Sortir de sa bulle

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J’ai eu plusieurs rétroactions positives des actions proposées dans mon texte d’hier — dans l’esprit des échanges du 17e vendredi sandwich.

Je vais explorer dans les prochains jours les moyens de proposer  de façon plus régulière des actions de ce type (une  responsabilité qui pourrait éventuellement être partagée). En d’autres mots: comment mettre en place quelque chose qui stimulerait l’engagement (sans tomber dans l’engagement-en-un-clic, auquel je ne crois pas).

Pour aujourd’hui, j’ai envie de saluer le travail du Devoir avec sa série Pour sortir de sa bulle.

«Comment sortir de ses propres ornières politiques et médiatiques quand on parle de Donald Trump? Ornières d’autant plus fortes à l’ère des réseaux sociaux et des algorithmes qui s’ajustent à nos opinions. À la manière de la série « Burst Your Bubble » du Guardian, Le Devoir vous propose trois textes pour sortir de votre bulle.»

C’est dans le contexte de l’élection de Donald Trump aux États-Unis que la série a vu le jour et je trouve que la formule mériterait d’être reprise pour plusieurs autres sujets — même (pourquoi pas?) par un partage de textes à l’intérieur du cercle des médias québécois.

ACTION: j’ai envoyé un courriel à la rédaction du Devoir pour les encourager à poursuivre la série et explorer la possibilité de la pousser même un peu plus loin. L’adresse est ici.

Électro-politique

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Ça faisait longtemps qu’on n’était pas sorti le dimanche soir. Il a fallu se botter le derrière un peu pour sortir du divan, mais une fois rendu à l’Impérial, on n’a pas regretté de l’avoir fait. Wax Tailor était en grande forme pour le premier spectacle de sa tournée nord-américaine et on s’est couché porté par une très bonne énergie.

C’est encore porté par ses rythmes, et par la magnifique voix de Charlotte Savary, que j’ai lu Le Devoir de ce matin à bord du train vers Montréal.

Deux articles ont particulièrement retenu mon attention.

***

Le premier, Guerre de tranchées politique, présente une analyse d’un nouveau sondage Léger. Deux extraits:

«Il y a beaucoup de partis qui se battent pour la même tarte, et tout le monde est un peu figé à travers le temps. On peut se demander si ça ne va pas prendre un phénomène spectaculaire en politique québécoise [pour créer un changement].»

Ça renforce ma conviction que ce n’est pas la stratégie et les calculs politiques qui permettront de gagner la prochaine élection. Ce seront des idées qui interpellent, des propositions ambitieuses, et des projets mobilisateurs.

C’est ça qu’il faudra garder en tête dans les prochains mois quand on débattra du contenu de la Proposition principale (version pdf, plateforme de consultation) pour en faire le prochain programme officiel du Parti Québécois.

Il faudra oser aller toujours un peu plus loin que notre prudence, notre réflexe le commanderait. Oser aller au bout de nos idées. Sortir de nos zones de conforts.

C’est seulement en osant sortir des sentiers battus que nous pourront mériter le privilège de former à nouveau un gouvernement.

«S’il y a une baisse de satisfaction envers le gouvernement, le PQ sera le dernier à en bénéficier. C’est-à-dire que, quand il y a un gouvernement libéral, si le PQ n’est pas la seule alternative, tous ceux qui vont quitter le navire libéral iront ailleurs. »

Il faut se le répéter, tous les jours. Il faut bien sûr assumer notre rôle d’opposition officielle et critiquer le travail du gouvernement, mais qu’il ne faut pas se laisser distraire par ça non plus. Ce n’est pas ce qui nous fera gagner. Pas plus que la dénonciation continuelle et de plus en plus dure des agissements de Donald Trump n’a aidé les Démocrates à convaincre un nombre suffisant d’États-uniens de voter pour eux.

***

Le deuxième article, Au laboratoire de nos angoisses existentielles, aborde les effets psychologiques de la transformation accélérée de la société sous l’influence du numérique — en particulier de l’automatisation et de la robotisation.

Ça peut paraître comme un sujet sans rapport direct avec celui du premier article, mais je pense que c’est beaucoup plus lié qu’il ne paraît.

Les effets du développement des technologies numériques deviennent de plus en plus évidents. De plus en plus envahissant même. Les gens le sentent bien — même s’ils ne sont pas forcément en mesure de le verbaliser aussi clairement.

Je pense qu’ils sentent aussi que les femmes et les hommes politiques qui sollicitent leur confiance pour diriger l’État n’y comprennent pas grand-chose et que, sur ces sujets, ils sont pas mal tous interchangeables, alors tsé…

Quand tu crois que le monde politique ne comprend pas (pire: ne s’intéresse pas vraiment) à certaines des forces les plus puissantes qui transforment la société — pour le meilleur et pour le pire — c’est un peu normal de perdre de l’intérêt.

Je fais l’hypothèse que ce sont les candidats qui seront les plus crédibles pour parler de l’influence des technologies sur l’avenir du Québec qui seront élus en 2018.

Vaste chantier.

Trump et La République

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En ouvrant Facebook ce matin, mon attention a été attirée sur cette courte vidéo choc qui plonge dans La République de Platon pour nous inviter à réfléchir au contexte de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis.

— C’est presque trop fort pour être vrai, me suis-je dit… mais c’est sur le site de la BBC, alors…

Alors j’ai pris note de faire quelques recherches plus tard dans la journée pour documenter ça un peu plus. Et je passe à autre chose.

Passant dans le salon après avoir complété la lecture des journaux, je constate que Ana est  plongée dans La République, à partir de l’exemplaire que nous avons étudié au cégep. J’éclate de rire!

— Tu as vu la vidéo toi aussi?

Elle éclate de rire à son tour.

On a donc commencé la fin de semaine en faisant une petite heure de philosophie ensemble — en s’étonnant que le passage du texte auquel la vidéo fait référence ne semble pas exister sur le web dans une version structurée pour faciliter la lecture.

Je suis donc parti d’une version tirée de ce site, pour en faire l’adaptation ci-dessous. C’est moi qui ai ajouté les intertitres, que j’ai puisé dans le texte.

Il n’y a pas à dire, ça invite à la réflexion.

Bonne lecture!

***

LA RÉPUBLIQUE (livre VIII, de 562 à la fin)

La tyranie vient de la démocratie

— Or çà! mon cher camarade, voyons sous quels traits se présente la tyrannie, car, quant à son origine, il est presque évident qu’elle vient de la démocratie.
— C’est évident.
Maintenant, le passage de la démocratie à la tyrannie ne se fait-il de la même manière que celui de l’oligarchie à la démocratie.
— Comment?
— Le bien que l’on se proposait, répondis-je, et qui a donné naissance à l’oligarchie, c’était la richesse, n’est-ce pas?
— Oui
— Or c’est la passion insatiable de la richesse et l’indifférence qu’elle inspire pour tout le reste qui ont perdu ce gouvernement.
— C’est vrai, dit-il.
— Mais n’est-ce pas le désir insatiable de ce que la démocratie regarde comme son bien suprême qui perd cette dernière?
— Quel bien veux-tu dire?
— La liberté, répondis-je. En effet, dans une cité démocratique tu entendras dire que c’est le plus beau de tous les biens, ce pourquoi un homme né libre ne saurait habiter ailleurs que dans cette cité.
— Oui, c’est un langage qu’on entend souvent.
— Or donc – et voilà ce que j’allais dire tout à l’heure – n’est-ce pas le désir insatiable de ce bien, et l’indifférence pour tout le reste, qui change ce gouvernement et le met dans l’obligation de recourir à la tyrannie?
— Comment? demanda-t-il.
— Lorsqu’une cité démocratique, altérée de liberté, trouve dans ses chefs de mauvais échansons, elle s’enivre de ce vin pur au delà de toute décence; alors, si ceux qui la gouvernent ne se montrent pas tout à fait dociles et ne lui font pas large mesure de liberté, elle les châtie, les accusant d’être des criminels et des oligarques.
— C’est assurément ce qu’elle fait, dit-il.
— Et ceux qui obéissent aux magistrats, elle les bafoue et les traite d’hommes serviles et sans caractère; par contre, elle loue et honore, dans le privé comme en public, les gouvernants qui ont l’air de gouvernés et les gouvernés qui prennent l’air de gouvernants. N’est-il pas inévitable que dans une pareille cité l’esprit de liberté s’étende à tout?
— Comment non, en effet?

