Le Colosse de New York

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Première lecture préparatoire à une prochaine semaine à New York. Suggérée par un ami.

Le Colosse de New York, de Colson Whitehead.

Treize courts textes sur la ville dans lesquels l’auteur adopte un regard contemplatif pour nous présenter les lieux et les moments particuliers qui composent la métropole, ce qui fait son rythme, le battement de son cœur.

J’ai d’ailleurs été surpris par ce rythme qui ne correspond pas du tout à l’expérience que j’ai de cette ville dans laquelle je n’ai connu que la précipitation — la fuite, le 11 septembre 2001, et de courts séjours professionnels, toujours très chargés. Je découvrirai probablement cet autre rythme la prochaine fois.

J’ai particulièrement aimé les textes intitulés Les portes de la ville, Métro et Pluie — de loin mon préféré, dont voici quelques phrases:

« La première goutte, c’est le pistolet du starter, et en entendant la première détonation les gens courent… »

« Soupçonnant une telle éventualité, les vendeurs de parapluies surgissent pour faire des affaires. Ils ont attendu toute la semaine faisant provision de billets de un dollar. Les vertus de leur marchandise se passent de commentaire. »

« Les pointes argentées fusent et visent les orbites. Le risque statistique de perdre un œil est essentiellement imputable aux pointes de parapluie, et vous êtes sûrement la prochaine victime. »

« Au coin de la rue, il dispute à un fantôme l’âme de son parapluie. C’est la rafale qui l’emporte : alors qu’il attend que le feu passe au rouge, le parapluie se retourne et se déchire. On déplore de lourdes pertes. Les blessés, les victimes de ce combat, dépassent des poubelles, abandonnés, leur tissu noir froissé sur un thorax de chrome éclaté. Tel est leur destin. Ils finissent soit à la poubelle, soit oubliés au restaurant, au cinéma, dans le vestibule d’un ami, répandant au sol une large flaque. Dans cette ville, s’attacher à un parapluie, c’est le plus court chemin vers le chagrin d’amour. Une étude objective révélerait qu’il n’y a dans tout New York que vingt parapluies, qui ne cessent de passer de main en main. Bande de Casanovas. Ce sont les parapluies qui nous enseignent la douleur de la perte. »

Vertiges

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Recevoir en cadeau de ses parents un dossier avec un ensemble de poèmes écrits autour de 18 ans. Le déposer sur la table de chevet pour le lire plus tard. Le laisser progressivement recouvrir par d’autres documents. Jusqu’à l’oublier.

Recevoir trois mois plus tard une convocation de la Commission parlementaire sur la Culture et l’Éducation, qui tiendra à la fin de l’été des auditions publiques en rapport avec une éventuelle réglementation du prix des livres.

Avoir envie de donner un peu de profondeur à la réflexion qui s’amorce pour la préparation d’un mémoire. Replonger un soir dans Passion et désenchantement du ministre Lapalme — qui raconte la naissance du Ministère des Affaires culturelles du Québec. Relire aussi quelques pages de L’Amour du livre, de Denis Vaugeois, qui raconte l’origine de la Loi sur le livre.

Quelques jours plus tard, en déplaçant les documents empilés sur la table de chevet, réaliser que le dossier dans lequel avaient été regroupés mes poèmes de jeunesse porte l’identification du ministère des Affaires culturelles. Étonnement. Le ministère des Affaires culturelles a changé de nom pour ministère de la Culture et des Communications en 1994. Comment mes poèmes ont-ils pu se retrouver dans ce dossier (une enveloppe repliée sur elle-même en fait)? Mystère.

Lapalme ministre des Affaires culturelles. Denis Vaugeois également. Gérald Godin, aussi — dont j’ai cité ans les derniers jours quelques textes qui lient politique et poésie.

Amusé par ces coïncidences, oser ouvrir le dossier.

Lire. Sourire.

* * *

Le texte écrit au retour de mon baptême de l’air attire particulièrement mon attention. Je m’en souviens évidemment très bien. C’était dans un tout petit avion au-dessus de Québec.

Clin d’oeil: je pense que ce poème pourrait aussi bien décrire l’impression que j’aurai, une vingtaine d’années plus tard, en entrant à l’Assemblée nationale pour présenter un mémoire en commission parlementaire.

* * *

Noctambule impénitent
les célestes diaprures
étaient mon unique horizon
jusqu’au crépuscule magique
où un fragile vaisseau
m’emporta sur le nocturne
océan

vertigineuse découverte
le miroitement diaphane
des espaces humains

la vermeille cryptographie de
la vie
s’offre à mon regard
comme seules des
constellations l’avaient fait

funambule, je découvre
l’orfèvre cité.

* * *

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Poésie, pédagogie et politique

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À la fin d’une réunion à la BAnQ, plus tôt cette semaine, j’ai pris le temps de m’arrêter au premier étage pour visiter l’exposition « Être ou ne poète », qui est consacrée à l’œuvre et à la vie de Gérald Godin.

L’exposition est très simple, mais très efficace. J’aurais aimé qu’elle soit accompagnée d’un document synthèse — ou d’un site Web complémentaire — mais, à défaut, je suis reparti de la bibliothèque avec un livre sous le bras:

Traces pour une autobiographie, Écrits et parlés II — Édition préparée par André Gervais, Éditions de l’Hexagone, 1994.

Page après page, j’y redécouvre un politicien-poète (et vice versa) absolument extraordinaire — et dont les motivations me rejoignent profondément.

