marois.
- Les audiences de la Commission Charbonneau et toutes les allégations associées.
- La création d’une escouade anticorruption et l’entrée de ce mot dans le vocabulaire courant des médias.
- Les démissions et arrestations de maires, de députés et d’autres personnalités politiques influentes.
- Des compressions budgétaires à répétition, notamment en éducation.
En remontant un peu dans le temps, à partir du même raisonnement, je réalise que ceux et celles qui sont nés après 1981 ont connu leur éveil politique après l’arrivée du gouvernement de Lucien Bouchard, en 1996.
Il n’ont donc vécu que sous le dogme du déficit zéro — c’est-à-dire dans une époque où les gouvernements ont généralement pour rengaine: «on fait ça parce qu’on n’a pas le choix, parce qu’il faut réduire le déficit ». Pour ces jeunes, la politique est un espace où le fatalisme règne en maître.
Pour ces jeunes, la politique est un monde où ce qui a été créé pour eux est sujet à être démantelé — avant même que leurs enfants ne puissent à leur tour en profiter. Ma plus grande a été parmi les premières à être inscrites dans un CPE. Elle entend depuis quelques mois que c’était un projet trop ambitieux, dont le Québec n’aurait pas les moyens.
Ces jeunes ont aussi grandi à l’ombre de l’influence croissante des multinationales, notamment celles de l’économie numérique. Ces entreprises sont devenues tellement géantes qu’on prétend aujourd’hui qu’elles échappent au contrôle des États. De Seattle à Paris, en passant par Québec, aucune mobilisation citoyenne ne semble avoir d’effet sur cette perte de contrôle. Il faudrait aussi s’y faire.
Leur expérience de la politique est tout le contraire de celle que j’ai eue avant de voter pour la première fois, en 1994 — année de l’élection de Jacques Parizeau. Une période où il était permis d’avoir de l’ambition, où la politique était un monde de possibles.
Je pense qu’il faut retrouver cette énergie avant de penser faire un nouveau référendum sur l’indépendance du Québec.
Il faut d’abord rompre avec la culture politique actuelle et le cynisme qui l’accompagne.
Il faut en finir avec le fatalisme.
C’est pour ça que je pense qu’on devrait proposer aux Québécois un très vaste chantier de refonte de notre vie démocratique, lors de la prochaine élection: refonte du mode de scrutin, vaste décentralisation, référendums d’initiatives populaires, introduction de processus de révocation des élus, réduction de la ligne de parti, etc.
Parce qu’il faut, par tous les moyens:
- rapprocher le pouvoir des citoyens;
- redonner un sens à l’engagement social;
- offrir de nouvelles raisons de croire dans l’efficacité de l’action politique.
Il me semble que ce sera pas mal plus facile de convaincre les gens — et en particulier les jeunes! — de l’utilité de faire du Québec un pays, s’ils sont convaincus qu’ils auront une influence réelle sur la forme que prendra ce nouveau pays et sur la conduite des affaires de ce nouvel État.
Parce qu’au fond, pourquoi on ferait du Québec un pays si c’est pour élire des gouvernements (ou même de super bons gouvernements) qui, une fois élus, passeront leur temps à dire qu’ils n’ont pas le choix. L’avenir de la nation québécoise n’est pas dans le plus à gauche, ou dans le plus à droite, mais bien dans le plus de pouvoir pour les citoyens.
Prochaine étape, donc, dans la marche pour faire du Québec un pays: en finir avec le fatalisme. C’est indispensable, même si ça prendra vraisemblablement un peu plus de temps que les déjà convaincus par l’indépendance pourraient le souhaiter.
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3 réflexions sur “En finir (d’abord) avec le fatalisme”