L’excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude

— Qu’il pénètre, mon cher, dans l’intérieur des familles, et qu’à la fin l’anarchie gagne jusqu’aux animaux?
— Qu’entendons-nous par là? demanda-t-il.
— Que le père s’accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s’égale à son père et n’a ni respect ni crainte pour ses parents, parce qu’il veut être libre, que le métèque devient l’égal du citoyen, le citoyen du métèque et l’étranger pareillement.
— Oui, il en est ainsi, dit-il.
— Voilà ce qui se produit, repris-je, et aussi d’autres petits abus tels que ceux-ci. Le maître craint ses disciples et les flatte, les disciples font peu de cas des maîtres et des pédagogues. En général les jeunes gens copient leurs aînés et luttent avec eux en paroles et en actions; les vieillards, de leur côté, s’abaissent aux façons des jeunes gens et se montrent pleins d’enjouement et de bel esprit, imitant la jeunesse de peur de passer pour ennuyeux et despotiques.
— C’est tout à fait cela.
— Mais, mon ami, le terme extrême de l’abondance de liberté qu’offre un pareil État est atteint lorsque les personnes des deux sexes qu’on achète comme esclaves ne sont pas moins libres que ceux qui les ont achetées. Et nous allions presque oublier de dire jusqu’où vont l’égalité et la liberté dans les rapports mutuels des hommes et des femmes.
— Mais pourquoi ne dirions-nous pas, observa-t-il, selon l’expression d’Eschyle, « ce qui tantôt nous venait à la bouche?»
— Fort bien, répondis-je, et c’est aussi ce que je fais. A quel point les animaux domestiqués par l’homme sont ici plus libres qu’ailleurs est chose qu’on ne saurait croire quand on ne l’a point vue. En vérité, selon le proverbe, les chiennes y sont bien telles que leurs maîtresses; les chevaux et les ânes, accoutumés à marcher d’une allure libre et fière, y heurtent tous ceux qu’ils rencontrent en chemin, si ces derniers ne leur cèdent point le pas. Et il en est ainsi du reste : tout déborde de liberté.
— Tu me racontes mon propre songe, dit-il, car je ne vais presque jamais à la campagne que cela ne m’arrive.
— Or, vois-tu le résultat de tous ces abus accumulés? Conçois-tu bien qu’ils rendent l’âme des citoyens tellement ombrageuse qu’à la moindre apparence de contrainte ceux-ci s’indignent et se révoltent? Et ils en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s’inquiéter des lois écrites ou non écrites, afin de n’avoir absolument aucun maître.
— Je ne le sais que trop, répondit-il.
— Eh bien ! mon ami, repris-je, c’est ce gouvernement si beau et si juvénile qui donne naissance à la tyrannie, du moins à ce que je pense.
— Juvénile, en vérité ! dit-il; mais qu’arrive-t-il ensuite?
— Le même mal, répondis-je, qui, s’étant développé dans l’oligarchie, a causé sa ruine, se développe ici avec plus d’ampleur et de force, du fait de la licence générale, et réduit la démocratie à l’esclavage; car il est certain que tout excès provoque ordinairement une vive réaction, dans les saisons, dans les plantes, dans nos corps, et dans les gouvernements bien plus qu’ailleurs.
— C’est naturel.
—Ainsi, l’excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude, et dans l’individu et dans l’État.
— Il le semble, dit-il.
— Vraisemblablement, la tyrannie n’est donc issue d’aucun autre gouvernement que la démocratie, une liberté extrême étant suivie, je pense, d’une extrême et cruelle servitude.
— C’est logique.

Partageons par la pensée une cité démocratique en trois classes

— Mais ce n’est pas cela, je crois, que tu me demandais.
—Tu veux savoir quel est ce mal, commun à l’oligarchie et à la démocratie, qui réduit cette dernière à l’esclavage.
— C’est vrai
— Eh bien ! j’entendais par là cette race d’hommes oisifs et prodigues, les uns plus courageux qui vont à la tête, les autres, plus lâches qui suivent. — Nous les avons comparés à des frelons, les premiers munis, les seconds dépourvus d’aiguillon.
— Et avec justesse, dit-il.
— Or, ces deux espèces d’hommes, quand elles apparaissent dans un corps politique, le troublent tout entier, comme font le phlegme et la bile dans le corps humain. Il faut donc que le bon médecin et législateur de la cité prenne d’avance ses précautions, tout comme le sage apiculteur, d’abord pour empêcher qu’elles y naissent, ou, s’il n’y parvient point, pour les retrancher le plus vite possible avec les alvéoles mêmes.
— Oui, par Zeus ! s’écria-t-il, c’est bien là ce qu’il faut faire.
— Maintenant, repris-je, suivons ce procédé pour voir plus nettement ce que nous cherchons.
— Lequel?
— Partageons par la pensée une cité démocratique en trois classes, qu’elle comprend d’ailleurs en réalité. La première est cette engeance, qui par suite de la licence publique ne s’y développe pas moins que dans l’oligarchie.
— C’est vrai.
— Seulement elle y est beaucoup plus ardente.
— Pour quelle raison?
— Dans l’oligarchie, dépourvue de crédit et tenue à l’écart du pouvoir, elle reste inexercée et ne prend point de force; dans une démocratie, au contraire, c’est elle qui gouverne presque exclusivement; les plus ardents de la bande discourent et agissent; les autres, assis auprès de la tribune, bourdonnent et ferment la bouche au contradicteur; de sorte que, dans un tel gouvernements toutes les affaires sont réglées par eux, à l’exception d’un petit nombre.
— C’est exact, dit-il.
— Il y a aussi une autre classe qui se distingue toujours de la multitude.
— Laquelle?
— Comme tout le monde travaille à s’enrichir, ceux qui sont naturellement les plus ordonnés deviennent, en général, les plus riches.
— Apparemment.
— C’est là, j’imagine, que le miel abonde pour les frelons et qu’il est le plus facile à exprimer.
— Comment, en effet, en tirerait-on de ceux qui n’ont que peu de chose?
— Aussi est-ce à ces riches qu’on donne le nom d’herbe à frelons?
— Oui, un nom de ce genre, répondit-il.
— La troisième classe c’est le peuple : tous ceux qui travaillent de leurs mains, sont étrangers aux affaires, et ne possèdent presque rien. Dans une démocratie cette classe est la plus nombreuse et la plus puissante lorsqu’elle est assemblée.
— En effet, dit-il; mais elle ne s’assemble guère, à moins qu’il ne lui revienne quelque part de miel.
— Aussi bien lui en revient-il toujours quelqu’une, dans la mesure où les chefs peuvent s’emparer de la fortune des possédants et la distribuer au peuple, tout en gardant pour eux la plus grosse part.
— Certes, c’est ainsi qu’elle reçoit quelque chose.
— Cependant, les riches qu’on dépouille sont, je pense, obligés de se défendre : ils prennent la parole devant le peuple et emploient tous les moyens qui sont en leur pouvoir.
— Sans doute.
— Les autres, de leur côté, les accusent, bien qu’ils ne désirent point de révolution, de conspirer contre le peuple et d’être des oligarques.
— Assurément.
— Or donc, à la fin, lorsqu’ils voient que le peuple, non par mauvaise volonté mais par ignorance, et parce qu’il est trompé par leurs calomniateurs, essaie de leur nuire, alors, qu’ils le veuillent ou non, ils deviennent de véritables oligarques; et cela ne se fait point de leur propre gré : ce mal, c’est encore le frelon qui l’engendre en les piquant.
— Certes !
— Dès lors ce sont poursuites, procès et luttes entre les uns et les autres.
— Sans doute.
— Maintenant, le peuple n’a-t-il pas l’invariable habitude de mettre à sa tête un homme dont il nourrit et accroît la puissance?
— C’est son habitude, dit-il.
— Il est donc évident que si le tyran pousse quelque part, c’est sur la racine de ce protecteur et non ailleurs qu’il prend tige.
— Tout à fait évident.