« Ce qu’il faut faire, c’est de trouver la pédagogie pour montrer aux gens que c’est ça, la réalité, et comment la changer, cette réalité-là. La job, la tâche, le labeur de la gauche, actuellement, ou de toute personne qui veut que ça change, qu’elle se qualifie de gauche ou de quoi que ce soit, c’est un problème pédagogique: comment amener les gens à découvrir ou à se rendre compte de la façon dont les choses fonctionnent, premièrement, comment les convaincre qu’il faut que ça change, deuxièmement. »

Je pourrais en citer des dizaines d’extraits formidables. Je le ferai d’ailleurs sans doute au cours des prochains jours.

* * *

Je note également au passage ces deux extraits, que j’ai cités sur Facebook hier après-midi:

« La poésie peut-elle changer le monde? La politique peut-elle changer le monde? La poésie peut-elle changer la politique? La politique peut-elle changer la poésie?

On n’écrit pas ce que l’on veut. Ce que l’on écrit c’est ce qui, en nous, veut devenir de l’écrit. »

* * *

« Ce par quoi les deux se ressemblent [la poésie et la politique], en fait, c’est en ce que les mots sont les citoyens de la poésie. Innombrables, imprévisibles, vivants, dynamiques, changeants, intraitables et qui, au fond, dominent absolument ceux qui croient s’en servir. »

* * *

Et j’en ajoute une dernière pour ce soir:

« G. G.: [Le pouvoir] est un poste d’observation unique. La nature humaine nous apparaît sous son plus beau jour (sic)… On constate que le sort du monde ne se joue pas au Conseil des ministres, mais dans le cœur de l’homme. Et je crois que le poète, par son langage, peut s’adresser au cœur des individus. Il est peut-être le seul à pouvoir le faire!

V. G.: Le pouvoir de la poésie serait plus réel que celui du politique?

G. G.: Je le crois. Les gens m’appellent le député-poète, et la mythologie qui entoure ces mots jette une sorte d’auréole autour de ma personne. Ça me permet plus de liberté; je peux dire les choses différemment. Plus fortement.

— Extrait d’une entrevue de Véronique Gagnon avec Gérald Godin.

* * *

De la lecture très inspirante.

Des statistiques des nuages et des vents

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Notre attention est évidemment sélective. On remarque davantage ce qui nous touche. C’est ainsi que, parfois, on a l’impression que les coïncidences se multiplient — que notre environnement nous parle; qu’il tente de nous dire quelque chose… alors que ce n’est pas notre environnement qui a changé, c’est le regard qu’on porte sur lui.

Ce sont des moments précieux. Ce sont des moments que j’aime.

J’aime chercher ce qui relie ces choses qui, soudainement, attirent mon attention — entre lesquelles il semble y avoir un fil conducteur imprévisible. Trouver ce qui guide ainsi mon regard et titille mon esprit à ce moment.

Ces derniers jours:

Ce court texte fantastique de Kurd Lasswitz, qui a inspiré la Bibliothèque de Babel de Borges, dans lequel l’auteur explore la littérature et les mathématiques dans un jeu de probabilités vertigineux qui convie le lecteur à une réflexion sur la culture.

Cette entrevue avec Stephen Wolfram, créateur de Mathematica et de Wolfram Alpha, qui faut un plaidoyer pour la mesure et l’analyse de toutes les données de notre vie. Toutes. Le Personnal Analytics devrait, selon lui, nous aider à vivre mieux. Tout aussi vertigineux.

Deux textes me tournaient encore dans l’esprit à mon réveil ce matin.

Je me suis servi un jus d’orange, j’ai ouvert Facebook et j’ai trouvé tout au haut de la page cette image de Liniers.

liniers_20mai2013«Ce sont des nuages, ou la pensée de quelque chose d’énorme?» | Source: l’auteur sur Facebook

Les vers de Goethe qui concluent le texte de Lasswitz me sont revenus à l’esprit:

Car aux dieux
Ne doit se mesurer
Aucun homme
Et s’il se dresse
Et touche de la tête
Aux étoiles
Nulle part n’adhèrent
Ses semelles incertaines
Il devient alors le jouet
Des nuages et des vents.

Incroyable, non?

Je passe beaucoup de temps à analyser des données sur les ventes de livres numériques ces derniers temps. Mon esprit est probablement en train de me rappeler gentiment que si cela est nécessaire il ne faut pas pour autant que je confonde le portrait de la réalité que l’analyse de ces chiffres me procure et la réalité elle-même.

Note à moi-même, donc:

Ne pas oublier que l’analyse de tous ces chiffres doit être au service du projet qui m’inspire — me permettre de mieux choisir les moyens pour le réaliser.

L’analyse, c’est la carte, pas la destination.

Au-delà des mots, un éloge de la folie

J’avais gardé pour ce soir la lecture du texte que le Devoir consacrait samedi à Alberto Manguel.

Je n’ai pas été déçu. C’est un excellent texte, qui offre de riches pistes de réflexion sur la lecture, sous toutes ses formes.

Je pourrais en reprendre des extraits. Je ne le ferai pas. Il faut lire le texte en entier

…avant de lire bientôt son plus récent livre Éloge de la folie.

Une histoire du Québec racontée par Jacques Lacoursière

J’ai terminé ma lecture de Une histoire du Québec racontée par Jacques Lacoursière — premier livre qui a été choisi pour notre Club de lecture. Je l’ai lu essentiellement pendant des déplacements, sur mon iPhone.

J’ai beaucoup apprécié relire notre histoire de cette façon, sous forme d’un récit — racontée par, c’était très bien choisi comme titre.

Sans faire une analyse exhaustive de mes notes, disons que ce qui m’a le plus frappé au cours de la lecture, c’est jusqu’à quel point notre histoire semble s’être écrite « en réaction » à des décisions ou des gestes posés par d’autres — le plus souvent les Anglais, puis les Canadiens anglophones. Cela ne m’avait jamais autant frappé que dans cette version de notre histoire. Est-ce essentiellement dû à la perspective adoptée par Jacques Lacoursière? ou cela correspond-il à quelque chose de plus fondamental? Je ne sais pas — il faudrait en parler.

Quoi qu’il en soit, j’ai vraiment eu l’impression tout au long de la lecture que, pendant des siècles, nous n’avons essentiellement fait que réagir, et que, progressivement, au XXe siècle, nous avons peu à peu appris à prendre les devants, à proposer, à initier des choses — à prendre le leadership de notre histoire. Et que c’est peut-être dans ces moments là — trop rares — que nous avons réalisé les seules véritables avancées déterminantes pour le développement de la société québécoise.

Devant ces constats/impressions, je me suis donc demandé ce qu’il en était aujourd’hui. Le livre se termine en 2000, alors que s’est-il passé depuis?

Je pense qu’on vient de traverser une décennie où nous avons aussi été essentiellement en réaction — où nous avons moins travaillé à définir un projet de société qu’à adapter ce que nous sommes en réaction à diverses influences, essentiellement fondées sur les thèses du néolibéralisme. On a transformé certains de nos programmes sociaux parce que… on a réduit les impôts parce que… on a augmenté des tarifs parce queparce qu’il le fallaitparce que sinonparce que les marchés…  Nous avons très rarement réalisé quelque chose en fonction d’un projet, ou d’une aspiration. Nous avons rarement fait preuve d’une attitude progressiste.

Je veux croire qu’on se prépare à entrer dans une nouvelle phase de notre histoire, où nous retrouverons le goût de faire autre chose que de simplement réagir. Je croise les doigts (et un peu plus, quand même — parce qu’il faut y travailler! — et n’est-ce pas d’ailleurs là un des objectifs poursuivit en mettant en place ce club de lecture? je le crois).

J’ai évidemment aussi été frappé au cours de la lecture par la continuité des revendications pour plus de droits, plus de pouvoirs et plus d’autonomie pour le Québec — jusqu’à l’indépendance, parfois — comme on le sait. Et à cet égard, il me semble plus que jamais, au terme de cette lecture, que le moratoire proposé par la Coalition Avenir Québec sur les revendications du Québec est, en ce sens, en complète rupture avec notre histoire.

* * *

Quelques extraits choisis:

Une citation de William Pitt: « Les sujets français, déclare-t-il, se convaincront ainsi que le gouvernement britannique n’a aucune intention de leur imposer les lois anglaises. Et alors ils considéreront d’un esprit plus libre l’opération et les effets des leurs. Ainsi, avec le temps, ils adopteront peut-être les nôtres par conviction. Cela arrivera beaucoup plus probablement que si le gouvernement entreprenait soudain de soumettre tous les habitants du Canada à la constitution et aux lois de ce pays. Ce sera l’expérience qui devra leur enseigner que les lois anglaises sont les meilleures. Mais ce qu’il faut admettre, c’est qu’ils doivent être gouvernés à leur satisfaction ».

Remplacez le gouvernement britannique par les défenseurs du néolibéralisme économique, et on se retrouve assez aisément projeté dans l’actualité récente, non? J’ai eu cette impression en tout cas.

* * *

Le premier ministre Laurier, répondant à Henri Bourassa, fondateur du quotidien Le Devoir, et petit fils de Louis-Joseph Papineau: « Mon cher Henri, la province de Québec n’a pas d’opinions, elle n’a que des sentiments ».

N’a-t-on pas eu, parfois, cette impression au cours des derniers mois?

* * *

« L’emprise de Louis-Joseph Papineau est de plus en plus forte. Il est le leader, parfois contesté, il est vrai, des membres du Parti canadien. Une certaine opposition vient de personnes de la région de Québec qui trouvent que Papineau commence à être trop radical. »

Les premières manifestations du « mystère Québec »? (concept que je rejette par ailleurs).

* * *

EN CONCLUSION — Les questions que j’aimerais approfondir:

1. Est-ce que l’importance de la réaction est bien réelle dans notre histoire?

2. Si tel est le cas, quelles sont les conditions qui ont permis l’avènement de phases plus progressistes?

3. Comment peut-on décrire le contexte actuel par rapport aux deux questions précédentes?

* * *

Un point de détail en terminant: je dois dire que j’ai constaté quelques césures erronées dans le texte (version epub)… elles seront sans doute corrigées dans une prochaine mise à jour. Gilles?

Et une suggestion pour l’éditeur aussi: pourquoi ne pas faire une version numérique enrichie d’une décennie de plus? Ce ne serait sans doute pas très compliqué, ni très coûteux, et ça pourrait susciter un nouvel intérêt pour la diffusion du livre.

* * *

Je réunirai ci-dessous, dans les prochains jours, l’ensemble des liens vers les autres textes publiés par les participants du Club de lecture pour réfléchir à notre société (auquel il faudrait trouver un nom d’ailleurs — n’hésitez surtout pas si vous avez des idées!).

Lendemains d’élection

Ça m’a pris quelques jours pour retomber sur mes pattes après cette élection aux étranges résultats. Mais ça y est.

Ma brève rencontre avec Jean-Paul L’Allier, jeudi midi, a contribué à me remettre sur pieds. Sa fierté, son humilité, sa passion et sa confiance dans l’avenir étaient palpables — et inspirantes.

Je me réjouis en constatant que plusieurs personnes semblent maintenant ressentir le besoin de s’engager davantage dans les débats sociaux — de façon moins polarisée, plus pédagogique. C’est un défi pour lequel il faudra vraisemblablement sortir de l’instantanéité, en se donnant du temps — un temps nécessaire pour que de véritables dialogues prennent formes.