De protecteur du peuple à tyran accompli

— Mais où commence la transformation du protecteur en tyran? N’est-ce pas évidemment lorsqu’il se met à faire ce qui est rapporté dans la fable du temple de Zeus Lycéen en Arcadie?
— Que dit la fable? demanda-t-il.
— Que celui qui a goûté des entrailles humaines, coupées en morceaux avec celles d’autres victimes, est inévitablement changé en loup. Ne l’as-tu pas entendu raconter?
— Si.
— De même, quand le chef du peuple, assuré de l’obéissance absolue de la multitude, ne sait point s’abstenir du sang des hommes de sa tribu, mais, les accusant injustement, selon le procédé favori de ses pareils, et les traînant devant les tribunaux, se souille de crimes en leur faisant ôter la vie, quand, d’une langue et d’une bouche impies, il goûte le sang de sa race, exile et tue, tout en laissant entrevoir la suppression des dettes et un nouveau partage des terres, alors, est-ce qu’un tel homme ne doit pas nécessairement, et comme par une loi du destin, périr de la main de ses ennemis, ou se faire tyran, et d’homme devenir loup?
— Il y a grande nécessité, répondit-il.
— Voilà donc, repris-je, l’homme qui fomente la sédition contre les riches.
— Oui.
— Or, si après avoir été chassé, il revient malgré ses ennemis, ne revient-il pas tyran achevé?
— Evidemment.
— Mais si les riches ne peuvent le chasser, ni provoquer sa perte en le brouillant avec le peuple, ils complotent de le faire périr en secret, de mort violente.
— Oui, dit-il, cela ne manque guère d’arriver.
— C’est en pareille conjoncture que tous les ambitieux qui en sont venus là inventent la fameuse requête du tyran, qui consiste à demander au peuple des gardes de corps pour lui conserver son défenseur.
— Oui vraiment.
— Et le peuple en accorde, car s’il craint pour son défenseur, il est plein d’assurance pour lui-même.
—  Sans doute.
— Mais quand un homme riche et par là-même suspect d’être l’ennemi du peuple voit cela, alors, ô mon camarade, il prend le parti que l’oracle conseillait à Crésus, et « le long de l’Hermos au lit caillouteux il fuit, n’ayant souci d’être traité de lâche. »
— Et aussi bien n’aurait-il pas à craindre ce reproche deux fois !
— Et s’il est pris dans sa fuite, j’imagine qu’il est mis à mort.
— Inévitablement.
— Quant à ce protecteur du peuple, il est évident qu’il ne gît point à terre «de son grand corps couvrant un grand espace soi. », au contraire, après avoir abattu de nombreux rivaux, il s’est dressé sur le char de la cité, et de protecteur il est devenu tyran accompli.
— Ne fallait-il pas s’y attendre?

Susciter des guerres, pour que le peuple ait besoin d’un chef

— Examinons maintenant, repris-je, le bonheur de cet homme et de la cité on s’est formé un semblable mortel.
— Parfaitement, dit-il, examinons.
— Dans les premiers jours, il sourit et fait bon accueil à tous ceux qu’il rencontre, déclare qu’il n’est pas un tyran, promet beaucoup en particulier et en public, remet des dettes, partage des terres au peuple et à ses favoris, et affecte d’être doux et affable envers tous, n’est-ce pas?
— II le faut bien, répondit-il.
— Mais quand il s’est débarrassé de ses ennemis du dehors, en traitant avec les uns, en ruinant les autres, et qu’il est tranquille de ce côté, il commence toujours par susciter des guerres, pour que le peuple ait besoin d’un chef.
— C’est naturel.
— Et aussi pour que les citoyens, appauvris par les impôts, soient obligés de songer à leurs besoins quotidiens, et conspirent moins contre lui.
— Evidemment.
— Et si certains ont l’esprit trop libre pour lui permettre de commander, il trouve dans la guerre, je pense, un prétexte de les perdre, en les livrant aux coups de l’ennemi. Pour toutes ces raisons, il est inévitable qu’un tyran fomente toujours la guerre.
— Inévitable.
— Mais ce faisant, il se rend de plus en plus odieux aux citoyens.
— Comment non?

L’obligation de vivre avec des gens méprisables ou de renoncer à la vie

— Et n’arrive-t-il pas que, parmi ceux qui ont contribué à son élévation, et qui ont de l’influence, plusieurs parlent librement soit devant lui, soit entre eux, et critiquent ce qui se passe- du moins les plus courageux?
— C’est vraisemblable.
— Il faut donc que le tyran s’en défasse, s’il veut rester le maître, et qu’il en vienne à ne laisser, parmi ses amis comme parmi ses ennemis, aucun homme de quelque valeur.
— C’est évident.
— D’un oeil pénétrant il doit discerner ceux qui ont du courage, de la grandeur d’âme, de la prudence, des richesses; et tel est son bonheur qu’il est réduit, bon gré mal gré, à leur faire la guerre à tons, et à leur tendre des pièges jusqu’à ce qu’il en ait purgé l’État !
— Belle manière de le purger !
— Oui, dis-je, elle est à l’opposé de celle qu’emploient les médecins pour purger le corps; ceux-ci en effet font disparaître ce qu’il y a de mauvais et laissent ce qu’il y a de bon : lui fait le contraire.
— Il y est contraint, s’il veut conserver le pouvoir.
— Le voilà donc lié par une bienheureuse nécessité, qui l’oblige à vivre avec des gens méprisables ou à renoncer à la vie !
— Telle est bien sa situation, dit-il.
— Or, n’est-il pas vrai que plus il se rendra odieux aux citoyens par sa conduite, plus il aura besoin d’une garde nombreuse et fidèle?
— Sans doute.
— Mais quels seront ces gardiens fidèles? D’où les fera-t-il venir?
— D’eux-mêmes, répondit-il, beaucoup voleront vers lui, s’il leur donne salaire.
— Par le chien ! il me semble que tu désignes là des frelons étrangers, et de toutes sortes.
— Tu as vu juste.
— Mais de sa propre cité qui aura-t-il? Est-ce qu’il ne voudra pas…
— Quoi?
— Enlever les esclaves aux citoyens et, après les avoir affranchis, les faire entrer dans sa garde.
— Certainement. Et aussi bien ce seront là ses gardiens les plus fidèles.
— En vérité, d’après ce que tu dis, elle est bienheureuse la condition du tyran, s’il prend de tels hommes pour amis et confidents, après avoir fait mourir les premiers !
— Et pourtant il ne saurait en prendre d’autres.
— Donc, ces camarades l’admirent, et les nouveaux citoyens vivent en sa compagnie. Mais les honnêtes gens le haïssent et le fuient, n’est-ce pas?
— Hé! peuvent-ils faire autrement?
— Ce n’est donc pas sans raison que la tragédie passe, en général, pour un art de sagesse, et Euripide pour un maître extraordinaire en cet art.
— Pourquoi donc?
— Parce qu’il a énoncé cette maxime de sens profond, à savoir « que les tyrans deviennent habiles par le commerce des habiles»; et il entendait évidemment par habiles ceux qui vivent dans la compagnie du tyran.
— Il loue aussi, ajouta-t-il, la tyrannie comme divine et lui décerne bien d’autres éloges, lui et les autres poètes.
— Ainsi donc, en tant que gens habiles, les poètes tragiques nous pardonneront, à nous et à ceux dont le gouvernement se rapproche du nôtre, de ne point les admettre dans notre État, puisqu’ils sont les chantres de la tyrannie.
— Je crois, dit-il, qu’ils nous pardonneront, du moins ceux d’entre eux qui ont de l’esprit.
— Ils peuvent, je pense, parcourir les autres cités, y rassembler les foules, et, prenant à gages des voix belles, puissantes et insinuantes, entraîner les gouvernements vers la démocratie et la tyrannie.
— Sûrement.
— D’autant plus qu’ils sont payés et comblés d’honneurs pour cela, en premier lieu par les tyrans, en second lieu par les démocraties; mais à mesure qu’ils remontent la pente des constitutions, leur renommée faiblit, comme si le manque de souffle l’empêchait d’avancer.
— C’est exact.

Si le peuple se fâche…

— Mais, repris-je, nous nous sommes écartés du sujet. Revenons-en à l’armée du tyran, cette troupe belle, nombreuse, diverse, et toujours renouvelée, et voyons comment elle est entretenue.
— Il est évident, dit-il, que si la cité possède des trésors sacrés, le tyran y puisera, et tant que le produit de leur vente pourra suffire, il n’imposera pas au peuple de trop lourdes contributions.
Mais quand ces ressources lui manqueront?
— Alors, il est évident qu’il vivra du bien de son père, lui, ses commensaux, ses favoris et ses maîtresses.
— Je comprends, dis-je : le peuple qui a donné naissance au tyran le nourrira, lui et sa suite.
— Il y sera bien obligé.
— Mais que dis-tu? Si le peuple se fâche et prétend qu’il n’est point juste qu’un fils dans la fleur de l’âge soit à la charge de son père, qu’au contraire, le père doit être nourri par son fils; qu’il ne l’a point mis au monde et établi pour devenir lui-même, quand son fils serait grand, l’esclave de ses esclaves, et pour le nourrir avec ces esclaves-là et le ramassis de créatures qui l’entourent, mais bien pour être délivré, sous son gouvernement, des riches et de ceux qu’on appelle les honnêtes gens dans la cité; que maintenant il lui ordonne de sortir de l’État avec ses amis, comme un père chasse son fils de la maison, avec ses indésirables convives…
— Alors, par Zeus! il connaîtra ce qu’il a fait quand il a engendré, caressé, élevé un pareil nourrisson, et que ceux qu’il prétend chasser sont plus forts que lui.
— Que dis-tu? m’écriai-je, le tyran oserait violenter son père, et même, s’il ne cédait pas, le frapper?
— Oui, répondit-il, après l’avoir désarmé.
— D’après ce que tu dis le tyran est un parricide et un triste soutien des vieillards; et nous voilà arrivés, ce semble, à ce que tout le monde appelle la tyrannie ; le peuple, selon le dicton, fuyant la fumée de la soumission à des hommes libres, est tombé dans le feu du despotisme des esclaves, et en échange d’une liberté excessive et inopportune, a revêtu la livrée de la plus dure et la plus amère des servitudes,
— C’est, en effet, ce qui arrive,
— Eh bien ! demandai-je, aurions-nous mauvaise grâce à dire que nous avons expliqué de façon convenable le passage de la démocratie à la tyrannie, et ce qu’est celle-ci une fois formée?
— L’explication convient parfaitement, répondit-il.

***

Voiture autonome: une opportunité pour le Québec (si…)

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Je m’intéresse de plus en plus aux enjeux associés au développement des voitures autonomes. Enjeux technologiques, bien sûr, enjeux éthiques, aussi — et en particulier à tous les impacts sur l’aménagement des milieux de vie.
L’article que Florence Sara G. Ferraris signe à ce sujet dans Le Devoir d’aujourd’hui est intéressant à plusieurs égards.

Intitulé Une révolution qui pourrait sauver des vies, le texte adopte un ton positif sur la voiture autonome:

«Dans cette logique, retirer l’être humain de derrière le volant pour le remplacer par une technologie de pointe pourrait faire chuter drastiquement le nombre d’accidents répertoriés.»

«…une commercialisation massive des véhicules autonomes pourrait, à terme, faire économiser très gros aux gouvernements du monde entier.»

«Surtout, note-t-il, le programme se perfectionne à mesure qu’on l’utilise. Plus encore, parce qu’il est connecté par Internet aux autres Tesla qui circulent dans le monde, il bénéficie des expériences de conduite des autres.»

C’est toutefois la conclusion du texte qui m’interpelle le plus, parce qu’elle témoigne d’une façon d’aborder les changements technologiques qui est beaucoup trop répandue au Québec: observer, attendre et s’adapter quand il ne sera plus possible de faire autrement.

«Au Québec, des changements majeurs devront encore être apportés au Code de la sécurité routière et à la Loi sur l’assurance automobile avant que des véhicules autonomes puissent circuler sur nos routes. Interrogée sur la question, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) précise toutefois qu’aucun changement n’est prévu dans un avenir rapproché. « Nous sommes vigilants, assure le porte-parole de la SAAQ Mario Vaillancourt, mais rien ne nous indique, pour le moment, que des modifications, seront, ou devront, être apportées rapidement. »»

Il faut rapidement changer cet état d’esprit: être vigilant, ça veut aussi dire de porter attention aux opportunités qui accompagnent le développement d’une nouvelle technologie. On doit apprendre à voir l’évolution des technologies d’abord et avant tout comme des opportunités; plus que comme des menaces.

Dans le cas des véhicules autonomes, par exemple, il me semble qu’on devrait faire du Québec un lieu privilégié d’expérimentation. On devrait accueillir à bras ouverts les fabricants — pour qui l’hiver représente un défi évident. Un défi qu’il faudra bien qu’ils relèvent si nous souhaitons pouvoir, nous aussi, profiter pleinement des véhicules autonomes.

On pourrait évidemment mettre en place des incitatifs financiers, comme on l’a fait avec plusieurs autres industries dans le passé. Mais on pourrait surtout créer un environnement politique, législatif et réglementaire particulièrement favorable.

  • On pourrait donner accès aux voies réservées aux véhicules autonomes;
  • On pourrait annoncer notre intention de rendre les moyens de transports collectifs autonomes sur une période de dix ou quinze ans;
  • On pourrait équiper le mobilier urbain de tous les équipements utiles pour que les véhicules se coordonnent plus efficacement entre eux — et avec la réalité urbaine;
  • On pourrait s’engager à ce que toute nouvelle infrastructure routière soit spécialement conçue de manière à favoriser le passage des véhicules autonomes;
  • On pourrait rassembler des conditions particulièrement attirantes pour les entrepreneurs de cette nouvelle ruée vers l’or;
  • etc.

Il faut que le Québec fasse rapidement la démonstration qu’il est non seulement ouvert aux véhicules autonomes, mais qu’il est intéressé à jouer un rôle de premier plan dans leur développement — en particulier pour ce qui concerne les conditions hivernales.

Il faut évidemment aussi, en parallèle, trouver des moyens pour que l’automatisation n’ait pas pour effet d’ajouter encore des véhicules sur les routes.

Il faudra être ingénieux pour explorer les possibilités de partage des véhicules autonomes, de manière à optimiser l’utilisation des automobiles — qui restent très polluantes (même quand elles sont électriques) et très coûteuses. C’est d’ailleurs la principale source d’appauvrissement de la population en Amérique du Nord, comme nous le rappelle fréquemment, avec raison, Alexandre Taillefer.

C’est un des défis importants auquel nous aurons à faire face dans les prochaines années

Si on ne joue pas un rôle actif dans le processus d’innovation, il ne faudra pas se surprendre que les technologies soient ultimement conçues en fonction des réalités et des intérêts des autres…

Je pense qu’on peut faire mieux. Qu’on doit faire mieux.

En complément: un texte précédent, en écho à une entrevue avec Michel Dallaire, dans laquelle il est abondamment question de voiture autonome: Ville, technologie, démocratie.

Faire confiance aux images?

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La manipulation de l’information est un enjeu de plus en plus important pour la démocratie. Ce n’est pas banal quand on se met à parler fréquemment d’ère post-factuelle et de l’apparition des démocratures. On n’est pas sorti du bois: c’est le moins que l’on puisse dire!

Comment réagirons-nous quand nous ne pourrons plus croire aucune photo ni aucune vidéo? Parce que la fin de la prétendue objectivité de l’image est sur le point de sonner — elle qui ne tenait, au fond, qu’à la difficulté de modifier des images sans que cela soit évident.

Dans le texte L’avenir de la désinformation, Hubert Guillaud illustre très bien à quel point il est devenu facile de créer l’illusion du vrai. Ce n’est pas encore parfait, mais ce n’est qu’une question de temps… de très peu de temps.

Prenez Smile Vector, un robot qui transforme automatiquement des photos pour rendre les gens souriants (et pourquoi pas d’autres changements?).

Et Face2Face, qui permet de modifier l’expression faciale de quelqu’un dans une vidéo, en temps réel — pour lui faire dire autre chose, par exemple.

Tout ça pose des défis inédits pour l’esprit critique. Cela soulève évidemment aussi des enjeux éducatifs essentiels — auxquels l’école n’est vraisemblablement pas adéquatement préparée.

Et il faut réaliser à quel point ce sont des bouleversements rapides!