Or, il n’y a rien comme les livres pour nous sortir de l’instant, et de l’instantanéité.

Je rêve ce matin d’un club de lecture axé sur la compréhension de notre société et sur le dialogue — avec peut-être un regard particulier, plus concret, sur la région de Québec.

Un club de lecture qui pourrait être nourri par les suggestions d’une libraire (Marie-Hélène?), dont les participants témoigneraient de leurs réflexions sur leurs blogues (ou sur celui d’un autre participant), et pour lesquels des échanges entre les participants par blogues interposés (ou autres moyens), seraient valorisés. Avec des rencontres in situ — avec du vin! — à l’occasion, évidemment.

Un livre tous les quinze jours — avec des suggestions plus ciblées à l’intérieur de chaque livre, pour ceux et celles qui auraient moins de temps. Pas que des livres évidents portés par l’air du temps, et pas que des essais… de la fiction aussi, du théâtre aussi — et de la poésie. De la variété surtout, pour sortir des sentiers battus, pour nous forcer à réfléchir hors de nos zones de confort.

Qui serait partant?

On commence quand?

Mise à jour: Le projet prend forme…

Entretien avec Pauline Marois

J’ai regardé le face à face entre Pauline Marois et François Legault, plus tôt ce soir, à la télévision.

J’ai été impressionné, une fois de plus, par Mme Marois — par son attitude, son aplomb et son habileté. Par la cohérence de son parcours politique aussi, qui m’a paru à plusieurs reprises transcender son discours. Surtout par cela, peut-être, d’ailleurs.

On peut critiquer ce que dit cette femme, on peut ne pas être d’accord avec certains de ses choix, mais on ne peut pas douter de son intégrité. Son cheminement est rigoureux et il témoigne d’une exceptionnelle détermination.

Consterné par les invraisemblables analyses (j’hésite même à employer ce mot) de certains des commentateurs choisis par TVA pour décortiquer le face à face, je me suis mis à la recherche d’un peu de lecture afin terminer ma journée de façon un peu plus stimulante — avec l’idée de chercher à comprendre encore un peu mieux la femme derrière la candidate; la femme qui sera vraisemblablement la prochaine première ministre du Québec.

Mes recherches m’ont mené à un livre d’Anne-Marie Villeneuve, publié en 2003 par les Éditions Québec Amérique: Paroles de femmes — entretiens sur l’existence. Disponible en version numérique, j’ai pu l’acheter, le télécharger aussitôt et le lire immédiatement. Fantastique!

L’entretien de l’auteure avec Pauline Marois m’est apparu très intéressant. Il m’a semblé témoigner efficacement, en une cinquantaine de pages, de plusieurs des valeurs qui la guident.

J’en ai retenu quelques extraits.

* * *

Au sujet de son attitude:

Courber l’échine, ce n’est pas mon genre. Je suis une fonceuse, même si parfois je trouve la côte à monter difficile et si je vois aussi les écueils. Je ne suis pas inconsciente de ce que je suis, de mes failles et de mes défauts. On en a tous, c’est comme ça. Quand les gens disent que je suis ambitieuse, je réponds «oui, je le suis». Je n’ai pas peur de l’ambition parce qu’elle fait réaliser de grandes choses quand on s’en sert pour changer la société, pour proposer des façons différentes de faire, pour réaliser ou atteindre des objectifs qui sont sains, qu’ils soient sur le plan social, sur le plan économique ou sur le plan culturel.

Au sujet des exigences de la politique

En politique, on a malheureusement toutes sortes de compromis à faire, ça fait partie de cette vie. Si on ne l’accepte pas au départ, on sera frustré tout le temps, on sera toujours de mauvaise humeur et moi, je ne veux pas dépenser d’énergie négative. Souvent, dans le travail que nous faisons, nous devons critiquer ceci ou cela. Une fois que c’est fait, c’est derrière nous. Utilisons notre énergie, notre talent, notre intelligence, notre créativité à bâtir quelque chose et non pas à continuellement critiquer autour de nous ou à remettre en question le passé qui ne peut être changé. Je pense qu’il faut être capable de regarder dans le rétroviseur pour faire des analyses, tirer des leçons, mais je suis une femme qui regarde en avant, là où l’on peut encore changer les choses.

Au sujet du sens des responsabilités

On vit dans une société où l’on fait des compromis pour trouver notre confort et notre bonheur, pour établir les relations les plus harmonieuses, les plus intéressantes et stimulantes possible. Le chacun pour soi, c’est l’anarchie finalement. À mon avis, certains créateurs doivent aller au bout de cela. Mais lorsqu’on est dans des organisations de type public, politique, social ou autre, quand on est à la tête d’institutions ou d’organismes et qu’on assume des responsabilités au nom de quelqu’un d’autre, je pense que ça prend un minimum de retenue.

Au sujet de la sincérité

J’ai la conviction profonde qu’il faut que notre société améliore le sort des plus mal pris d’entre nous. Je pense qu’on doit toujours, comme gouvernement, avoir en tête la recherche de la justice, de l’équité, et aussi la recherche d’une plus grande solidarité entre les gens. On doit pouvoir soutenir, aider ceux qui sont marginalisés, ceux qui sont sur le bord de la route. Il y a toutes sortes de façons de le faire; mon gouvernement a parfois fait des gestes avec lesquels je n’étais pas d’accord, j’aurais probablement agi autrement. Mais à partir du moment où on est franc avec la population, je peux vivre avec cela, tant que les valeurs fondamentales auxquelles je crois sont respectées.