Ces technologies de modifications d’image, qui s’appuient sur le développement de l’intelligence artificielle, ont déjà commencé à faire discrètement leur apparition dans les iPod, iPad et iPhone que les enfants utilisent.

C’est comme ça qu’il faut voir les filtres que SnapChat a popularisés, qui permettent d’ajouter automatiquement des chapeaux fantaisistes ou d’autres masques à des selfies: ce sont de puissants outils de modification d’images et de vidéos en temps réel. Dans ce cas, ils n’ont pas pour objectif de tromper, mais ce n’est pas parce qu’ils ne seraient pas en mesure de le faire.

Je pense que ce serait d’ailleurs un très bon point de départ pour sensibiliser les enfants (et les adultes!) à l’importance de l’esprit critique, et à ses nouvelles exigences, notamment à l’égard des images (même de celles que des amis nous envoient… voire celles que nous prenons nous-mêmes!).

Une réflexion à mettre en parallèle avec celle de Bruno Devauchelle, que j’évoquais hier: Quand la photo arrête le temps…

Je pense que je devrais proposer à l’École branchée un texte un peu plus concret sur tout ça…

Mise à jour: pour plonger encore plus loin dans l’inconfort / la perplexité, il faut poursuivre la lecture avec cet autre texte d’Hubert Guillaud: L’ère des images invisibles.

« Nous ne regardons plus les images : les images nous regardent. Elles ne représentent plus simplement des choses, mais interviennent activement dans la vie quotidienne. »

Dîner conférence avec Alexandre Taillefer

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J’ai pris part ce midi à un dîner de la CDEC de Québec, à l’occasion duquel Alexandre Taillefer — que je trouve toujours très inspirant — était le conférencier invité.

Encore cette fois, j’ai beaucoup apprécié son allocution, sauf un tout petit passage… et un autre qui m’a laissé sur ma faim. J’en retiens aussi une idée forte, dont je me ferai dorénavant aussi le promoteur. À découvrir ci-dessous.

Je trouve dommage que Le Soleil rapporte seulement les propos d’Alexandre qui concernaient le dossier du SRB et du troisième lien (les plus polémiques, surtout quand on prend bien soin d’écrire le mot taxes dans le titre de l’article), parce qu’il avait pourtant bien pris la peine de les situer dans contexte beaucoup plus large, abordant notamment le thème de l’économie sociale et de la lutte aux inégalités.

C’est entre autres pour contribuer à lutter contre cette forme de sensationnalisme que je partages ici les notes que j’ai prises pendant la conférence.

***

D’entrée de jeu, Alexandre a présenté l’élection de Donald Trump comme une nouvelle manifestation de l’envie d’une partie de la population de faire tabula rasa de la politique et de l’économie telle qu’on la connaît depuis une trentaine d’années. Une envie qu’il est important de comprendre, mais qu’il ne partage pas. C’est même une chose qu’il lui apparaît absolument essentiel de contrer afin si on veut s’éviter le même genre de coup de gueule de l’électorat. Je suis bien d’accord avec lui.

Il a aussi rappelé que le Québec est une des sociétés où les inégalités entre les plus riches et les pauvres sont les plus faibles. «Il fallait être visionnaire, il y a trente ans, pour placer l’équité comme une des valeurs les plus importantes dans le développement de la société québécoise. Il ne faut pas perdre ça.» Et, pour lui, l’économie sociale est un des meilleurs atouts que nous avons pour ça. «Dans dix ans, l’économie sera sociale ou ne sera pas», dit-il. Il importe toutefois d’éviter le chant des sirènes du protectionnisme, a-t-il précisé. Reste à voir comment.

À son avis, le plus grand défi auquel est confronté la société québécoise consiste à sortir de la misère les gens qui vivent dans des conditions impossibles — à commencer par le monde du travail. D’où sa lutte en faveur d’une augmentation du salaire minimum à 15$. «Une société a des choix à faire: est-ce que c’est moralement acceptable d’offrir un salaire sous le seuil de la pauvreté à quelqu’un qui travaille à temps plein? Pour moi, c’est non.»

Pour cette raison, il faudra arriver à mieux documenter l’éthique des entreprises. Il propose pour cela de mettre en place «quelque chose comme la fiche nutritionnelle qu’on applique maintenant sur les aliments et qui nous permet de savoir ce qu’on mange… et de faire des choix». On pourrait y retrouver sur cette fiche-entreprise certaines infos sur la fiscalité des entreprises, leur empreinte écologique, les écarts dans la rémunération, etc. L’idée reste bien sûr très préliminaire, mais elle mérite certainement d’être promue.

Alexandre a témoigné du fait que c’est son incursion dans le monde du taxi qui l’a sensibilité à la réalité des travailleurs autonomes qui se retrouvent souvent dans des emplois qui deviennent rapidement des casiers à homards — des pièges dont ils deviennent prisonniers, parce qu’ils représentent leur seule source de revenus, mais qu’ils ne leur permettent pas de subvenir adéquatement à leurs besoins. Ses exemples étaient très concrets, éclairants.

C’est d’ailleurs ainsi que son propos s’est progressivement dirigé vers les questions de mobilité: notamment pour rappeler que la voiture est aujourd’hui le principal facteur d’appauvrissement individuel et collectif au Québec. Et que même s’il ne sera pas facile de renverser cette situation, ça apparaît plus indispensable que jamais.

De son point de vue, le projet de Service Rapide par Bus (SRB) de Québec est prioritaire à la construction d’un troisième lien entre Québec et Lévis. Une fois le projet déployé, et un service de très haute qualité bien en place, il faudra même envisager des mesures de tarification horaire pour l’usage des ponts (de manière à éviter une trop grande concentration aux heures de pointe) avant de projeter la construction d’une nouvelle infrastructure. Je crois qu’il y a possiblement des alternatives à la tarification, mais je crois qu’il a raison de soulever aussi cette question. Une chose est toutefois très claire: pour lui la dernière chose à faire aujourd’hui, c’est d’investir dans de nouvelles infrastructures routières. «Nous investissements c’est dans les écoles primaires et secondaires qu’on doit les faire.»

J’ai toujours apprécié tout particulièrement le fait qu’Alexandre a le courage plaider, sans trop de nuances ou de réserves, des idées qui déplaisent — et même des idées qu’il sait très bien qu’elles ne pourront jamais être populaires. Sa franchise me semble rafraichissante et je pense que c’est ce qui fait que les gens lui accordent aussi facilement leur attention.

Et c’est justement parce que je lui reconnais cette franchise, et que je l’estime au plus haut point, que je me permet de préciser le petit moment qui m’a un déplu dans sa présentation. Un moment où je l’ai senti inhabituellement vaseux.

Alexandre plaidait alors que le rôle le plus fondamental de la politique était de rendre la population heureuse. Ce avec quoi je suis d’accord. Puis, se référant aux critères du World Happiness Index (richesse collective, espérance de vie, manifestations de générosité, existence d’un filet social, liberté et absence de corruption), il a pointé la responsabilité des médias — qui ne doivent pas noircir inutilement la situation — et la nécessité de valoriser l’engagement des hommes et des femmes politique. Jusque-là, ça va.

Mais lorsqu’Alexandre a profité de l’occasion pour prendre la défense de Philippe Couillard, j’ai décroché. Il s’est appuyé pour ce faire sur le défi que le chef du Parti libéral a lancé cette fin de semaine: «Depuis que je suis chef, il ne s’est rien passé de condamnable, ou prouvez-moi le contraire!», disait-il. «Eh bien vous savez quoi, je le crois moi, a dit Alexandre. Il faut lui faire confiance, arrêter de se moquer des politiciens et cesser de faire preuve d’autant d’arrogance à leur endroit.»

Ça m’a déplu parce que je trouve ce plaidoyer était non seulement superflu, mais qu’il ne servait même pas son propos. Entretenir un climat de confiance, pour un politicien, c’est beaucoup plus que de ne pas être coupable soi-même. Et je suis convaincu qu’Alexandre le comprend très bien. Il ne faut pas confondre la confiance et la candeur.

Finalement, le moment qui m’a laissé sur ma faim est survenu à la période de questions — et cette fois Alexandre n’y est pour rien!