Au sujet de l’action politique

En politique, quand on prend des engagements, c’est parce qu’on veut les réaliser. Je crois que les politiciens sont plutôt de bonne foi, mais souvent leurs rêves se heurtent aux contraintes, à la réalité, à des difficultés bien concrètes et, à partir de là, ils doivent faire des compromis.

Que faire pour revaloriser l’action politique aux yeux de la population québécoise? Il faut peut-être aller davantage chercher le point de vue de la population. On appelle ça la démocratie participative.

Au sujet de la vie, et de nos rêves

J’aime la vie et j’aime ce que je fais. Même si parfois je trouve ça dur et que je suis obligée de me bousculer, il reste que j’ai choisi de changer le monde, et s’il y a un métier ou s’il y a un lieu où c’est possible de le faire, c’est bien là où l’on prend des décisions, en politique. Je réalise donc mon rêve de jeunesse.

Et finalement, la réponse qu’elle donne à la question suivante — et qui me semble éclairer de façon particulièrement intéressante certains des choix qu’elle a faits au cours des derniers mois.

À un jeune qui viendrait vous voir et qui vous dirait «Madame Marois, moi, je veux changer le monde», que répondriez-vous?

Je lui dirais: «Allez-y! Rêvez! Imaginez! Provoquez-nous! Choquez-nous!» S’ils ne nous choquent pas à vingt ans, ils ne nous choqueront pas à cinquante, hein! J’aime ça que des jeunes pensent comme ça, qu’ils n’acceptent pas les faits. Des fois, mes jeunes à la maison se fâchent. Je ne suis pas d’accord avec leur point de vue, mais j’aime qu’ils en aient un, même s’il n’est pas le mien. Même s’ils me choquent un peu de penser comme ça, ça me stimule. Ils voient la vie autrement que je ne la vois, leur façon de juger des événements est différente de la mienne. Je trouve qu’ils ont des idées, des projets, des rêves et il faut en avoir à vingt ans si on veut avoir une influence à un moment donné dans la vie et que la vie soit meilleure dans vingt, trente, quarante ans.

* * *

Paroles de femmes
Entretiens sur l’existence

Auteure: Anne-Marie Villeneuve
Éditeur: Québec Amérique
Date de parution: Octobre 2003

Pour acheter le livre sur le site
Rue des libraires, cliquer ici.

« Nous en sommes rendus à la période du choix »

Devant l’actualité du jour, il faut apparemment se faire à l’idée: tous les coups seront permis lors de la prochaine campagne électorale, même les stratégies les plus dégradantes, dont le Québec avait jusqu’à présent été épargné: wedge politic, publicités négatives, salissage. Dur dur à accepter pour ceux qui croient encore qu’une campagne électorale c’est une occasion privilégiée de débattre d’idées et de projets de société.

Alors plutôt que de passer la soirée à faire le tour de tout ce qui se dit ici et là sur les déplorables stratégies pré-électorales du Parti Libéral, j’ai préféré ouvrir Les 50 discours qui ont marqué le Québec — question de prendre un peu de recul, et de donner un peu de perspective à tout cela.

J’y ai lu un discours prononcé par Jean Lesage le 30 septembre 1962.

En voici quelques extraits, troublants d’actualité:

Pendant les prochaines semaines, mes amis, nous allons au Québec vivre des moments historiques. Je ne parle pas tant de la campagne électorale proprement dite que de l’occasion que cette campagne donnera à tous et à chacun des citoyens de notre province de décider du sort de notre nation.

Nous en sommes rendus à la période du choix. Certains ont dit que ce serait la «minute de vérité». C’est vrai. Le Parti libéral du Québec, conscient des exigences de la démocratie dans laquelle nous vivons, a voulu, une fois sa propre décision prise, demander à la population entière de se prononcer catégoriquement sur la plus importante des questions jamais soumises à son attention. Il veut savoir d’elle si, oui ou non, elle veut enfin poser le geste dont ont rêvé nos ancêtres depuis des générations. Il veut savoir si elle accepte d’orienter elle-même son propre avenir.

(…)

Comme peuple adulte, nous ne pouvons plus supporter de croupir dans l’immobilisme forcé, immobilisme imposé par une clique politique à qui il plaît que notre province demeure une source de matière première, un réservoir de main-d’oeuvre à bon marché ou un pays vieillot que l’on visite en touriste. L’époque du colonialisme économique sera définitivement morte, oubliée même, [le lendemain de l’élection]. En ce jour qui méritera de devenir une seconde fête nationale, le peuple du Québec aura signifié leur arrêt de mort aux intérêts égoïstes qui s’opposent directement ou hypocritement à la marche en avant d’un peuple jeune à qui, désormais, l’avenir peut et doit appartenir.

(…)

Je sais qu’il y en a qui diront : «Laissons les étrangers venir ici et investir leur argent et tout ira bien». Maintenant, cela n’est plus suffisant. Les étrangers ne viennent ici que lorsque cela leur rapporte, et je comprends cela. Ils viennent ici lorsqu’ils peuvent exploiter des ressources naturelles qui peuvent leur rapporter un profit. Tel est leur but, et c’en est un parfaitement normal.

(…)

Pour nous toutefois – oui pour nous Québécois de toute origine – est-ce que cela est suffisant ? Pouvons-nous nous contenter de ce que cela peut nous rapporter ? Serons-nous toujours victimes de cet état d’esprit qui nous condamne à ne toucher toujours que les miettes qui tombent de la table à laquelle mangent ceux qui viennent d’ailleurs ? Certes ces miettes peuvent en certains moments paraître être très abondantes, mais elles ne seront toujours que des miettes. (…)

Laissons les politiques du « patchwork » à ceux qui, malheureusement pour eux, sont encore incapables de comprendre les aspirations profondes qui animent notre peuple. Laissons cette politique aux lèches-bottes qui ont déjà commencé à faire le tour de la province dans un effort vain en vue de convaincre notre peuple qu’il est de notre destin de continuer à se prosterner devant le Veau d’Or ! Quant à nous, nous avons compris depuis longtemps qu’il est inutile de rêver à un meilleur avenir si nous ne contrôlons pas notre économie aujourd’hui.