À son tour, un homme a soulevé le fait que Donald Trump avait été porté vers la victoire notamment par les travailleurs victimes de la délocalisation des emplois. «C’est un danger économique du passé, le prochain danger qui guette les travailleurs, c’est la robotisation et l’automatisation, et je pense que ce sera bien pire; qu’en pensez-vous M. Taillefer?».

Le manque de temps a forcé une réponse très brève — beaucoup trop brève! — essentiellement pour dire qu’en effet, aucun travailleur ne sera épargné… pas même les avocats et les chirurgiens.

J’aurais beaucoup aimé entendre Alexandre développer sa pensée sur ce sujet parce que c’est un enjeu qui m’apparaît absolument déterminant pour l’avenir du Québec… et devant lequel les politiciens actuels me semblent complètement démunis.

Ce sera pour une autre fois, j’espère.

Écoeuré

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Bon, ok, là, ça va faire!

L’extrait de l’entrevue que Monique Jérôme-Forget a accordée à Marie-Maude Denis que je viens de voir est la goutte qui fait déborder le vase. Je suis dégoûté (et je pèse mes mots!)

Extraits d’entrevue de Monique Jérôme-Forget sur la SIQ

J’ai besoin de crier haut et fort qu’y’a toujours ben un boutte à toutte. Et que là, franchement, ça suffit! Oui, ce qui suit est un coup de gueule et je l’assume.

Je trouve qu’on a franchit avec cette vidéo un nouveau seuil dans le mépris. Le seuil de l’inacceptable. J’ai du mal à m’en remettre. C’est comme si ça faisait remonter à la surface trop de choses que j’ai acceptées, avec plus ou moins de résignation, au cours des dernières années — trop de choses autour des commissions Gomery, Bastarach, Charbonneau, entre autres: le spectacle du mépris et de l’impunité, un jour à la fois, jusqu’à l’insensibilité.

Là, ça va faire!

Il y a dans cette vidéo un sans gêne indécent: un aveu particulièrement candide de Mme Jérôme-Forget qui témoigne que tout est permis à cette élite politique autoproclamée. Ou qu’elle se croit tout permis, même de dire avec le sourire qu’elle ne s’est pas occupée d’une responsabilité qui lui était confiée… parce que ça ne ne l’intéressait pas! Des milliards de dollars de notre argent, mais ça ne l’intéressait pas, parce que ce n’était pas assez prestigieux!

Je n’en reviens tout simplement pas! Après tout ces scandales. Iriez-vous, vous, sur le conseil d’administration de la SIQ?

Et moi qui accorde une grande importance au service public? Moi qui suis membre, bénévolement, du conseil d’administration d’une société d’état dans le domaine de la culture? Moi qui vient de recevoir une lettre d’un ministre qui souhaite que je poursuivre mon engagement, toujours bénévole, dans un conseil consultatif dont il a la responsabilité? Est-ce qu’il faut que je comprenne que je suis devenu le dindon de la farce, Mme Jérôme-Forget?

Mais même devant l’indignation que ses propos soulèveront, l’ex-ministre se dira probablement que ce n’est pas si grave: il faudra affronter vagues, mais le bon peuple est tellement occupé à débattre du bon goût des vêtements que Safia Nolin portait au gala de l’ADISQ que ce sera bien vite oublié. Comment lui reprocher puisque c’est comme ça depuis des années?

Et comme si ce n’était pas déjà assez… on découvre depuis quelques jours que la police se sentaient de plus en plus à l’aise depuis quelques années pour espionner même les journalistes de manière à s’assurer de bien garder le couvercle sur la marmite de l’inacceptable. C’est scandaleux.

Je dis non! Stop! Il faut que ça s’arrête. Maintenant.

J’en ai assez des discours politiques polis, des stratégies échappatoires, des plaidoyers enflammés jamais suivis d’effets et de la gestion au cas par cas. Tout ça alimente inutilement le fatalisme. Il faut arrêter de nous prendre pour des abrutis.

C’est à une grande réforme de nos institutions politiques qu’il faut en venir. Tout de suite. Ça presse.

La restauration de la confiance doit être le chantier le plus prioritaire de ce gouvernement — et de tous les élus — pour les prochaines années. Tant que ce ne sera pas réglé. Parce que notre capacité à mener tout autre projet ou toute autre réforme s’en trouve conditionnée.

L’Assemblée nationale doit confier la responsabilité de ce chantier à une personne d’une probité sans faille, capable d’exercer un très fort leadership.

Il faut poser rapidement des gestes vigoureux, décisifs, exemplaires.

Et nous, citoyens, il faut qu’on exige que les élus se consacrent prioritairement à ce chantier. Il faut que les médias en fassent aussi une priorité. Ce doit être un sujet de tous les jours. Plus seulement quand un scandale éclate.

On doit rejeter le cynisme et refuser la complaisance. Il faut, à partir de maintenant, que ça devienne impossible pour un élu de se présenter quelque part sans témoigner de ce qu’il fait, personnellement, pour qu’on retrouve confiance dans nos institutions.

Autant se le rappeler, c’est notre docilité qui permet à ces quelques profiteurs d’abuser de nos ressources collectives. Ils misent sur notre peur des pit-bulls et sur les pleines pages que les médias y consacrent pour assurer leur impunité. Ils se disent que la population jappe quelquefois très fort, mais qu’elle ne mord jamais.

Je pense que le moment est venu de montrer les crocs. Parce que je ne sais pas vous, mais moi je suis tanné.

Ben tanné. Ben ben tanné.

Écoeuré même.

Dylan, Hamelin, Couillard et Sévigny

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La remise du Nobel de littérature à Bob Dylan a beaucoup fait jaser cette semaine. La caisse de résonance médiatique est plus efficace que jamais.

Je n’ai pas d’opinion sur la décision de l’Académie Nobel — et je confesse un intérêt très limité pour ce débat — mais je me réjouis qu’elle contribue à (re)mettre à sous les projecteurs la question de la place de la littérature — sous toutes ses formes — dans l’espace public.

C’est d’ailleurs avec ça en tête que j’ai lu la courte entrevue de Louis Hamelin dans le Boréal Express reçu avec Le Devoir, au sujet de son plus récent livre Autour d’Éva:

«Le roman pourrait apporter quelque chose à la politique si les politiciens lisaient des romans. Dans un monde idéal, le roman pourrait même contribuer à former de meilleurs électeurs, en ouvrant l’imagination, en élargissant le spectre des possibles.»

«Le Québec n’est pas sage, il est satisfait. C’est bien pire. Pour ce qui est de la frilosité à la critique,on devrait se chicaner un peu plus souvent, ça nous ferait du bien.»

J’avais justement abordé la question du rapport que les politiciens entretiennent avec le roman, il y a une quinzaine de jours, notamment pour suggérer la création d’un club de lecture à l’intention des députés. En rappel:

L’automne, la lecture et la politique

Et comment, dans ce contexte, ne pas faire également référence à la délicieuse réponse de François Parenteau à la poésie-parce-que-ça-rime de Philippe Couillard?

Un billet de circonstance (audio)

Je retiens aussi de mes lectures matinales le projet de la Grande bibliothèque souterraine de Montréal, que m’a fait découvrir Fabien Deglise:

Une communauté souterraine de lecteurs

Un projet m’a rappelé la photo que j’avais publiée ici l’an dernier — et que j’aime particulièrement. En rappel, c’est l’en-tête de ce texte:

Lire vous transporte

***

Et question de plonger encore plus dans la rencontre du roman et de la politique, j’ai prévu entreprendre dans les prochaines heures la lecture de Sans terre, de Marie-Ève Sévigny, que j’ai acheté dès sa sortie… et dont je n’ai entendu que du bien depuis ce jour (sauf qu’il me restait des lectures à terminer avant de m’y lancer à mon tour!).

Sans terre | Marie-Ève Sévigny | Héliotrope Noir

À suivre, donc.

L’humanisme têtu

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Je ne me souviens pas d’avoir évoqué ici les textes que Mélikah Abdelmoumen regroupe sur son blogue sous le titre Histoires de Roms. Elle a publié ce matin le 46e texte de la série, qui s’intitule Renoncements. C’est un texte qui ne peut tout simplement pas nous laisser indifférent.