(…)

Heureusement, personne ne sera dupe. C’est Abraham Lincoln qui, je crois, disait : «On peut tromper tout le monde quelque temps. On peut tromper quelques-uns tout le temps. Mais on ne peut tromper tout le monde tout le temps ». Or, l’Union nationale, illusion qui lui sera fatale, essaie de tromper tout le monde tout le temps.

(…)

Mesdames et messieurs, à la face de la province, j’accuse l’Union nationale (…) d’être TRAÎTRE envers notre nation en prenant la part d’influences occultes qui tiennent à l’asservir…

Mesdames et messieurs, je défie publiquement le chef imposé de l’Union nationale de révéler quelle sorte d’avantages, directs ou indirects, son parti reçoit pour faire campagne en faveur des compagnies d’électricité ? Cela aussi le peuple du Québec veut le savoir !

Mes chers amis, la campagne électorale du Parti libéral n’est pas encore officiellement ouverte. Bientôt elle le sera, et alors j’aurai l’occasion de revenir avec plus de détails sur des sujets qui feront regretter à l’Union nationale, sa LÂCHETÉ, son RENIEMENT et sa TRAÎTRISE envers la population de notre province. Pour le moment, oublions ces gens chez qui les historiens de l’avenir sauront déceler les vestiges du colonialisme économique dont notre peuple veut maintenant se défaire à jamais !

C’était il y a 50 ans, presque précisément.

C’est troublant d’actualité — sauf que le Parti Libéral se retrouve aujourd’hui dans le rôle de l’Union nationale, à défendre le Veau d’Or et en prenant la part d’influences occultes…

Je ne doute pas qu’il y a des gens très bien au Parti Libéral, mais je n’arrive pas à comprendre leur silence. Je suis troublé devant la loyauté dont ils font preuve à l’égard d’un parti qui semble maintenant prêt à toutes les bassesses pour être réélu, même au détriment des valeurs et des idéaux qu’il a représentés pendant presque un demi siècle. S’il le faut.

Il me semble qu’au moins l’un d’eux devrait se lever pour crier haut et fort: « eille, la trahison de l’héritage Libéral, ça va faire! ».

* * *

J’ai aussi trouvé le discours complet en ligne.

C’est ici pour ceux et celles qui souhaiteraient le lire en entier — c’est un peu plus long, mais encore plus percutant.

* * *

Mise à jour:

En relisant mon texte, me revient à l’esprit le souvenir d’un autre livre que j’ai lu il y a un peu plus d’un an et qui faisait référence à l’époque qui suivait immédiatement l’élection dont il est question dans le discours ci-dessus: Passion et désenchantement du ministre Lapalme, une pièce de Claude Corbo, publiée par les Éditions du Septentrion. J’y avait fait référence dans ce texte…

Je pense que ce sera pertinent de le relire dans le contexte où la ministre de la Culture vient de lancer « un grand chantier pour actualiser la loi sur le livre ».

Courir pour faire le vide

L’horaire est chargé, pour toute la famille. Et c’est comme ça quasiment depuis Noël… alors, les vacances seront particulièrement bienvenues!

À travers tout ça, il faut (re)commencer à trouver du temps pour l’exercice — essayer de se garder en forme, cultiver la santé. Ce sera plus facile au cours de l’été, bien sûr, mais j’ai quand même pris un peu d’avance depuis le printemps en me mettant doucement à la course. De courtes sorties, aussi fréquentes que possible (ce qui n’est pas très engageant, il faut bien le dire). J’en suis quand même à une vingtaine de courses. Cinq kilomètres ce soir, par exemple, par une  température extraordinaire. Un vrai plaisir — eh que ça fait du bien!

Ça aide aussi (surtout?) à se vider l’esprit, continuellement surchargé par le boulot et par le contexte politique. Faire le ménage des méninges.

Haruki Murakami décrit très bien cela dans les premières pages de son Autoportrait de l’auteur en coureur de fond:

« On m’a souvent demandé à quoi je pensais lorsque je courais. En général, les gens qui me posent cette question n’ont jamais participé eux-mêmes à des courses de fond. À quoi exactement est-ce que je pense lorsque je cours? Eh bien, je n’en sais rien.

Quand il faut froid, je suppose que je pense vaguement qu’il fait froid. Et s’il fait chaud, je dois penser vaguement à la chaleur. Quand je suis triste, je pense à la tristesse. Si je suis content, je pense au bonheur. (…)

Simplement, je cours. Je cours dans le vide. Ou peut-être devrais-je le dire autrement: je cours pour obtenir le vide. Oui, voilà, c’est cela, peut-être. Mais une pensée, de-ci de-là, va s’introduire dans ce vide. Naturellement. L’esprit humain ne peut être complètement vide.  Les émotions des humains ne sont pas assez fortes ou consistantes pour soutenir le vide. Ce que je veux dire, c’est que les sortes de pensées ou d’idées qui envahissent mes émotions tandis que je suis en train de courir restent soumises à ce vide, ce sont juste des pensées hasardeuses qui se rassemblent autour de ce noyau de vide.