Mélikah raconte dans chacun ses textes les efforts inouis qu’elle déploie depuis 2013 — avec quelques complices — pour aider une famille de Roms, en banlieue de Lyon. C’est dur, c’est beau, c’est plein d’amour. Plein d’espoirs aussi. Et de désespoirs, parfois.

Et c’est surtout profondément universel.

Les mots de Mélikah témoignent de l’humanisme qui unit, trop discrètement, ceux qui aident et ceux qui ont besoin d’aide. Un humanisme têtu qui s’acharne même quand la société l’abandonne (surtout quand la société l’abandonne).

Vous devez lire Renoncements. C’est important.

Mélikah traverse un moment difficile. Elle doit renoncer à l’espoir de changer la vie de Cendrillon, Fabien et Clara. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé…

«Et je dois me rendre à l’évidence: pour que ça ait une chance de fonctionner, c’est la manière globale dont notre société considère ses démunis qui est entièrement à reconstruire, et ça, nous sommes trop peu à le vouloir. Trop peu, et qui n’ont pas le pouvoir.»

«…je crois que je suis en train de comprendre ce que je n’avais jamais envisagé: peut-être qu’au fond, ils n’attendent absolument pas que leur vie change grâce à la présence ou au soutien des gens comme moi. Peut-être que ça, ce sont nos projets, pas les leurs.»

Le constat qu’elle dresse est important. Essentiel même.

Je crois que ce qu’elle vit comme un douloureux renoncement est aussi (surtout?) un cri du coeur qu’elle nous adresse.

La société ne peut pas se faire bonne conscience en s’appuyant sur quelques personnes plus sensibles ou plus généreuses que les autres. Quelle que soit l’aide qu’on pourrait apporter par leur intermédiaire, en s’appuyant sur leur engagement — jusqu’à en abuser, jusqu’à l’épuisement — il n’y aura jamais rien de plus important que la fraternité pour le salut de tout le monde.

«…peut-être qu’une nouvelle étape de notre relation peut commencer. Celle où je lui fiche la paix, celle où je me fiche la paix, celle où, à tâtons, nous essayons d’avancer côte à côte, chacune avec sa vie, ses limites, ses embûches, dans cette réalité pourrie et tellement décevante.»

Si les renoncements de Mélikah nous ouvrent les yeux sur la nécessité de mieux comprendre, de se rapprocher et de développer progressivement des relations plus fraternelles avec les gens qui, autour de nous, vivent des situations difficiles, nous en sortirons tous grandis.

Je pense évidemment aux plus démunis et aux nouveaux arrivants, mais aussi aux nations autochtones, dont nous ne connaissons trop souvent la réalité qu’à travers le prisme déformant des médias.

Merci Mélikah de persévérer dans ces difficiles séances d’écriture. En nous ouvrant ton coeur tu ouvres aussi les nôtres. Ils en ont bien besoin.

L’autoédition

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L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) a publié hier une étude menée par Émilie Paquin au sujet des plateformes numériques d’autoédition.

Les plateformes numériques d’autoédition: état des lieux

Le bilan est assez simple:

  • Le phénomène est important;
  • Il intéresse beaucoup les écrivaines et les écrivains québécois;
  • L’autoédition ne s’oppose pas aux modèles plus traditionnels de l’édition — au contraire, elle les complète (de grands groupes éditoriaux mettent d’ailleurs sur pied leur propres plateformes d’autoédition);
  • Le Québec est très en retard dans ce domaine.

Le Devoir en parle d’ailleurs lui aussi ce matin.

L’étude rappelle que l’autoédition n’est pas un phénomène nouveau et qu’il est marqué par de nombreux préjugés. D’où l’importance d’en comprendre beaucoup mieux les tenants et les aboutissants (notamment au plan légal — voir la page 22, qui mériterait d’être éventuellement approfondie).

Les fiches descriptives et le tableau synthèse, qui rassemblent les principaux renseignements au sujet d’une vingtaine de plateformes sont particulièrement intéressants.

Je suggère par ailleurs de compléter lecture de cette étude par cell du texte suivant, rédigé par l’auteur Dominic Bellavance:

Autoédition vs Édition à compte d’auteur vs Édition traditionnelle

***

Accessibilité vs découvrabilité

L’étude souligne que «…le succès d’un livre n’est pas lié à sa production en format numérique ou imprimé ni à son accessibilité dans les librairies en ligne ou physiques, mais bien au travail intense de promotion qui doit être fait pour le porter à l’attention des lecteurs.»

C’est vrai que l’accessibilité d’un livre ne saurait en garantir le succès… mais on ne peut pas nier que c’est tout de même un facteur déterminant — et sans lequel le travail de promotion peut s’avérer inutile.

Pour cette raison, je pense qu’on devrait plutôt parler de découvrabilité — un concept qui allie le fait d’être accessible ET d’être visible au regard des clients/lecteurs potentiels. C’est d’ailleurs sur ce point que les plateformes d’autoédition se distinguent avec le plus de pertinence les unes des autres.

C’est aussi par rapport à cela qu’il y a le plus de travail à faire au Québec, rapidement (et pas n’importe comment!) si on souhaite rattraper le retard constaté dans le domaine de l’autoédition — voire en faire un facteur positif pour le développement (et la transformation) de l’ensemble de l’industrie du livre.

Du travail pionnier de la Fondation littéraire Fleur de Lys (depuis 2003!) au modèle de Librinova (avec qui je souhaite éventuellement collaborer parce que l’approche de Laure et Charlotte me semble particulièrement inspirante) en passant par les outils complètement automatisés des géants Amazon et Kobo, il y a là tout un monde de possibilités sur lequel l’UNEQ a eu bien raison de mettre sous les projecteurs.

Mieux vaut, en effet, (un peu) tard que jamais!

Faut qu’on se parle


On me demande mon opinion sur l’initiative Faut qu’on se parle, lancée ce matin par Jean-Martin Aussant, Claire Bolduc, Gabriel Nadeau-Dubois, Maïtée Labrecque-Saganash et Alain Vadeboncoeur.

C’est très simple: je m’en réjouis. Je me suis inscrit à la consultation publique de Québec, le 11 octobre, et je souhaite que la démarche remporte un vif succès.

J’ai entendu et lu plusieurs doutes ici et là sur les réseaux sociaux: a-t-on vraiment besoin d’un autre groupe? d’une autre consultation? Est-ce que c’est une autre manifestation de diviser pour mieux régner? Pourquoi ces gens ne militent pas plutôt dans un parti existant, pour l’imprégner de leurs idées?

Je comprends ça — mais je crois qu’on doit passer par dessus toutes ces craintes. On a là des gens reconnus pour leur idées, leur jugement, leur engagement et leur charisme. Des gens généreux, qui vont consacrer, sur une base volontaire, de très nombreuses heures à alimenter et animer le débat public. Il faut surtout les remercier.

Aux plus craintifs, j’ai envie de dire que si le Parti Québécois n’est pas capable de tirer profit d’initiatives de ce genre-là, c’est à lui (à nous) qu’il faudra le reprocher.

Les bonnes idées ne naissent pas toujours dans les instances des partis politiques (j’oserais même dire que c’est rarement le cas!).

Les partis politiques les plus pertinents sont ceux qui savent s’inspirer des différents courants qui animent la société civile pour récupérer leurs propositions et les amener à l’Assemblée nationale afin de leur donner force de loi.

Je n’ai pas envie de militer dans un parti qui craint les initiatives de la société civile.

Le Parti Québécois auquel je crois est plus vigoureux que ça. Il a confiance en lui. Il croit profondément qu’il sera le meilleur véhicule pour concrétiser les meilleures idées qui ressortiront d’un exercice comme celui-là.

Moi aussi je pense qu’il faut qu’on se parle!

La femme qui fuit

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Je vous fais grâce du contexte qui m’offre l’occasion de lire autant depuis quelques jours — mais j’en profite pleinement! C’est ainsi que j’ai complété ce soir la lecture de La femme qui fuit, d’Anaïs Barbeau-Lavalette.

C’était un très curieux enchaînement après Ma vie rouge Kubrick. Non pas parce que le premier s’était mérité le Prix des libraires en 2014 et que celui-ci s’est mérité le même honneur en 2015, mais parce que ce sont deux histoires dont les personnages sont profondément marqués par les gestes et les choix d’un de leurs grands-parents. Vraiment très profondément.

La femme qui fuit, c’est Suzanne Meloche, la grand-mère d’Anaïs Barbeau-Lavalette. La mère de Manon Barbeau. C’est une femme qui a abandonné ses enfants dans la tourmente sociale et culturelle du Québec de la fin des années 40 et des années 50. Une époque où le premier ministre pouvait ordonner à la police de mettre la sculpture d’une femme nue en prison (!) sous prétexte de son indécence. L’époque du Refus global.

La femme qui fuit, c’est l’histoire, dramatique, d’une famille.

C’est aussi l’histoire, troublante (et incomplète), de l’ouverture du Québec sur le monde — et des conséquences qu’ont dû assumer certains de ses libérateurs.

«On est allé trop vite, trop loin», griffonnera Suzanne Meloche à sa fille, dans un recueil de poèmes, quelques années avant de mourir.

Entièrement écrit au « tu », le récit d’Anaïs Barbeau-Lavalette nous force, page après page, à s’inscrire dans l’intimité d’un dialogue cathartique entre une petite-fille et sa grand-mère. C’est déroutant, touchant, passionnant.

Un très précieux témoignage.

Un livre vraiment inoubliable.

***

Il fallait que tu meures pour que je commence à m’intéresser à toi.

Pour que de fantôme, tu deviennes femme. Je ne t’aime pas encore.

Mais attends-moi. J’arrive. 

Les navettes paroissiales

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Dans la chronique qu’il signe ce matin dans Le Soleil, François Bourque revient sur la polémique des taxis à la sortie de l’Amphithéâtre.

On se calme! | François Bourque | 23 août 2016

Il nous invite à aborder le problème autrement, misant sur un système de navettes.

Extraits:

«Faut-il chambouler le système pour ces quelques soirs d’exception? Québec a-t-elle vraiment besoin de Téo, d’Uber ou d’autre sauveur pour vider son amphithéâtre, comme l’évoque le maire? J’en doute. (…)

La meilleure réponse reste à mon avis l’amélioration des navettes (…)

Le RTC offre actuellement quatre navettes les soirs de spectacle. Le RTC refuse de divulguer les chiffres de fréquentation, mais je suis sûr qu’on pourrait faire mieux avec une meilleure promotion et une offre plus complète (p. ex. : plateau de Montcalm-Sillery-Sainte-Foy).

Le jour où il sera plus simple d’aller à l’amphithéâtre (ou ailleurs) en transport en commun plutôt qu’en auto, on parlera moins du manque de taxi les soirs de spectacle.»

Cela me rappelle que quand j’étais adolescent et qu’on s’achetait des billets pour aller voir jouer les Nordiques, on se rendait prendre l’autobus dans le stationnement de la paroisse Sainte-Geneviève. L’autobus passait ensuite par les stationnements d’une ou deux autres paroisses avant de se rendre au Colisée. De mémoire, on avait qu’à montrer notre billet de hockey au chauffeur pour pouvoir monter à bord de l’autobus.

De cette façon, on arrivait au Colisée rapidement, le bus nous déposait à la porte. Même pas besoin d’être accompagnés par des parents. Le bus nous attendait évidemment à la sortie après le match. Et moins d’une heure après la fin du match j’étais de retour chez moi.

Simple et rapide. Directement au coeur des quartiers.

Il me semble que si on était capable de faire ça en 1985, on devrait encore être capable de faire ça en 2016.

Une solution pragmatique qui nous éviterait de vaines polémiques.

C’est peut-être trop simple.

L’effet papillon

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Une semaine de repos. Dormir, manger, lire, se baigner, dormir. En famille. Ça fait du bien. Beaucoup de bien. Et ça continue, avec les amis, autour de bons repas. La belle vie.

Quelques réflexions en arrière-plan, mais pas trop invasives. Mon regard et mes pensées sont guidés par les reflets du soleil sur les fleurs à travers les feuilles. Au rythme du vent.

Ça me rappelle aussi que c’est en prenant le temps de regarder virevolter les papillons qu’on arrive parfois à mieux comprendre le monde qui nous entoure.

Dans un monde continuellement en guerre pour notre attention et nos peurs (des élucubrations de Trump — dont les médias sont souvent des complices intéressés — aux attentats terroristes en passant par les jeux de coulisse des nombreux lobbys), prendre le temps de détourner les yeux de la matrice, c’est poser un geste de liberté.

L’effet papillon, pour éviter de succomber à la frénésie.

Sans aucun doute le plus précieux des souvenirs de vacances.

Lu: Je suis Pilgrim, de Terry Hayes. Un excellent polar. J’ai adoré.

Écouté (à répétition!): Antonio, un projet instrumental de David Brunet. Trois albums [1, 2, 3] jazzés, déjantés, qui m’ont transporté dans l’univers musical de Michel Cusson (particulièrement avec Bunker le cirque) et de plusieurs des films de Tarantino. Je ne m’en lasse pas.

Drôle de fin de saison

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J’étais à Saint-Jean-Port-Joli en fin de semaine pour la finale régionale de hockey du fils. L’équipe s’était mérité une place pour ce tournoi grâce à une superbe fin de saison régulière. Deux équipes de Sainte-Foy avaient réussi à se frayer une place pour le tournoi.

Déjà éprouvés par une défaite particulièrement amère il y a deux semaines, résultat d’une décision très discutable d’un arbitre (en temps supplémentaire!), les coéquipiers du fils ont subi dimanche matin une autre défaite extrêmement difficile, en demi-finale — avec, une fois de plus, une décision pour le moins étonnante des arbitres. Un but accordé sur révision d’une décision… plus de deux minutes plus tard, en troisième période. Du jamais vu pour toutes les personnes présentes.

Pas besoin de dire que les gars sont sortis de la chambre des joueurs en furie. Perdre c’est une chose. Perdre avec un sentiment d’injustice. C’est bien pire.

On a évidemment discuté avec eux — les plus calmes comme les plus fort de tempérament. Il fallait reprendre le dessus sur les émotions… il restait la finale consolation à jouer contre l’autre équipe de Sainte-Foy: leurs amis.

Au dîner, la frustration ne passait pas facilement. Mais le vent a fini par tourner, sans trop qu’on sache pourquoi. De retour à l’aréna, on a recommencé à entendre des rires, la complicité est revenue. Les parents se sont réjouis… tout en restant un un peu méfiants, parce qu’une vingtaine de gars de 16 à 18 ans… ça peut réserver toutes sortes de surprises.

Lorsqu’ils se sont présentés sur la glace, on a tout de suite compris qu’on aurait droit à un match hors de l’ordinaire. Notre meilleur compteur avait revêtu l’habit du gardien de but, nos gars avaient enfilé des bas de couleurs variées, et tous les joueurs arboraient un visage taquin.

Dès la mise au jeu: le cirque!

Passes ratées, manoeuvres fantasques, erreurs grossières, prouesses truquées, jeux absurdes, pitreries de tous les genres. Un gardien de but a même eu droit à une échappée.

On a beaucoup ri. Les jeunes aussi. Les arbitres beaucoup moins. Je pense qu’ils ont très bien compris le message que les joueurs voulaient leur adresser. Un seul a choisi de faire contre mauvaise fortune bon coeur et de faire son travail avec le sourire. Bravo.

À la fin du match, les deux équipes ont évidemment fait l’empilade traditionnelle de la victoire, et pris tous ensemble la photo avec la bannière de la troisième place des régionaux 2016, que les joueurs des deux équipes ont tous signée.

Je dois lever mon chapeau à la responsable du tournoi qui était là hier après-midi, et qui plutôt que de se fâcher devant la situation, s’est prêté au jeu et accepté de remettre une médaille de bronze à tous les joueurs présents, des deux équipes. Bravo.

Plutôt que de finir une si belle saison dans la frustration et la colère, nos gars ont réussi à trouver une façon de finir ça dans une grande fête dont ils se souviendront pour toujours. Sans violence ni aucun geste déplacé: que de la franche-camaraderie — et avec la complicité des autres joueurs de Sainte-Foy.

On était très fier d’eux, pour la saison remarquable qui se terminait, surtout, mais aussi pour la très belle leçon de subversion intelligente qu’ils nous ont offerte.

Très grand bravo.