Les pensées qui me viennent en courant sont comme des nuages dans le ciel. Les nuages ont différentes formes, différentes tailles. Ils vont et viennent, alors que le ciel reste le même ciel de toujours. Les nuages sont de simples invités dans le ciel, qui apparaissent, s’éloignent et disparaissent. Reste le ciel. »

J’avais apprécié Kafka sur le rivage, mais ce témoignage très personnel d’Haruki Murakami, qui prend parfois des accents de traité de sagesse à la japonaise (l’expression est de André Clavel, en quatrième de couverture) me plaît encore davantage.

Et la couverture de l’édition 10/18 est particulièrement géniale.

Des idées d’avenir…

Parmi les réactions à mon texte d’hier, une invitation à relire un livre qui est sur ma table de chevet depuis plusieurs mois — depuis un souper très agréable, et très stimulant, avec son auteur, sur la rue Saint-Denis, à l’automne 2010.

Je m’y suis replongé rapidement ce soir — en mode survol — avant d’y consacrer, sans doute, un peu plus d’attention dans les prochains jours (et d’avoir, peut-être, la chance de contribuer à le rendre disponible en version numérique).

Je vous en fais cadeau de quelques extraits (pour le moment, parce que j’y reviendrai assurément):

Des idées pour un monde meilleur

Attendons-nous une révolution? J’en doute. Qui dit révolution dit désordre et qui dit désordre dit insécurité, tension et angoisse. Nos dirigeants nous ont suffisamment démontré que le désordre crée un stress économique qui déstabilise nos sociétés.  Pour la majorité, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Il vaut mieux ne rien changer plutôt que de provoquer de l’insécurité économique. C’est un slogan à la mode. Notre quotidien est en jeu. Et le quotidien implique un certain niveau de vie que nous ne sommes pas prêts à remettre en question pour aller vers de nouvelles idées, si alléchantes soient-elles. (…)

Je ne crois pas à la pertinence des modèles uniques et des doctrines à toute épreuve. Je crois à la nécessité des interactions de multiples idées qui font jaillir de nouvelles compréhensions du monde.  Je crois également que tout commence par l’individu et que tout se termine par lui et en lui. S’il faut croire en une révolution, alors il faut croire en celle de l’individu. Mais l’individu est un être d’interactions.  De plus, il est singulier et universel. (…)

La nécessité d’un leadership inspirateur

Cette société sir le qui-vive manque de leaders, ces personnes qui mobilisent, qui inspirent et qui indiquent des voies à suivre. Actuellement, nous sommes gouvernées par des personnes qui, majoritairement, collent au discours dominant sans égard aux effets de ce discours. Elles voient dans ce discours , non pas ses effets pervers, mais la solution pour régler les problèmes. [ainsi] de nouvelles stratégies apparaissent pour faire porter l’odieux de la situation sur les citoyennes et les citoyens.

Un décideur n’est pas automatiquement un leader. L’inverse est également vrai. Majoritairement, les décideurs actuels gèrent en s’inspirant du discours dominant. Ils font probablement leur possible, mais la bonne volonté, je l’ai déjette dit, n’est pas suffisante. Il faut porter un autre regard sur la société et sur les individus qui la composent. (…)

Les politiciens se sont moulés à ce même discours dominant. Il suffit d’analyser les prises de position actuelles pour constater l’ampleur de ce phénomène. C’est comme si toutes les décisions à prendre passaient par le même filtre. Il est rare que les politiciens adoptent un discours différent. Et quand ils le font, ils sont généralement assez timides. Quand certains s’y aventurent, ils sont déclarés irresponsables. C’est comme si le fait d’avoir des convictions différentes de celles véhiculées par le discours dominant entraînait directement l’irresponsabilité. Une société qui se ferme à l’exploration de nouvelles options est menacée d’entropie.

Cette adoption aveugle du discours dominant est le signe d’une profonde insécurité chez les décideurs. Dans les périodes d’insécurité, la tendance est de se raccrocher au connu et de développer de nouveaux conformismes. Au lieu d’explorer de nouvelles avenues, ils remanient sans cesse le même discours. (…)

Au cours des périodes troubles, les véritables problèmes se manifestent dans toute leur acuité. Mais les décideurs ont souvent les mains liées, tant par les influences extérieures que par l’architecture des valeurs dominantes. (…)

Notre société qui vacille a un urgent besoin de nouveaux leaders. Ils devront venir de tous les milieux de l’activité humaine et non uniquement de la classe politique. (…) Traditionnellement, le leader est celui qui a un pouvoir de commandement, qui indique la voie à suivre. (…) Ici, j’introduis un autre style de leadership, celui qui transforme parce qu’il inspire. (…) C’est un leadership de soutien. (…) C’est un pouvoir d’influence sans attente de résultats.

Cette approche de l’intervention remet fondamentalement en question le fait que nous devions toujours poursuivre des objectifs prédéterminés, ceux-ci étant trop rigoureux pour suivre le mouvement naturel de la vie. Il peut y avoi refficience sans poursuite d’objectifs prédéterminés et univoques. (…)

Le leader transformationnel influence parce qu’il est, mais il ne se présente pas comme l’exemple à suivre. Il refuse le dogmatisme. Il rejette les voies uniques. Il propose des directions, mais il laisse à l’autre le pouvoir de la décision. Il suscite, mais il relativise. Il souient ses idées et ses valeurs, mais il ne les impose pas, tout comme il ne veut pas que les autres lui en imposent. Il prend position, mais il admet qu’elle est une possibilité parmi d’autres. Il agit mais sans perdre de vue le cadre de référence qu’il a choisi.

Source: PAQUETTE, Claude, Des idées d’avenir pour un monde qui vacille, Québec Amérique, 1992, 358 pages.

Image: Extrait de la couverture.

Le temps des claviers

It’s Not About Tuition Any More — c’était la une du Globe and Mail de ce matin. Avec pour illustration une grande fleur de lys composée de petits carrés rouges.

La une nous invitait à lire un dossier sur la situation politique au Québec dans le cahier Focus, — dont le titre, composé de lettres immenses, était:

Quebec’s Defining Moment

L’angle choisi pour les articles:

«… [the situation] leaves people in Quebec and across Canada wondering not only what will happen next but also what lasting impact the dispute will have on the future of the province and that of the nation».

Loin du catastrophisme et de la couverture de faits divers, le journal nous offrait une analyse sociologique, particulièrement intéressante pour comprendre l’image du conflit qui est offerte au reste du Canada.

Un autre article, signé Simon Houpt, dans la section Arts, abordait également le conflit, sous l’angle des « deux solitudes » linguistiques.

What the printemps érable really means

J’y ai découvert l’existence du projet Translating the printemps érable:

« Translating the printemps érable is a volunteer collective attempting to balance the English media’s extremely poor coverage of the student conflict in Québec by translating media that has been published in French into English. »

C’est un projet collectif, bénévole, qui s’appuie sur les réseaux sociaux, sur l’utilisation de Google Docs, et sur Tumblr. Un projet remarquable qui, je pense, préfigure justement de quelle façon les règles du jeu politique sont en train de se transformer en profondeur — et que c’est probablement ces bouleversements qui constitueront le plus important l’héritage de la crise actuelle; celui dont l’influence se prolongera, et qui me fait espérer que c’est un tout nouveau cycle politique qui est actuellement en train de se mettre en place.

Je pense de plus en plus qu’on est tout juste en train de se retrousser les manches.

Je pense qu’on est seulement en train de se prouver qu’on peut aborder les questions sociales sous d’autres angles que ceux qui nous sont imposés depuis dix ou vingt ans; et de se souvenir que l’économie doit être au service de la société et des citoyens, pas l’inverse.

Il fallait d’abord se réapproprier l’espace public. On est là-dedans. Il faut aussi se réapproprier le vocabulaire politique — réapprendre à dire nos aspirations. On commence tout juste: on se choque, on crie, on sacre… on marque une rupture.

Il restera ensuite à trouver, rapidement, comment inventer, concrètement, le monde / le pays auquel on aspire — et que les manifestation ne permettent de décrire que de façon très impressionniste — et très vertueuse.

La prochaine étape devra être celle des propositions.

Après le temps des casseroles, ce sera celui des claviers.

Parce que nous savons lire

« Permettez-moi d’insister: nous sommes libres de savoir, de comprendre, de choisir et d’agir. Parce que nous savons lire et que nous lisons.

Nous sommes des êtres de culture ET de choix. Parce que nous savons lire et que nous lisons. Rien ne garantit que nous fassions les bons choix, mais comme nous lisons, nous choisissons, nous décidons.  »

Claude Ponti, Livre libre lecteur électeur, dans Lire est le propre de l’homme — De l’enfant lecteur au libre électeur, l’école des loisirs, 2011

Voyager

— Pas encore disponible, devrait paraître en janvier. 

J’avais oublié. Jusqu’à aujourd’hui.

Fin de journée. Fatigué. Je passe par le kiosque à journaux. Pour me faire un cadeau. Le Monde, édition du vendredi. À lire calmement dans le fauteuil rouge de ma chambre d’hôtel, après une longue journée de délibérations.

À la une du Monde des livres je lis: Comment parler des lieux où on a pas été? Il est donc paru. Fin janvier, ça y est!

Le titre du livre est, à lui seul, suffisant pour me faire tomber sous le charme. Je l’achète en quelques clics — hop, dans mon iPhone— après  avoir lu les deux textes qui lui sont consacrés:

Pierre Bayard, voyageur casanier — par Enrique Vila-Matas.

« … un livre où apparaît l’hypothèse qu’il est plus facile de parler savamment et avec de plus larges connaissances d’un lieu où l’on est pas allé que de parler de lui après avoir fait la bêtise de le visiter. »

Comment faire lire un paranoïaque? — par Jean Birnbaum.

* * *

Une citation me frappe particulièrement au terme de ma journée. Elle est d’Enrique Vila-Matas:

« Quant à ma manière préférée de voyager, je dirai simplement que, très souvent, sans bouger de chez moi, j’écris au préalable ce que je vais vivre dans le voyage le plus immédiat que j’ai en vue et que, arrivé à mon point de chute, j’essaie — en général avec succès — de vivre ce que j’ai écrit »

Cela correspond en effet assez bien à la conception que je me fais d’un projet de société — et du travail qui précède sa réalisation.

* * *

Je vous en ai parlé.

Il ne me reste donc plus qu’à le lire:

Comment parler des lieux où on a pas été?

de Pierre Bayard, aux Éditions de Minuit.

Pour sortir de la fermeture de MegaUpload

Merci André Cotte qui m’a fait découvrir le texte de Lionel Maurel qui a le grand mérite de nous sortir du manichéisme auquel la couverture médiatique nous a habitué au cours des derniers jours en rapport avec la fermeture de MegaUpload.

Une autre photo de la guerre du Web

« Ce que [cela révèle] c’est avant tout un profond désarroi face aux évolutions du numérique et une difficulté à penser un modèle économique adapté aux nouveaux usages en ligne. »

Je me réjouis personnellement de la fermeture de MegaUpload. Mais je pense — surtout — que la défense de nos valeurs est plus efficace que de prendre la défense de criminels qui se drapent dans les valeurs des autres.

Je vous invite à lire ce texte, pas forcément parce que je partage tous les points de vue développés par l’auteur, mais parce qu’il nous invite habilement à la réflexion.

Je retiens aussi la pétition des fabricants de chandelles, qui est particulièrement amusante…